Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

L'Allemagne coupable du Brexit

Le Brexit n'est pas à proprement parler une affaire européenne. C'est pire. C'est une vraie affaire anglaise. Il serait commode de renvoyer la Grande-Bretagne à ses doutes, incertitudes et fractures sans passer un peu de temps à se demander si l'Europe n'a pas ajouté du piment sur quelques plaies.
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.

Le Brexit n'est pas à proprement parler une affaire européenne. C'est pire. C'est une vraie affaire anglaise. Il serait commode de renvoyer la Grande-Bretagne à ses doutes, incertitudes et fractures sans passer un peu de temps à se demander si l'Europe n'a pas ajouté du piment sur quelques plaies. Europe? Elle a encore bon dos, l'Europe! Évoquons le rôle de l'Allemagne tout simplement.

Angela ou la revanche des Ossis

Il fallait être ou aveugle ou délibérément provocateur pour lancer la sinistre affaire du million de réfugiés. Les années à venir seront l'occasion d'exégèses multiples pour comprendre comment les Allemands en sont venus à poser, seuls contre tous, l'Europe comme terre d'exil par excellence.

L'attitude d'Angela Merkel, agissant sans concertation, est en elle-même une sorte de mystère. Fille de pasteur, ont dit les uns, elle aurait voulu aller aussi loin dans la charité chrétienne que son père. Fille de l'Est, disent les autres, elle aurait su ce qu'accueil veut ou ne veut pas dire quand les barrières sont tombées, quand la réunification a pu avoir lieu et quand les "vieux allemands", tous ceux qui s'étaient installés dans les pays de l'Est au XVIIIe siècle ont voulu revenir dans une mère patrie culturelle. Fille de l'Allemagne: elle aurait voulu que l'accueil qu'on lui réservât, en tant qu'Ossi, les Allemands le réserve aux autres, aux Syriens, aux Kurdes victimes des fous de l'Islam.

D'autres disent que c'est justement la mauvaise expérience qu'elle aurait vécue lors de la réunification qui l'aurait conduite à lancer un pavé dans la mare. On sait maintenant que les Allemands de l'Est, une fois réunifiés, étaient devenus des citoyens de seconde zone. La preuve en fut administrée par la mise en faillite de l'ensemble des activités économiques est-allemandes, de l'ensemble des services sociaux et des services culturels.

Le résultat fut un chômage massif doublé de drames immobiliers dont on ne parle plus: occupants est-allemands expulsés de leurs appartements en raison du retour des propriétaires légitimes. Le résultat de cette magnifique opération nationale et humanitaire fut la mise au rebut d'une génération d'Allemands qui avaient eu le malheur de ne pas naître au bon endroit.

On dit qu'Angela Merkel aurait voulu que les riches Allemands, les länder de l'Ouest, fortunés et repus soient mis en face des réalités, eux qui avaient vécu dans le confort de la couveuse européenne. Le sauvetage des Syriens de la Chancelière devenait la revanche des Ossis.

L'ouverture ou la refondation de l'Allemagne

Mais aussi, Angela Merkel n'a-t-elle pas cédé à la pression qu'on évoquait plus haut, celle qui vient du déclin démographique de l'Allemagne et de la tendance naturelle qui s'inscrit depuis un quart de siècle: la montée en force des minorités d'origine turque et kurde, de confession musulmane. Enquêtes, études, livres de vulgarisation de toutes sortes se sont succédé depuis un quart de siècle pour annoncer, puis dénoncer, la montée régulière, presque implacable des "gastarbeiter" puis de leurs enfants et, maintenant, de leurs petits-enfants dans la population allemande totale.

On a montré dans le précédent article qu'un frémissement du taux de natalité allemande avait été salué par la presse. L'Allemagne, enfin, faisait des enfants, si ce n'est que la part des "hôtes" et de leur descendance dans les naissances est devenue pratiquement à parité... alors qu'ils sont encore fortement minoritaires.

Dans ces conditions où se trouve le calcul d'Angela Merkel ? La part de plus en plus importante des "hôtes" puis des Allemands d'obédience musulmane dans la population n'aurait-elle pas dû pousser la chancelière à favoriser l'arrivée massive de populations moins "diverses". Hélas, l'urgence démographique était là: une population active en régression, des industriels qui ne trouvent plus les ouvriers qui leur sont nécessaires, mais aussi, le risque d'être tributaire de la Turquie pour l'approvisionnement en ressources humaines et celui d'importer ses conflits internes, les Kurdes en particulier.

Les Syriens, malheureux et souffrants devenaient une sorte d'aubaine: l'Allemagne se montrait à la fois capable d'écouter la souffrance du monde et de capable d'accueillir des populations pour rééquilibrer la structure des populations "hôtes".

Essayons d'être futurologues et de nous mettre dans les pensées d'Angela Merkel: ne vise-t-elle pas très loin, plus loin que le seul souci de voir l'Allemagne des Allemands rayée de la carte ? N'y-a-il pas de sa part une sorte de lucidité à très long terme: puisque les Allemands vont manquer à l'Allemagne, ne peut-on pas essayer de sauver l'Allemagne en la confiant à d'autres hommes venus d'autres lieux. Il s'agirait dans l'esprit de la Chancelière ni plus ni moins de réinventer une Allemagne: elle ne serait plus peuple, mais pensée, culture, civilisation.

Refondation ou passoire

Doit-on revenir au passé d'Angela Merkel et à sa formation "protestante" pour comprendre que ce projet ne saurait être le projet de la seule Allemagne ? L'Allemagne moderne, on le sent bien depuis que la crise a éclaté, depuis que l'économie allemande s'est rétablie, est à la tête de l'Europe. Pourquoi n'en serait-elle pas la tête pensante ? Elle a les moyens des ambitions européennes. Le trio Merkel-Schäuble-Weidmann marche bien. Il y a ici et là des zones de résistance: la BCE par exemple. Mais ce n'est qu'une taupinière. Et sûrement bientôt, un Allemand en prendra la direction.

Pourtant, la beauté des raisonnements et la pureté des intentions allemandes n'ont pas été compris. Les processions de migrants venant du Sud pour se diriger vers le nord et s'arrêtant parfois en chemin n'ont eu pour effet que déclencher hostilités et désordres.

L'attitude anticipatrice d'Angela Merkel a eu pour résultat que l'espace Schengen a explosé et que l'édifice européen vacille. Les chocs migratoires ont été autant de coups de boutoirs. La première muraille qui est tombée est celle de la nation la moins qui s'est le moins impliquée dans le mouvement de fondation européenne.

Il faut quand même, au-delà de la terminologie employée, se souvenir que c'est d'un pays qui n'était ni dans "Schengen" ni dans l'Euro que vient la menace la plus foudroyante. Le Brexit c'est le départ d'un non-membre de l'Union Européenne.

Mais dans le même temps c'est un message fort à l'Europe dont l'Allemagne s'efforce de faire sa "chose". L'Allemagne, et la transformation de l'Europe en passoire, l'Allemagne et sa doctrine "regardez-moi qui suis si impeccable et propre sur moi, faites la même chose et ne discutez pas"; l'Allemagne, incapable de mettre son économie dans une position contributive; L'Allemagne est directement responsable du départ de l'Angleterre.

Chacun pourra commenter le Brexit en expliquant qu'il est le fruit de l'irresponsabilité des élites anglaises, de l'aveuglement qui consiste à laisser le champ libre à l'enrichissement des riches et l'appauvrissement des pauvres, de l'obsession du Grand Londres, place financière internationale, avec ses gratte-ciels superstars et ses traders à bonus.

On ne dira pas assez que le Brexit est aussi la conséquence d'une sorte de peur au ventre, celle qui prend les gens penchés à leurs fenêtres et qui voient dans le lointain s'approcher des hordes de malheureux. On ne dira pas assez que la combinaison funeste d'arrogance politico-économique et de prétention civilisationnelle venue d'Allemagne a joué le rôle de l'allumette.

Bien sûr les Allemands ne sont pas responsables du remugle explosif que les Anglais ont adoré laisser décanter comme on fait vieillir un vieux "blend". Mais, ils ont tellement adoré montrer aux Européens que les anciens vaincus étaient finalement vainqueurs qu'ils ont brandi leurs allumettes sans conscience des risques attachés.

Et cela a donné le Brexit.

Pascal Ordonneau - Le retour de l'Empire Allemand ou le Modèle Imaginaire chez JFE éditions.

2014-10-09-image.jpg

VOIR AUSSI SUR LE HUFFPOST

Mai 2017

Les billets de blogue les plus lus sur le HuffPost

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.