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Normand Lester: le droit à l'insignifiance

Au hasard de la grève étudiante, il suffisait de faire un tour sur les différents médias sociaux pour se rendre compte à quel point il était désormais facile, en trois coups de cuillère à pot, de clore un débat en assenant les mots « Staline », « fasciste », « communiste » et ce, pour désigner tantôt les associations étudiantes soupçonnées de préparer l'avènement du Grand soir, comme les représentants du gouvernement accusés de vouloir transformer le Québec en nouveau Reich.
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Plusieurs parmi vous ont sûrement entendu parler, au hasard d'une discussion ou d'un débat enflammé - comme il s'en développe d'ailleurs plusieurs sur nos blogues - du principe de « point Godwin ». Énoncé par l'un des coordonnateurs de l'encyclopédie virtuelle Wikipedia, Mike Godwin, celui-ci posait le principe selon lequel plus une discussion en ligne durait et s'enlisait, plus la possibilité que l'un des débatteurs fasse référence à Hitler ou au nazisme augmentait.

Au hasard de la grève étudiante, il suffisait de faire un tour sur les différents médias sociaux pour se rendre compte à quel point il était désormais facile, en trois coups de cuillère à pot, de clore un débat en assenant les mots « Staline », « fasciste », « communiste » et ce, pour désigner tantôt les associations étudiantes soupçonnées de préparer l'avènement du Grand soir, comme les représentants du gouvernement accusés de vouloir transformer le Québec en nouveau Reich.

Bref! Si les webmestres ont difficilement le contrôle sur les commentaires qui s'écrivent plus rapidement que le temps exigé par le bon sens avant qu'il ne fasse effet, il est somme toute exceptionnel - aberrant? - de constater qu'un grand média en ligne puisse publier un billet qui, dans la forme comme dans le fond, est une ode au mauvais goût intellectuel où la référence Godwin est érigée en véritable argumentaire.

C'est ainsi que le journaliste Normand Lester, délaissant pour un temps les complots du Mossad ou de l'ex-KGB, s'est lancé dans une analyse historico-politique afin de vilipender le dernier manifeste de la CLASSE qui, selon lui, n'aurait pas été renié par Benito Mussolini, leader fasciste de l'Italie de 1922 à 1943 et allié, pour un moment, d'Adolf Hitler.

Si on peut se désoler en souriant de ne pas avoir été prévenus que Gabriel Nadeau-Dubois est en réalité un agent secret subversif à la solde d'intérêts étrangers, l'on ne peut qu'être consternés à la lecture d'un billet qui non seulement repose sur une analyse sophistique de la situation politique, mais qui amalgame en quelques lignes des dizaines de concepts et de références historiques (nazisme, anticapitalisme, mouvements communistes européens, fascisme, matriarcat, etc.), reliés par une rhétorique guindée qui n'a pour but que de faire croire aux lecteurs les plus crédules qu'elle repose sur un socle théorique solide qui en réalité s'effrite lorsque l'on s'y penche de plus près.

Quid des fameux fasci du Duce qui, soutenant la bourgeoisie capitaliste et industrielle italienne, se sont fait une réputation enviable de briseurs de grève, écrasant dans les usines de la péninsule les mouvements syndicaux soupçonnés de sympathie bolchéviste? Est-ce à ces fiers-à-bras, antisyndicalistes et faisant le jeu des grands industriels, que Lester compare Nadeau-Dubois et ses collègues?

Le « journaliste » dérape même dans le sexisme le plus primaire, développant le nouveau concept de «fémino-facisme» lorsqu'il affirme: «Tout le monde sait qu'ici au Québec, nous sommes depuis toujours une société dominée par les bonnes femmes. Le manifeste de la CLASSE montre clairement qu'elles sont aussi les «bosses» dans le mouvement.» Notez l'emploi du « toujours » afin d'établir son argumentaire en évidence alors qu'un simple appel à notre mémoire collective nous ferait nous souvenir que jusqu'à l'aube des années 60, les femmes étaient considérées comme des mineures, subordonnées à l'autorité paternelle ou maritale.

C'est d'ailleurs après de nombreuses sociétés occidentales et après le Canada lui-même (les femmes ont obtenu le droit de vote au Canada en 1917 en vue du vote sur la conscription) que les Québécoises ont pu obtenir le droit d'élire leurs représentants (1940). Bref! Il ne servirait à rien de se lancer dans une analyse historique afin de répondre à un billet qui, à sa face même, utilise des concepts et des référents complètement sortis de leur contexte historique, quand ils ne sont pas eux-mêmes erronés.

La publication d'un pareil brûlot devrait cependant nous amener à réfléchir globalement sur l'état de nos médias et du débat public au Québec, où l'excès et la grossièreté intellectuelle semblent être désormais le «sésame» par lequel l'on peut se tailler une place dans le petit univers médiaticopolitique de la province.

Sommes-nous encore capables, aujourd'hui, de tenir un débat public serein sans tomber dans l'amalgame facile, dans le dénigrement systématique? Tour à tour, l'on a affirmé durant ces derniers mois que Gabriel Nadeau-Dubois utilisait, et je cite, une rhétorique de « batteur, d'abuseur de femmes » (Christian Dufour), qu'il était personnellement « responsable » de la violence des manifestations (ministre Robert Dutil), quand ce n'est pas de marcher, désormais, dans les pas de l'un des dictateurs les plus honnis du vingtième siècle.

Certains ont même poussé le mauvais goût jusqu'à dépeindre GND sous les traits de Ben Laden, leader terroriste sanguinaire. Idem pour les partisans les plus exaltés du camp étudiant, n'hésitant pas à parler d'État totalitaire devant les dérapages, certes évidents, des forces policières et le caractère abusif de la loi spéciale. A-t-on encore un sens de la mesure chez nous? Lorsque sera retombée la poussière de cette grève étudiante qui risque bien de s'embrasser de nouveau cet automne, lorsque sera terminée la prochaine campagne électorale qui frappe à nos portes, nous devrons tous nous livrer à une introspection sur l'avenir de nos médias, l'avenir de nos fora publics dans les prochaines années. L'on peut reprocher à la CLASSE d'être idéaliste, rêveuse, utopiste, d'enfourcher le cheval héroïque de la vertu. Soit! Mais dans un pays où le cynisme et la désillusion ont gagné la population, où le gouvernement est entouré d'une odeur persistance de collusion et de copinage, où un parti d'opposition n'hésite plus à monnayer ses candidatures, n'est-ce pas justement rafraîchissant que de faire appel aux idéaux d'une société plus juste et, n'en déplaise à Lester, égalitaire?

Mais que ce dernier se rassure. Je doute fort que Nadeau-Dubois soit un avatar contemporain du Duce ou du Führer et Lester sera toujours libre de publier ce que bon lui semble, quitte à fouiller - littérairement ou littéralement - dans les poubelles de la rhétorique. Mais attention : l'insignifiance guette au tournant ...

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