Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Voltaire serait-il plus «musulman» que certains musulmans?

Depuis 15 ans, nul n'a autant porté atteinte à Mohamed que les musulmans eux-mêmes. A plus forte raison les intégristes et les terroristes auto-désignés soldats d'Allah et gladiateurs du prophète.
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.

« On ne me fouettera jamais pour avoir écrit ce texte. Raif Badawi, lui, a été condamné à 1000 coups de fouet et 10 ans prison pour avoir blogué. »

La dernière caricature du prophète a encore embrasé le monde musulman de Djakarta à Rabat et d'Islamabad à Mogadiscio. Qu'un caricaturiste ose dessiner un prophète figé dans une sacralité sclérosante, et c'est l'ensemble du monde islamique qui réagit dans une hystérie défensive et vindicative. Plus de différence ni de distance entre le quiétiste et l'intégriste, entre l'élite intellectuelle et la horde inculte, entre les monarchies théocratiques et les républiques semi-laïques, entre l'islam savant et l'islam populaire ou maraboutique. Tous se mobilisent pour dénoncer l'islamophobie occidentale et les ennemis d'Allah. Et pour cause : défendre le prophète, soutenir l'islam, plaider pour la supériorité de sa doctrine sur les autres systèmes religieux ou philosophiques serait un « devoir » religieux.

Au Niger, pays en guerre avec la secte criminelle de Boko Haram et dont la France est l'un des rares pays à soutenir le combat, les manifestants ont brulé le drapeau français et incendié le centre culturel. Ainsi, lorsqu'il s'agit de la sacro-sainte figure prophétique, les barbares de Boko Haram et leurs suppliciés se retrouvent dans la même cause, celle de la « gloire » de l'islam contre le « maléfique » occidental. Qu'importe Boko Haram, accusé de crimes contre l'humanité au Niger et ailleurs. Dans la défense du prophète, on fait cause commune.

Il n'y avait pourtant rien d'injurieux ou de blasphématoire dans cette dernière caricature. L'homme qui pleure et qui dit que « Tout est pardonné » correspond parfaitement à la mansuétude et à la miséricorde d'un prophète que certains musulmans ont mis plus bas que terre. Depuis quinze ans, nul n'a autant porté atteinte à Mohamed que les musulmans eux-mêmes. À plus forte raison les intégristes et les terroristes autodésignés soldats d'Allah et gladiateurs du prophète. Celui-ci n'est pas célébré et imité dans son humanité et son quiétisme, mais idolâtré en tant que divinité, ce qui constitue en islam le blasphème suprême. Mohamed a toujours dit qu'il n'est pas infaillible comme l'est le pape, qu'il n'est qu'un homme parmi les hommes, envoyé par Dieu pour enraciner le monothéisme en Arabie.

Pis encore, le prophète de l'islam est sanctifié en tant que roi, juge et chef de guerre. Déjà en 1925, dans le journal égyptien Al-Siyasa, le grand théologien d'Al-Azhar Ali Abderrazik poussait ce cri d'indignation et de désespoir :

«Ils ont fait de toi un roi, ô Prophète de Dieu, car ils ne reconnaissent aucune dignité plus élevée » !

Bien avant lui, en 1881, un autre grand cheikh d'Al-Azhar, Mohamed Abdou, qui est à l'origine de la renaissance arabo-islamique, a dit :

« En Occident, j'ai rencontré un islam sans musulmans, et lorsque je suis revenu en Orient, j'ai rencontré des musulmans, mais sans islam » !

En d'autres termes, que l'islam est d'abord un état d'esprit basé sur la concorde, le civisme, la politesse et le respect de l'autre ; non guère un culte, mais une culture.

Les hordes fanatisées qui viennent de manifester ne connaissent pas ces deux illustres savants d'Al-Azhar. Ils ont baigné dans une sous-culture religieuse chevillée à une lecture anachronique du Coran, qui n'a jamais interdit la représentation figurée, fut-elle celle du prophète, et sur une Sunna apologétique et à 80% apocryphe. Ils se disent disciples de Mohamed et défenseurs de l'islam, mais ils oublient qu'Allah leur a clairement interdit cette vocation qui relève de la névrose collective plutôt que de la théologie coranique : « C'est Nous qui avons fait descendre la Révélation et c'est Nous qui en sommes les seuls protecteurs » (Sourate 15, verset 9).

C'est au nom de la liberté de pensée, chère à Voltaire, que Charlie Hebdo a publié sa caricature « Tout est pardonné ». Mais l'auteur de ce dessin ne sait peut-être pas que le même Voltaire l'aurait totalement approuvé. Si surprenant que cela puisse paraitre, c'est en effet l'auteur de Mahomet et le fanatisme qui a écrit dans son Essai sur les mœurs et l'esprit des nations que « Tous les interprètes de ce livre (Coran) conviennent que sa morale est contenue dans ces paroles : recherchez qui vous chasse, donnez à qui vous ôtes, pardonnez à qui vous offense, faites du bien à tous, ne contestez point avec les ignorants ». Et c'est le même Voltaire qui écrit dans son Dictionnaire philosophique que «L'Alcoran passe encore aujourd'hui pour le livre le plus élégant et le plus sublime qui ait encore été écrit dans cette langue. Nous avons imputé à l'Alcoran une infinité de sottises qui n'y furent jamais ».

Alors lequel des deux est plus conforme à l'islam et plus en empathie avec Mohamed : Voltaire, le libre penseur et philosophe des Lumières, ou le musulman qui vocifère sa haine sous la bannière noire de Daech et de Boko Haram ? Le caricaturiste de Charlie Hebdo, qui met dans la bouche du prophète « Tout est pardonné », ou l'intégriste qui égorge en Irak et en Syrie au nom du même prophète ?

VOIR AUSSI SUR LE HUFFPOST

Quelques caricatures de Charlie Hebdo

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.