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Ce qu'Obama aurait dû retenir de la présidence Kennedy

Deux présidents différents et deux époques distinctes. Toutefois, plusieurs similarités entre leurs situations et une leçon apprise d'un de ses prédécesseurs que le président contemporain aurait peut-être mieux fait de retenir.
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Deux présidents différents et deux époques distinctes, j'en conviens. Toutefois, plusieurs similarités entre leurs situations et une leçon apprise d'un de ses prédécesseurs que le président contemporain aurait peut-être mieux fait de retenir. On l'aura deviné, les deux situations comparées sont la crise syrienne actuelle et celle des missiles de Cuba de 1962.

Ces deux crises ont tout d'abord en commun qu'elles relèvent bien plus de la crédibilité du président américain et de son haut commandement que de la sécurité nationale (du moins de façon directe), dimension capitale de l'arène politique autant nationale qu'internationale. Sur la crise de 1962, nombreuses sont les études critiques qui déconstruisent ladite menace stratégique et sécuritaire que constituait l'installation de missiles supplémentaires dans les Caraïbes (motif prédominant dans les discours politiques de l'époque). Retenons notamment l'ingénieuse démonstration de Jutta Weldes qui cite à plusieurs reprises les propos de Robert McNamara, alors Secrétaire à la Défense : « En ce qui me concerne, cela ne faisait pas de différence. [...] Quelle différence est-ce qu'une quarantaine de missiles soviétiques supplémentaires auraient apportée au bilan global ? Si ma mémoire ne fait pas défaut, nous avions environ cinq mille ogives nucléaires stratégiques versus trois cents de leur côté. [...] L'équilibre militaire restait inchangé. » (Cité par WELDES, 1996). Qu'à cela ne tienne, il semblait tout de même indispensable aux dirigeants américains d'empêcher le déploiement de cet arsenal soviétique, et ce, parce que la crédibilité de leur superpuissance aurait été mise à mal sur la scène internationale.

La crise syrienne actuelle présente en quelque sorte les mêmes symptômes. La sécurité ainsi que les intérêts stratégiques directs des États-Unis ne sont nullement mis à mal par cette situation qui dure depuis maintenant plus de deux ans. L'utilisation d'armes chimiques aux portes de Damas, pour lesquelles la responsabilité du gouvernement Assad n'a pas encore été prouvée par les inspections de l'ONU, ne change la donne stratégique d'aucune façon. L'équilibre du pouvoir au sein de ce conflit n'en est pas non plus modifié : les forces du gouvernement étaient et restent en position de supériorité, bien qu'embourbées dans une situation dont elles ne voient probablement pas encore l'issue. Toutefois, les propos d'Obama d'août 2012, traçant la ligne rouge au niveau de l'usage d'armes chimiques, le contraignent à agir ou à perdre toute crédibilité internationale dans la gestion de cette crise.

Pour ce qui est de la crédibilité des deux présidents américains sur leur scène nationale respective, les rapprochements sont aussi nombreux. D'un côté, celle de Kennedy subissait encore les conséquences de l'échec du débarquement de la Baie des cochons (1961) ainsi que ses répercussions internes au sein des services de renseignement. De l'autre coté, le style présidentiel considéré comme trop « mou » et manquant de cohérence d'Obama face aux bouleversements des dernières années au Moyen-Orient et en Afrique du Nord (récemment sur la situation égyptienne) ainsi que lors de l'attentat de l'ambassade américaine de Benghazi. Réactions tardives et/ou faibles, vagues, inconsistantes, incohérentes, ainsi sont-elles perçues par nombre d'observateurs.

Ces deux crises ont aussi en commun l'absence de garantie quant aux résultats d'une intervention ou de ses répercussions. En effet, les deux situations présentent les caractéristiques les plus difficiles à gérer au sein des processus de décisions : trop de scénarios catastrophes potentiels, une marge de manœuvre très limitée quant à l'efficacité, une nécessité de réagir dans l'urgence qu'engendrent les nombreuses pressions et finalement, un spectre de choix décisionnels qui ne semble pas proposer «la bonne option» mais plutôt la recherche de la moins pire.

Si le président Obama se retrouve dans cette situation, c'est bien qu'il semble s'être lui-même acculé au pied du mur en traçant une ligne rouge le 20 août 2012 : « Nous avons été très clair avec le régime Assad et les autres acteurs de ce conflit, la ligne rouge est pour nous de constater qu'un tas d'armes chimiques circule ou est utilisé.» Ce type d'ultimatum est évidemment à double tranchant (bien qu'il faille admettre qu'il s'agit là d'un ultimatum assez vague et laissant une importante marge d'interprétation: un tas d'armes? (A whole bunch) Faudrait-il mesurer la quantité d'armes chimiques utilisée ?). D'un côté, la force de dissuasion de tel propos est censée faire reculer l'adversaire, ou du moins limiter ses ardeurs, mais de l'autre coté, il est ensuite quasi-impossible de ne pas réagir si cette limite est franchie tout en «sauvant la face» et sa crédibilité.

Lors de la crise des missiles, Kennedy, dans une situation bien plus délicate que l'actuelle, avait eu la présence d'esprit d'éviter une position de laquelle il ne pourrait s'échapper, ou même de placer son adversaire dans une telle situation. Cela n'empêchait aucunement qu'un message de fermeté se fasse entendre puisqu'il n'était pas question de relâcher le blocus imposé par les bâtiments navals américains. Cette même idée est alors relayée par plusieurs responsables américains de l'époque dont Averell Harriman : « s'il existe une chose que j'ai apprise dans mon métier, c'est de ne pas lancer d'ultimatums. Vous ne pouvez pas mettre l'autre dans une position où il n'existe aucune alternative à l'humiliation.» Aucun belligérant ne peut se permettre de perdre sa crédibilité. Il est dès lors nécessaire de ne pas se mettre dans une situation qui y débouche forcément.

Parallèlement, cet épisode montre qu'une politique de dissuasion reste compatible avec une volonté de sauver la face si elle n'est pas accompagnée d'une démarche ouvertement coercitive. En effet, Robert Kennedy remarquait à propos du président : «Toutes ses délibérations étaient animées par l'effort [...] de ne pas humilier l'Union Soviétique». De même, dans un discours de 1963, J-F Kennedy expliquait une leçon tirée de cette crise : «éviter des affrontements qui pourraient mettre l'adversaire devant le choix d'une défaite humiliante ou d'une guerre».

La leçon est alors à comprendre dans les deux sens : il faut aussi éviter de se mettre devant des choix indésirables et sans issue. On l'aura compris, dans le cas d'Obama, le choix qu'il lui reste désormais est de reculer devant ses propres propos en y perdant encore en crédibilité ou alors de s'engager dans une intervention militaire, quelle qu'en soit la forme. Les seules certitudes dont on dispose ne sont pas positives : pour les États-Unis, elle sera énormément coûteuse dans une situation budgétaire et financière déjà problématique ; sur le terrain, elle déstabilisera encore plus une région déjà très instable, dangereusement explosive et dont personne ne peut encore prédire les conséquences à court, moyen ou long terme. On ne peut s'empêcher de s'interroger sur les raisons pour lesquelles un président d'un tel calibre intellectuel, qui plus est féru de lectures historiques et biographiques, omet une si grande leçon de stratégie.

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