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Les « parasites » de J-Jacques Samson

Si quelqu'un avait encore besoin d'être convaincu de l'état de décrépitude professionnelle et intellectuelle de certains grands médias québécois, il n'a qu'à lire - subir - la chronique de J-Jacques Samson, publiée dans les pages duet dule 15 février dernier, pour constater cette troublante réalité. Dans un court texte dont les relents méprisants demeurent persistants, quelques heures encore après sa lecture, monsieur Samson s'en prend aux « parasites » de l'ASSÉ et aux étudiants qu'ils représentent...
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Myriam Lefebvre

Si quelqu'un avait encore besoin d'être convaincu de l'état de décrépitude professionnelle et intellectuelle de certains grands médias québécois, il n'a qu'à lire - subir - la chronique de J-Jacques Samson, publiée dans les pages du Journal de Montréal et du Journal de Québec le 15 février dernier, pour constater cette troublante réalité. Dans un court texte dont les relents méprisants demeurent persistants, quelques heures encore après sa lecture, monsieur Samson s'en prend aux « parasites » de l'ASSÉ et aux étudiants qu'ils représentent, futurs prestataires d'assurance-chômage, « chauffeur de taxi, critique social à la Rogatien dans Taxi-22, ou serveur dans un bistrot branché du Plateau. » Dans un billet qui ne s'appuie que sur les propres préjugés de monsieur Samson, qui affirme lui-même ne pas « détenir de statistiques » afin d'étayer son propos, il y va d'une charge à fond de train contre ceux qu'il accuse non seulement de vivre au crochet de l'État, mais de poursuivre une carrière académique dans des domaines « ne menant à rien ».

Le chroniqueur prend bien sûr le temps de mettre en parallèle l'action de ces « parasites » avec celle des étudiants «sérieux » d'autres facultés plus « pragmatiques » (droit, médecine, économie, etc.) qui, eux, n'ont pas de temps à perdre avec les enfantillages des revendications sociales et étudiantes. Ce faisant, monsieur Samson oublie lui-même (comment s'en surprendre puisqu'il ne s'appuie que sur sa propre « assurance instinctive ») que de très nombreuses facultés « sérieuses », dont la non moins respectable faculté de médecine de l'UdeM (située très loin du Quartier latin !), ont débrayé plusieurs journées, voire semaines, durant le printemps étudiant. Aux carabins montréalais, ajoutez les polytechniciens de cycle supérieur de cette même université (des gens peu concernés par leurs études, bien entendu!), les chercheurs en biologie, les étudiants d'informatique, de criminologie, de biochimie, de sciences médicales, de design industriel et j'en passe ! Et qu'à l'instar des anciens dirigeants étudiants des années soixante, dont monsieur Samson fait l'éloge, les qualifiant de «véritables étudiants à temps plein», les leaders de l'ancienne CLASSE et de l'ASSÉ ont eux aussi prouvé leur valeur en recevant de nombreux prix d'excellence académique. Des exemples? Le « terrible » Gabriel Nadeau-Dubois est l'un des rares étudiants à avoir reçu la plus importante bourse décernée par la Fondation du millénaire pour la qualité de son parcours académique, alors que son ex-collègue Jeanne Reynolds s'est quant à elle méritée la médaille d'honneur du lieutenant-gouverneur du Québec. La nouvelle porte-parole de l'ASSÉ, Blandine Parchemal, dont on a souligné avec insistance la nationalité française afin de mieux éviter le débat de fond, est détentrice de deux baccalauréats et récipiendaire d'une bourse d'excellence. Toutes des informations facilement accessibles et qu'un journaliste le moindrement rigoureux et consciencieux aurait pu obtenir, en deux clics de souris. Mais à quoi bon s'en préoccuper, quand l'attaque ad hominem peut nous éviter cette peine ?

Mais au-delà de la grossièreté du propos de Samson, il convient de s'inquiéter de la conception qui est ainsi véhiculée à propos de disciplines qui, faut-il le rappeler, ont présidé à la fondation de l'université moderne. Que les sciences dites « sociales », que la philosophie ou l'histoire, sont les dignes héritières de ces humanités classiques qui ont formé plusieurs générations de leaders que monsieur Samson admire sans doute. Réjouissons-nous donc que des jeunes, ayant grandi dans un monde de télécommunications où la rapidité et l'apparence prennent souvent le pas sur la réflexion et l'analyse, veuillent tenir ces disciplines à bout de bras, encore aujourd'hui avec leurs professeurs et dans des conditions financières souvent plus que précaires. Que sans ces disciplines « menant à rien », J-Jacques Samson, lui-même ancien étudiant de lettres, suprême ironie, n'écrirait pas dans son journal aux côtés d'un Mathieu Bock-Côté ou d'une Denise Bombardier, tous deux diplômés en sociologie. Ou encore aux côtés d'un Éric Bédard, historien désormais incontournable pour qui se penche sur notre histoire nationale et que j'ai vu manifester à quelques pas de moi, rue Saint-Denis, le 18 mars 2012... Imaginez !

Faut-il encore lui rappeler que tous ceux qu'il appelle avec mépris les « lologues », ces mêmes historiens, philosophes et sociologues, sont ceux vers qui l'on se tourne lorsque nous avons besoin de faire le point collectivement sur un enjeu important, de prendre de la hauteur, d'approfondir notre réflexion et d'élaborer une vision commune. Faut-il lui rappeler les noms de Gérard Bouchard et de Charles Taylor? A-t-on besoin d'ajouter que le Québec contemporain - et notre vie intellectuelle et politique - ne serait pas ce qu'il est aujourd'hui sans la contribution militante d'une Simonne Monet-Chartrand, diplômée de lettres, ou de l'œuvre intellectuelle de sociologues comme Guy Rocher, Michel Freitag ou d'un historien et penseur comme Benoit Lacroix? Réjouissons-nous que des centaines d'étudiants veulent suivre leur exemple et contribuer, collectivement, à réfléchir au Québec de demain. Ces « parasites » ont contribué d'une façon formidable au débat collectif, et ceci indépendamment du fait que l'on soit d'accord ou non avec leurs positions. Ils ont eu l'audace de proposer une réflexion sur le devenir de l'éducation au moment où le Québec s'enlisait dans la morosité, tant sociale que politique. Une chose demeure néanmoins : la contribution de ces « parasites » au devenir du Québec sera toujours plus grande que la propre contribution de monsieur Samson, pétrie de préjugés, à la profession journalistique. Et que si vraiment dans sa conception, et dans celle du journal qui accepte de publier pareil papier, nous sommes des parasites, et bien soyons fiers d'en revendiquer le titre !

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