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Prière à Saguenay: un jugement qui ne règle rien

«» À lire ce passage sur le maire Jean Tremblay, on pourrait croire que la Cour d'appel a confirmé la décision du Tribunal des droits de la personne et maintenu l'interdiction de réciter la prière à l'hôtel de ville de Saguenay. Or, il n'en est rien.
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Agence QMI

«Manifestement, il s'agit d'une attitude engagée qui remet en cause, du moins en apparence, la neutralité religieuse de la ville et de celle de ses représentants. Cette conduite constitue une adhésion publique indéniable au catholicisme.»

À lire ce passage sur le maire Jean Tremblay, on pourrait croire que la Cour d'appel a confirmé la décision du Tribunal des droits de la personne et maintenu l'interdiction de réciter la prière à l'hôtel de ville de Saguenay. Or, il n'en est rien. La Cour, sous la plume du juge Guy Gagnon, condamne «l'intransigeance» de Jean Tremblay et «l'absence de réserve élémentaire de la part de celui qui occupe une fonction élective et participe sur une base quotidienne à la gouvernance de la ville». Elle reconnait «qu'on ne saurait reprocher à un citoyen qui croit aux valeurs fondamentales consacrées par la Charte de se sentir atteint par les attitudes et les déclarations d'un élu dont on s'attend à ce qu'il s'acquitte de son mandat sans avoir à afficher ses convictions religieuses».

Elle conclut pourtant que le plaignant n'a pas été victime de discrimination et que «la neutralité de la ville ne s'est pas trouvée pour autant compromise par des références à son patrimoine historique» comme la prière et la présence de signes religieux où siège le conseil municipal.

Une dénonciation de la laïcité absolue de l'État

Après avoir constaté qu'il n'existe pas au Québec de Charte de la laïcité «qui pourrait permettre d'apprécier ce qu'est un état neutre au plan religieux», le juge Gagnon soutient qu'un état neutre signifie essentiellement qu'aucune vue religieuse n'est imposée à ses citoyens et que la neutralité absolue de l'État ne semble pas envisageable d'un point de vue constitutionnel. Il affirme que «la laïcité intégrale ne fait pas partie des projections fondamentales énumérées par la Charte», que « cette idée n'est pas davantage sous-jacente dans la forme négative de la liberté de religion» et que la vision de la laïcité du Mouvement laïque québécois (MLQ) constitue «une forme d'absolutisme dont la mise en œuvre rend pratiquement impossible la conciliation des différentes valeurs protégées par la Charte.»

Le billet se poursuit après la galerie

Deux motifs principaux servent de fondement à l'argumentation du juge Gagnon: le concept de «prière théiste» et le principe de «tradition historique». Le premier point est le reflet de l'opinion des deux experts de la ville. Ces derniers soutiennent ainsi que la prière du maire Tremblay n'est pas une prière convenant uniquement aux chrétiens, mais qu'elle s'inscrit plutôt dans un courant de «modernité théiste», dont la fonction est de solenniser l'ouverture de l'assemblée. En invoquant le fait que la jurisprudence canadienne a reconnu ce concept de «prière théiste», neutre en apparence, le juge adhère à cette thèse et conclut que les valeurs exprimées par la prière de Jean Tremblay sont universelles, «comme celles de la prière récitée à la Chambre des communes».

Le juge assimile en second lieu la prière à une «tradition historique», semblable à l'hymne national et à la croix du Mont-Royal. Il considère que, tant la référence à Dieu dans le préambule de la Charte canadienne, la protection qu'elle accorde aux écoles laïques et confessionnelles et les déclarations des parlementaires sur la présence du crucifix de Duplessis à l'Assemblée nationale, entraînent l'exclusion apparente de laïcité intégrale dans le contexte historique du Québec.

Une porte ouverte à un autre recours

Alors qu'elle insiste sur l'importance d'analyser les droits fondamentaux, en prenant en considération la tradition culturelle et historique de la société dans laquelle ces droits sont invoqués, la Cour choisit toutefois d'ignorer volontairement le contexte particulier dans laquelle la prière du maire Tremblay est récitée. Si le juge Gagnon dénonce l'attitude du maire Tremblay, il souligne toutefois «qu'une personne raisonnable, bien renseignée et consciente des valeurs implicites qui sous-tendent ce concept ne pourrait en l'espèce accepter l'idée que l'activité étatique de la ville, du fait de cette prière, était sous l'influence d'une religion particulière.» De surcroit, il mentionne à plusieurs reprise que même s'il y avait eu preuve de coercition sur les convictions morales du plaignant, cette atteinte à ses principes de vie serait négligeable.

Pourtant, si une manifestation religieuse doit s'apprécier dans sa conjoncture historique, ne doit-elle pas aussi s'apprécier dans son contexte factuel ponctuel? La déclaration de Jean Tremblay, qui rappelait que «ce combat là, je le fais parce que j'adore le Christ», n'est-elle pas significative de la portée qu'entend donner le maire à sa prière? Le juge souligne d'ailleurs le fait que le signe de croix du maire donne l'apparence d'une remise en cause de la neutralité religieuse de la ville, mais il choisit de dissocier ce geste de la prière en elle-même.

Il y a pourtant manifestement une différence entre une référence traditionnelle à une puissance divine dans un hymne national, à une croix installée il y a plus de 80 ans sur une colline et à un symbole religieux utilisé par une autorité publique en fonction. La commission Bouchard-Taylor, que cite le tribunal, avait elle même recommandé le retrait du crucifix installé par Maurice Duplessis à l'Assemblée nationale pour «sceller le pacte entre l'Église et l'État». Lorsqu'un maire récite une prière dans ses fonctions, il y a plus qu'un symbole historique. Avec déférence pour la Cour qui a adhéré aux opinions des experts de la Ville de Saguenay, les mots mêmes de cette prière et les déclarations du maire démontrent de plus que cette prière est bien une prière monothéiste récitée dans un contexte catholique.

Les limites des recours judiciaires étant ce qu'ils sont, la Cour devait de toute façon se borner à analyser la question sous l'angle de la discrimination selon la Charte des droits et libertés. Le juge Gagnon ne manque toutefois pas d'inviter les plaignants potentiels à intenter un autre recours en Cour supérieure pour soulever l'invalidité du règlement de Saguenay sur la prière, au motif qu'il excéderait les compétences des municipalités. En attendant un tel procès, nul doute que le gouvernement Marois prendra bonne note de l'argumentaire de ce jugement sur la tradition historique des États dans la préparation de sa «Charte des valeurs québécoises»

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