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Les valeurs illibérales à l'est menacent-elles l'unité européenne?

C'est dans les conflits et la crise que les failles et les contradictions ressortent.
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L'adhésion des pays de l'Europe orientale aux valeurs européennes n'était pas remise en cause jusqu'à tout récemment. Incrédule, l'Europe occidentale regarde les Est-Européens fermer leurs portes à ceux qui fuient la guerre et instaurer des régimes que la presse qualifie de «xénophobes». La Hongrie remporte la palme de la cruauté, suivie de près par la Pologne qui, suite à l'élection d'un gouvernement national-conservateur et catholique en 2015, retourne au mode de gouvernance qui serait autoritaire, de style soviétique ou fasciste, selon l'observateur.

Jiri Pehe, analyste politique basé à Prague, est d'avis que les «développements politiques en Pologne montrent à quel point la compréhension de la démocratie est limitée dans la plupart des pays post-communistes». Selon lui, de «larges segments de ces sociétés désirent avoir des leaders autocratiques». Bref, à l'est, de «mauvais élèves» se dotent de régimes qu'on assimile à ceux de la Russie de Poutine et de la Turquie d'Erdoğan.

On observe ainsi la mise en place de «démocraties illibérales» où les élections ont lieu, mais où les libertés civiles sont limitées. La Hongrie et la Pologne se caractériseraient par la «tyrannie de la majorité» où on tend à assimiler le pouvoir de la majorité élue avec la volonté générale. Le fait majoritaire donne le mandat apparent au comportement «dictatorial» du gouvernement. La légitimité optimale de la démocratie majoritaire dépend du degré de l'unité et des valeurs communes. Cette Europe orientale ethno-nationale menacerait l'unité européenne.

Certes, les développements à l'est peuvent inquiéter. Mais sommes-nous devant un mur entre l'ouest et l'est, ou les développements à l'est participent plutôt à un phénomène européen généralisé? Au-delà des récits et adjectifs alarmants, il est temps de chercher à comprendre et à tempérer l'«hystérie politique» et médiatique qui irrite les Est-Européens davantage.

Traumatismes historiques à la source des valeurs illibérales?

Les efforts déployés pour défendre la souveraineté de la nation et son homogénéité peuvent paraître pour le moins dépassés. Au cours de l'histoire, les frontières dans la région ont changé comme nulle part ailleurs. Des pays apparaissent, en absorbent d'autres, sont annexés à leur tour pour disparaître ensuite de la carte et réapparaître plus tard dans un endroit différent. Pendant ce temps, les populations apprennent des langues qui leur sont imposées mais qu'elles doivent oublier lorsque leur maison se retrouve au sein d'une autre frontière. L'homogénéité ethnique est vue du coup comme un atout pour prévenir la désintégration de l'État.

Zone d'émigration, l'est n'a pas connu les bénéfices associés au flux migratoire des années 1960-1970. Ces sociétés «n'ont pas confiance dans le modèle occidental d'une société multiculturelle. Ils regardent, selon Jacques Rupnik, politologue à Sciences Po, ce qui se passe en Europe de l'ouest plutôt [avec] aversion».

Bien que l'expérience historique forme les identités, la perspective purement historique tourne trop facilement au déterminisme: l'est est illibéral et ethnocentrique ; l'ouest, libéral et civique. La Pologne était pourtant «exemplaire» en termes de valeurs occidentales... jusqu'en 2015 et l'élection du gouvernement du parti Droit et justice (PiS). Valeurs illibérales ou ras-le-bol?

Désenchantement avec les élites au pouvoir

Après huit ans de gouvernement libéral du parti Plateforme civique (PO), les électeurs sont allés aux urnes en octobre 2015 pour le remplacer par PiS. Notons cependant qu'au 1er tour des présidentielles du mois de mai, Kukiz, populiste et antisystème, a été appuyé par 21 % des électeurs. Une bonne partie des Polonais ne bénéficie pas de la croissance économique. Depuis 2004, deux millions de Polonais ont émigré à la recherche d'opportunités économiques, donnant lieu au stéréotype du «plombier polonais». On vote le changement.

PiS a gagné une majorité absolue au Parlement et maintient un appui confortable (38 % en avril, en augmentation de 4 % depuis mars). Pendant qu'il est accusé, sur l'arène européenne notamment, de renverser l'ordre constitutionnel et de purger les médias publics, on oublie la vue d'ensemble.

La bureaucratie dysfonctionnelle, les institutions publiques investies par des alliances informelles des élites du triangle business-politique-médias, nécessitaient un renouvellement. Les électeurs voulaient en finir avec le copinage, et c'est ce que PiS leur avait promis. Est-ce que les mesures prises par PiS sont adéquates ; est-ce qu'elles ne reproduisent pas le système, à l'avantage de PiS cette fois-ci? Critiquons les mesures concrètes, pas l'idée du ménage en soi.

Le désenchantement avec les élites au pouvoir n'est pas étranger à d'autres pays du Vieux Continent. Avec le déficit démocratique, la montée des mouvements antisystèmes et d'indignation, l'arène politique de la démocratie en Europe se déplace dans la rue, ici comme ailleurs. Certains revendiquent plus de transparence et d'égalité socio-économique, d'autres plus de souveraineté. En Pologne comme en Hollande ou en Grande Bretagne.

Désenchantement avec l'Europe

Partout en Europe, une défiance se fait sentir envers les institutions de l'Union européenne. Cet euroscepticisme est partagé par PiS et d'autres gouvernements à l'est. Avec raison ou pas, les citoyens est-européens ont une impression constante d'un traitement «deux poids, deux mesures». Les appels de la chancelière Angela Merkel à la solidarité et à l'unité européennes sonnent faux à leurs oreilles. La Pologne et les pays baltes ont une rancœur toute particulière concernant le gazoduc Nord Stream reliant la Russie à l'Allemagne via la mer Baltique. Il contourne les pays est-européens en minant ainsi, selon ces derniers, leur sécurité face à la Russie. Il empêche également le développement du port polonais de Świnoujście, qui ne pourra plus accueillir de gros bateaux. La solidarité et l'unité, pour les Est-Européens, semble une affaire à sens unique.

La division est-ouest se creuserait davantage dans la crise des réfugiés. Bien que la Hongrie de Orbán tienne un discours nettement plus extrême et extrémiste, le Danemark introduit des mesures tout aussi controversées pour rendre le pays «moins attrayant» aux réfugiés. L'Espagne maintient depuis une dizaine d'années des barrières barbelées de six mètres de haut entourant ses enclaves de Ceuta et de Melilla en Afrique du Nord. Jusqu'en 2015, l'Allemagne considérait que les réfugiés étaient le problème des États de leur première arrivée. L'idée d'un système de quotas est apparue, selon les médias polonais, seulement lorsque l'Office fédéral pour la migration et les réfugiés (BAMF) a émis des prévisions du nombre de réfugiés à venir en Allemagne. Parler de l'Europe de l'Est comme d'un bloc aux pratiques incompatibles et complètement à part, relève, selon les Est-Européens, de l'hypocrisie.

Même s'ils s'entendent à présent sur les mesures à prendre (ou ne pas prendre) dans la crise des réfugiés, les pays de l'est ne constituent pas un bloc idéologique et culturel. Ces pays ont des divergences majeures sur des dossiers comme les relations avec la Russie ou l'Allemagne, ou sur l'appartenance à la zone euro.

Pour eux, l'Europe est avant tout un projet de sécurité et d'économie. En adhérant à l'UE et à l'OTAN, on mitige le danger principal qu'est la Russie. Les Est-Européens ne peuvent plus se passer des marchés européens ; non plus des fonds venus de Bruxelles. Outre les raisons économiques, la mobilité des personnes au sein de l'espace Schengen a une valeur hautement symbolique.

C'est dans les conflits et la crise que les failles et les contradictions ressortent. L'Europe de l'Est en soi ne menace pas l'unité européenne. Mais elle donne et continuera de donner des maux de tête.

Magdalena Dembinska

Professeure de science politique, Université de Montréal

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