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Les paradis fiscaux existent-ils?

Si les paradis fiscaux ont officiellement disparu, ils restent des pays à loi et fiscalité paradisiaques, créant des tentations pour les acteurs économiques qu'ils soient individus ou entreprises. Certains acteurs enfreignent les lois de leur pays d'origine, en particulier en matière d'évasion fiscale, mais la plupart les respectent. La vraie question soulevée concerne la légitimité perçue des investissements dans ces pays.
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AFP

Paradoxalement, alors que grondent les voix contre l'évasion fiscale des riches particuliers, surtout lorsqu'il s'agit d'un ministre, on note que l'OCDE a retiré la plupart des pays de sa liste noire des paradis fiscaux.

Pour l'institution supranationale, un paradis fiscal est une juridiction à faible niveau de taxe, ne pratiquant pas l'échange d'information avec d'autres pays, manquant de transparence, et où l'accueil de flux financiers étrangers est souvent la principale activité. D'après les comptes de l'OCDE et grâce à ses efforts, la liste des paradis fiscaux, qui comptait 40 pays en l'an 2000, n'en compte plus aucun aujourd'hui. Les paradis fiscaux ont donc officiellement disparu !

Plus exactement, les paradis fiscaux non coopératifs ont disparu. L'OCDE a appliqué, à travers le Global Forum on Taxation, des procédures d'audit qui visent essentiellement à augmenter la transparence et favoriser l'échange d'information sur les données fiscales. Tous les pays audités se sont engagés à mettre en œuvre les bonnes pratiques prescrites par le forum. Si plus aucun pays ne fait partie de la liste noire, deux petites îles du Pacifique, Nauru et Niue, restaient fin 2012 en zone grise, c'est-à-dire sous surveillance. Cette initiative de l'OCDE est louable, sachant que seule la transparence sur les transactions peut aider à la lutte contre le blanchiment d'argent sale et le financement du terrorisme.

Néanmoins, cette disparition est théorique pour au moins deux raisons. D'une part, la transparence au sens de l'OCDE n'implique pas de livrer systématiquement les noms des évadés, mais de répondre aux requêtes d'un pays concernant des personnes ou entreprises soupçonnées de frauder. D'autre part, pour disparaître de la liste noire, les paradis fiscaux doivent signer des conventions de transparence avec au moins 12 pays, ce qu'ils se sont empressés de faire... principalement entre eux.

Quoi qu'il en soit, cette disparition des paradis fiscaux non-coopératifs n'a pas supprimé les différences entre systèmes nationaux de taxation : les juridictions sont davantage transparentes, mais chacune conserve sa propre fiscalité. De plus, si les médias mettent en lumière le comportement potentiellement antipatriotique de quelques personnalités, force est de constater que les premiers utilisateurs ne sont pas les particuliers, mais les entreprises. Une enquête du magazine Alternatives Économiques a montré que les sociétés françaises du CAC 40 détenaient, en 2009, près de 1500 filiales dans des juridictions à fiscalité avantageuse.

Le billet de Philippe Véry et Emmanuel Metais se poursuit après la galerie

10. Bernard Arnault

Les plus riches (Forbes, 2013)

Autre fait notable, cinq des dix premiers pays investisseurs en Chine en 2008 étaient des paradis fiscaux. Car ces pays ne se contentent pas d'offrir un attrait fiscal : leur législation permet souvent de mener des opérations considérées comme illégales dans d'autres pays. Les entreprises chinoises font ainsi partie des premiers investisseurs étrangers en Chine, en localisant des actifs dans des paradis avant de les retransférer dans leur pays d'origine : cette opération dénommée asset round-tripping est largement motivée par l'optimisation fiscale. D'autres entreprises créent des special purpose vehicles, interdits dans leur pays, pour réaliser des transactions financières là encore fiscalement optimisées. Ces pays offrent donc les moyens de contourner les lois du pays d'origine tout en agissant dans le respect des lois du pays d'accueil. Le problème posé par ces manœuvres n'est donc pas de nature légale, mais interroge sur la légitimité et la moralité de telles actions.

Par conséquent, si le paradis fiscal non coopératif a disparu, le "pays à fiscalité et loi paradisiaques" existe toujours. Les différences entre juridictions sont devenues parties intégrantes de la stratégie d'optimisation économique pour les multinationales. Les pays ne peuvent lutter seuls contre cette hétérogénéité légale et fiscale, au risque de pénaliser leurs entreprises face aux concurrents étrangers. Le décalage entre géographie politique et géographie économique crée des fossés difficiles à surmonter pour nos législateurs. D'autant plus que, comme l'a souligné un Gouverneur des Iles Vierges Britanniques, chaque pays est libre de développer sa propre fiscalité, et toute tentative de pression d'un autre pays pour uniformiser les taxes peut être considérée comme une forme d'ingérence. Ce gouverneur a dit aussi que certains pays feraient mieux de balayer chez eux avant de regarder chez leur voisin...

En synthèse, si les paradis fiscaux ont officiellement disparu, ils restent des pays à loi et fiscalité paradisiaques, créant des tentations pour les acteurs économiques qu'ils soient individus ou entreprises. Certains acteurs enfreignent les lois de leur pays d'origine, en particulier en matière d'évasion fiscale, mais la plupart les respectent. La vraie question soulevée concerne la légitimité perçue des investissements dans ces pays. Au final, ces pays paradisiaques cristallisent l'attention parce qu'ils sont révélateurs, au sein de notre monde économique, de la distanciation perçue entre loi et morale, alors que chacun sait que toute loi est censée être fondée sur la morale.

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