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La Cour suprême américaine et la «tolérance répressive»

La Cour suprême américaine a rendu deux arrêts importants la semaine dernière, à chaque fois avec une majorité de 5 contre 4. Elle a d'abord invalidé une partie dut de 1965 qui mettait certains États sous surveillance fédérale en matière de lois électorales, puis elle a aboli le, ce qui a ouvert la voie au mariage gai sur tout le territoire américain.
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La Cour suprême américaine a rendu deux arrêts importants la semaine dernière, à chaque fois avec une majorité de 5 contre 4. Elle a d'abord invalidé une partie du Voting Rights Act (VRA) de 1965 qui mettait certains États sous surveillance fédérale en matière de lois électorales (la majorité était composée, sans surprise, des juges les plus conservateurs) puis elle a aboli le Defense of Marriage Act (DOMA) ce qui a ouvert la voie au mariage gai sur tout le territoire américain. Là, c'est un déplacement de voix vers les libéraux qui a permis cet arrêt.

Les commentaires ont surtout insisté sur ce deuxième arrêt. Il est significatif cependant que sur les problèmes sociétaux, il y ait une majorité dite progressiste tandis que sur les problèmes sociaux, les conservateurs, en fait les réactionnaires, ont une majorité et que leur décision a une importance politique capitale.

L'arrêt sur la loi concernant le droit de vote ouvre la porte à la légalisation de toutes les lois des divers États visant à exclure du vote certains groupes votant en général pour les démocrates. Les Noirs (African Americans) sont les premiers visés mais aussi les Hispaniques et les pauvres et anciens condamnés. Le Brennan Center for Justice a fait la liste de toutes les dispositions visant à restreindre le vote des plus défavorisés. En imposant l'utilisation de documents d'identité avec photos dans un pays où il n'y a pas de carte nationale d'identité, en demandant des preuves de citoyenneté, en rendant les inscriptions sur les listes électorales et les votes par correspondance plus difficiles, les lois de ces États visent à exclure du vote les catégories marginales, sous couvert de lutte contre la fraude électorale. Fraude quasi inexistante alors que les promoteurs républicains de ces lois sont souvent ceux sur qui, en Floride ou dans l'Ohio, pèse un fort soupçon de fraude électorale. L'arrêt de la Cour suprême est donc un danger pour la démocratie américaine, déjà fortement soumise aux puissances d'argent, surtout depuis un autre arrêt de la Cour suprême de 2010 connu sous le nom de Citizens United.

L'abolition de la loi sur la défense du mariage (Doma) permettra un certain nombre de mariages gais et constitue donc une modernisation du droit. Ce que le rapprochement entre les deux décisions suggère, ainsi que l'inégal écho médiatique, est cependant que l'égalité sociale a moins d'intérêt que la non-discrimination pour des raisons sociétales. Il est fort possible d'attenter à la démocratie en visant les pauvres et, dans le même temps, d'apparaître progressiste ou libéral dans un autre domaine.

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Les pays qui ont légalisé le mariage gai

Les pays qui ont dit oui

Bien qu'il ait suffi d'un seul retournement à la Cour suprême pour obtenir ces deux résultats apparemment contradictoires, celui-ci est néanmoins symbolique. Les secteurs les plus réactionnaires peuvent, pour partie, s'accommoder du mariage gai, mais en aucun cas ils ne peuvent accepter l'égalité sociale. En Grande-Bretagne, c'est un gouvernement des plus réactionnaires, celui de Cameron qui ne jure que par l'austérité, qui a mis en place le mariage gai. Les conséquences de l'arrêt sur le droit de vote sont immenses et si l'avancée dans la lutte contre les discriminations est significative on doit cependant s'interroger sur le retour de ce que l'on appelle une démocratie Herrenvolk (réduite à un peuple maître). Les États-Unis étaient une démocratie racialisée jusqu'en 1865 puis l'ont été à nouveau après le grignotage des droits des Noirs dès la fin du 19e siècle ; l'égalité des droits ne fut rétablie précisément qu'en 1965. D'autres États de par le monde sont, ou ont été, des démocraties fondées sur le racisme, donc réservées à une partie de la population.

Le Texas a immédiatement annoncé dès le lendemain de l'arrêt de la Cour suprême que ses lois électorales allaient entrer en vigueur. Les pauvres qui déjà votaient moins que les autres seront encore plus exclus du processus électoral. Dans les États du Sud, les Noirs et les minorités seront chassés légalement des bureaux de vote. La discrimination est donc en train de se retourner et de retrouver ses aspects historiques.

Dans la confusion des repères qui s'installe, il n'est plus possible de classer les positions sur un axe idéologique allant de la gauche à la droite. Le monde des affaires a pris le train de la diversité, certes après d'autres secteurs, mais sans adaptation majeure de ses modes de fonctionnement. La diversité et la lutte contre les discriminations occupent le terrain médiatique au moment même où l'inégalité s'accroît. Le mouvement Occupy Wall Street qui avait un moment replacé les préoccupations égalitaires au centre des débats politiques s'essouffle et la lutte contre la discrimination redevient le seul axe progressiste.

Certains commentateurs américains ont évoqué l'arrêt de la Cour suprême abolissant une partie des lois de 1965 comme émanant d'une Ku Klux Kourt (jeu de mot entre Klan et Cour de justice). Le rapprochement entre les deux arrêts de cette cour souligne une évolution de la société américaine qui se manifeste aussi ailleurs: la tolérance pour les phénomènes de mœurs ou sociétaux peut fort bien coexister avec un racisme institutionnel ou ce que Bourdieu avait appelé un "racisme social". Dans ce cas bien précis des "réactionnaires tolérants", on pourrait appliquer le concept de Marcuse de "tolérance répressive".

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