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À l'ère digitale, qu'est-ce que la monnaie?

Cet univers-là, l'univers digital, est-il neutre à l'égard de la monnaie?
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Première partie

On n'aurait pas ajouté "à l'ère digitale", la question aurait été "fusillée" à peine émise! La monnaie fait partie des évidences économiques. Ses caractéristiques sont connues depuis, dit-on, qu'Aristote a bien voulu s'y intéresser. Tout le monde l'a rencontrée depuis les puissances économiques de ce monde jusqu'au sans-abri du coin de la rue dont la sébile doit se remplir de pièces de monnaie. La messe est donc dite depuis longtemps. C'est pourquoi on a pris la précaution d'ajouter "à l'ère digitale"!

En introduisant cette nuance a-t-on déplacé le problème de la nature de la monnaie ou modifié les raisonnements qui conduisent à la définition de cette nature? Si la nature de la monnaie fait partie comme on l'a souligné plus haut des évidences économiques, en quoi "l'ère digitale" permet d'introduire un questionnement? Ou bien, il faudrait admettre que la nature de la monnaie, telle qu'elle est aujourd'hui définie, soit contingente. Elle serait relative à certains évènements, à certains systèmes de pensée, voire à certains états de la technologie et de la connaissance scientifique.

Les lignes qui suivent se posent donc comme une pensée sur cette question "à l'ère digitale, qu'est-ce que la monnaie"?

Repenser la monnaie?

Avant d'arriver à l'ère digitale, la revue des idées qui portent la monnaie ou gravitent alentour, présente une difficulté: penser la monnaie d'hier avec les idées de la monnaie d'aujourd'hui parait une entreprise aussi vaine que de penser l'astronomie chaldéenne avec les idées de l'astrophysique contemporaine.

En fait, de nombreux historiens ou observateurs de la vie sociale, cherchant les origines ou s'efforçant de montrer une "universalité" utilisent le vocable «monnaie" dans le contexte de sociétés où les transactions commerciales sont infinitésimales et, quand elles ont lieu, relèvent davantage du domaine de la diplomatie et du religieux que du domaine commercial et privé. On n'hésite pas à parler de monnaie, comme si la nature des transactions et leur place dans la société concernée n'avaient pas d'effet sur la nature de cette dernière. Quelques historiens ont conféré à quelques monnaies d'il y a très longtemps les noms prudents de paléo-monnaies, de proto-monnaies, etc.

Dans la foulée de ces "extensions" du domaine de la monnaie, on peut lire parfois que les objets utilisés comme "monnaies" ont tous en commun de n'avoir aucune utilité... Sans que la question de l'utilité soit adressée: qui dit qu'il y a ou non utilité? L'observateur ou l'observé? Cette assertion est si peu pertinente qu'il n'est pas rare de lire dans de nombreux manuels, récents ou anciens, que "les premières monnaies ont été des marchandises répondant à un besoin répandu"!

Décidément, la nature de la monnaie est complexe! Il faut ajouter que les monnaies, y compris les plus antiques sont jaugées selon les trois fonctions identifiées par l'illustre Aristote (qui n'a pas toujours été très heureux dans ses idées scientifiques: grâce à lui et jusqu'à Kepler, l'Occident a regardé le soleil tourner autour de la terre). Depuis que la monnaie est l'objet de pensées, on ne cesse de rappeler que la monnaie comporte trois fonctions comme Aristote l'avait si bien dit: instrument de valorisation, de conservation de valeur, et de transaction.

Quelques originaux ont, un temps, imaginé qu'il y en avait quatre, mais, la tradition étant la tradition, la trinité monétaire a triomphé. Ceci conduit directement à la remarque suivante: si la trinité monétaire aristotélicienne a tenu jusqu'à nos jours, y compris sous les cieux musulmans, n'est-il pas étrange sinon audacieux que de poser la question "qu'est-ce que la monnaie?". Quand on connaît l'évolution fantastique de la pensée monétaire, de sa pratique et des technologies monétaires depuis Aristote, quel sens cela a-t-il de s'interroger sur les trois fonctions? N'ont-elles pas "tenu" 3000 ans? N'ont-elles pas été le support d'une pensée économique en progression constante dans sa scientificité et sa pertinence depuis près de 500 ans?

Pareilles remarques nous renvoient à la fiabilité de l'astrophysique aristotélicienne! Et elles nous renvoient aussi au fait que la science est faite de la mise en cause de systèmes qu'on croyait universels et définitifs. Repenser la monnaie n'est pas sacrilège. En revanche, mentionner un changement technologique considérable, en précisant: "à l'ère numérique" invite à accélérer le mouvement!

Penser la monnaie, est-ce penser l'état des technologies?

On peut lancer ce travail de "repensée" en usant d'une boutade: "On ne peut pas penser plus loin que la technologie dans laquelle on baigne". Certaines idées peuvent voler au-dessus des plus belles têtes, si leur concrétisation ne se peut faire parce que la technologie utile n'est pas disponible ces idées n'avanceront pas. Le papier-monnaie est inventé en Chine bien avant qu'il n'apparaisse en Europe, pour la simple raison que les technologies relatives à la fabrication du papier étant opérationnelles, le papier y était couramment disponible. La généralisation de la monnaie scripturale n'aurait pas été concevable sans l'informatique et avec elle l'apparition de la banque moderne. L'explosion des techniques financières contemporaines, dont celles qui relèvent du High speed trading et de la mise en œuvre de robots dotés de capacité de calculs algorithmiques, sont le sous-produit direct de la mise en ligne globale et massive d'ordinateurs à la puissance de calcul considérable et de l'interconnexion quasi généralisée des réseaux informatiques.

Cet univers-là, l'univers digital, est-il neutre à l'égard de la monnaie? Ne porte-t-il pas atteinte à l'antique conception aristotélicienne? Peut-on imaginer qu'il en fasse exploser les composants comme les savants se sont ingéniés à casser les atomes et à les recomposer en d'autres éléments? Avant d'envisager une révolution anti-aristotélicienne, ne faut-il pas revenir sur la "nature" de la monnaie.

Ce faisant, il faudra insister sur le fait qu'elle est le plus souvent définie par ce "qu'elle peut faire" (les trois fonctions) et non comme le serait une "monnaie en soi", un être de la monnaie. Pour caricaturer, se contenter d'une définition "fonctionnelle" devrait conduire à penser que chaque fois qu'un bien matériel ou immatériel est capable d'assumer les fameuses trois fonctions, on se trouve en face d'une manifestation de la monnaie. Inversement, ne serait pas monnaie, quoique l'apparence puisse le laisser penser, un billet de banque dans un univers inflationniste de type "Hyperinflation allemande". Enfin, serait-il une monnaie, le billet de banque qu'un explorateur sortirait de son portefeuille pour s'offrir quelques denrées alimentaires dans la forêt amazonienne auprès d'une famille indienne isolée depuis plus de cinq siècles? Pourquoi, perdrait-il sa qualité de monnaie, ici, dans cet univers alors qu'à quelques encablures, on tuerait son porteur pour le lui voler? Faut-il alors imaginer qu'à s'en tenir aux trois fonctions, on rate quelque chose sur la nature de la monnaie.

En somme, si cette façon de définir la monnaie était abusive, quand dirait-on qu'il y a monnaie? Quel serait son utilité et surtout, quel outil viendrait s'y substituer? S'agirait-il d'un outil ou d'un moyen de s'en passer?

Prochain article: Qu'est-ce que payer?

Pascal Ordonneau - Le retour de l'Empire Allemand ou le Modèle Imaginaire chez JFE éditions.

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