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Gentilly-2, les leçons d'un carré rouge

Je suis heureux de voir les employés de Gentilly-2 prendre la rue et se choquer, pas parce que je supporte le nucléaire, mais parce qu'au-delà de la décision économique et environnementale de fermer ou non la centrale, il y a des individus que l'on oublie. Peut-être que si Gentilly-2 brasse suffisamment, peut-être, qu'on y repensera deux fois avant de créer des emplois sans durée. Peut-être que les gouvernements vont se garder une petite gêne avant de développer des projets dans l'instantanée, sans continuité, sans durabilité.
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Un jour, si vous passez par Québec, il est possible que vous passiez par la rue Saint-Jean. Quelque part sur cette rue semi-touristique, mais pas trop, il y a la librairie Saint-Jean Baptiste, un chouette petit endroit pour jouer aux échecs, prendre une bière et lire un livre. Il a même de parfaites petites pizzas super appréciables.

Puis dans cette ambiance des plus particulières, vous irez voir le libraire et lui demanderez de vous recommander un livre à lire. Si vous êtes chanceux, il vous recommandera La Vingt-cinquième heurede Virgil Gheorghiu, un livre un peu trop circulaire, un peu trop prévisible, mais un livre qu'il faut comprendre.

La Vingt-cinquième heure raconte l'histoire d'un paysan que l'on dénonce comme juif dans un village roumain du milieu des années 30. Dès lors, le livre tourne en rond et nous présente l'absurde parcours de l'homme que l'on déshumanise dans une bureaucratie étatique implacable.

L'homme déshumanisé, l'homme comme composante d'une statistique, une ressource humaine, renouvelable, interchangeable et classifiable.

Au printemps dernier, les étudiants sont sortis dans la rue contre cette déshumanisation, l'accessibilité aux études en figure de proue, les étudiants ont effleuré la question du : «pourquoi l'éducation?». Au-delà de la question de combien elle devrait coûter, cette réflexion laissait transparaitre que peut-être les étudiants ne devraient plus être compté* comme des éléments comptables et normatif, mais comme des êtres humains.

C'est le problème des prêts et bourses, le problème de tout système bureaucratique, par sa nature, une bureaucratie applique des règles, des standards et des normes, ainsi, une condition A appelle à une réaction B, peu importe le C, le D, le E et le reste de l'alphabet, A appelle à B. Tout système bureaucratique exclut donc d'office certains individus par leur appartenance légitime ou non à une norme quelconque.

Tes parents font de l'argent, ils doivent te donner un montant X, le système pourrait être perfectible, il pourrait inclure des exclusions, des exceptions, il resterait que ces exclusions seraient dès lors balisées dans un cadre qui déterminerait l'application de ces exceptions. L'individu n'est plus alors humain et il devient une composante d'un système qui ne lui reconnait qu'une appartenance statistique à un regroupement précis.

Ce goût de défaite que plusieurs étudiants ont en bouche, c'est un peu de là qu'il vient. L'éducation reste plus accessible que si la hausse avait eu lieu, mais sa nature profonde n'a été que confirmée. Une session en 5 semaines, 5 semaines pour apprendre ce qui s'apprend en 15, ce n'est pas une affirmation de la valeur intrinsèque de l'éducation, c'est une affirmation de la nécessité économique de voir les étudiants franchir les jalons qui les mèneront aux portes du marché du travail.

La session écourtée qui vient de prendre fin, c'est la confirmation que notre système d'éducation ne vise pas à éduquer, mais à former des ressources humaines spécialisées. Et c'est un peu contre ça que les rues de Montréal ont eu une allure de guerre civile, parce qu'il y avait ce besoin chez certain de réaffirmer profondément qu'ils sont autre chose qu'un ensemble de classe et de catégorie, qu'ils sont autre chose que des risques économiques couplés à une nécessité sociale.

Il y avait dans la colère qui animait les rues du Québec cette même essence qui anime tous les soulèvements, les révoltes et les grèves du monde, une opposition directe à l'aliénation de la nature complexe de l'humain.

C'est pour cette raison que je suis heureux de voir les employés de Gentilly-2 prendre la rue et se choquer, pas parce que je supporte le nucléaire, mais parce qu'au-delà de la décision économique et environnementale de fermer ou non la centrale, il y a des individus que l'on oublie. Encore une fois.

Dans La Vingt-cinquième heure, le personnage principal, Ion Morritz lance un questionnement sur les raisons de ses multiples transferts d'un camp de travail à un autre, d'une incarcération à une autre. Il commence cependant son témoignage par cette affirmation : «De toute ma vie, je n'ai désiré que peu de choses : pouvoir travailler, avoir où m'abriter avec ma femme et mes enfants et avoir de quoi manger. C'est à cause de cela que vous m'avez arrêté?»

Les travailleurs de Gentilly-2 ne sont pas dehors pour réclamer plus de déchet nucléaire ou encore que des milliards de dollars soient sacrifiés en vain, ils lèvent le ton parce que derrière la décision du gouvernement de Pauline Marois, il y a cette même renonciation à leur humanité.

La décision financière et environnementale demande de fermer la centrale, il est effectivement aberrant de la maintenir en activité, mais que les gens manifestent et se mobilisent devrait être salué par l'ensemble des acteurs militants pour des changements.

Parce que même s'il faut fermer Gentilly-2, la question n'est pas pro-nucléaire contre anti-nucléaire, pas plus qu'elle fut pro-hausse contre anti-hausse, la question est celle de l'affirmation de l'humain dans sa toute complexe individualité contre un système qui tend à l'oublier.

Puis peut-être que si Gentilly-2 brasse suffisamment, peut-être, qu'on y repensera deux fois avant de créer des emplois sans durée. Peut-être que les gouvernements vont se garder une petite gêne avant de développer des projets dans l'instantanée, sans continuité, sans durabilité.

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