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Amour et argent

La pièce de Dennis Kelly, présentée à La Licorne, traite d'argent. Les personnages en sont obsédés au point d'abandonner des grands pans de leur humanité. Je suis persuadée que, dans la salle, plus d'un spectateur s'est reconnu, sinon dans les gestes posés, du moins dans les pensées qui agitent les personnages.
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Courtoisie

Je ne sais pas pour vous, mais moi j'ai toujours des problèmes d'argent. Le problème principal est qu'il n'y en a jamais assez. Et je ne parle pas d'acheter des trucs luxueux ou des machins superflus qui devraient faire du bien à l'âme (!). Je parle de nécessités, comme faire réparer quelque chose dans la maison alors que c'est, disons, urgent. Je trouve toujours le moyen de m'en sortir, pas toujours élégamment pour le compte en banque, mais je m'en sors. Jusqu'à la prochaine fois où se présentera une autre urgence qui n'était pas prévue.

La plupart des gens que je connais sont impécunieux. C'est dans l'air du temps avec nos salaires qui augmentent de un et demi pour cent par année alors que le prix du beurre et du poulet connait des sommets. Le coiffeur augmente ses tarifs de dix pour cent, le comptable aussi, je lisais récemment qu'en vingt ans la paye mensuelle que je rapporte à la maison a augmenté en tout et pour tout de 89$. Pas étonnant que l'on côtoie toujours le gouffre en matière de finances. Et à moins de me convertir dans la criminalité (vols de banque? Revendeuse de drogue? Escorte de luxe? Non, franchement, ce ne sont pas vraiment des options...) je ne vois pas d'issue. Pauvre je suis, pauvre je vais demeurer.

La pièce de Dennis Kelly, présentée à La Licorne, traite justement de ce sujet. Les personnages sont obsédés par l'argent au point d'y abandonner des grands pans de leur humanité et laissez-moi vous dire que je suis persuadée que, dans la salle, plus d'un spectateur s'est reconnu sinon dans les gestes posés du moins dans les pensées qui agitent les personnages. Car le problème est posé de manière assez perverse : jusqu'où iriez-vous pour faire de l'argent rapidement? Une photo de vous suçant un pénis et mise sur un site internet payant , soit peu de travail et relativement peu d'efforts toute proportion gardée, vous rapporterait 600$. Puisque vous frémissez d'horreur à cette atteinte à votre intégrité physique et au bon goût tout court, vous accepterez donc relativement facilement de vendre votre âme à une compagnie qui charge des taux d'intérêt pharamineux pour des cartes de crédit qu'elle offre à des gens ordinaires et fondamentalement honnêtes qui se rendent compte trop tard qu'ils ont signé un pacte avec le diable. Parce que ce genre d'arnaque est légale, acceptée par tous et cautionnée par les autorités financières ou autres.

Beaucoup de shadenfreude dans cette pièce : la joie grinçante ressentie lorsqu'il arrive des malheurs à mieux nantis que nous...le sourire qui frôle nos lèvres aux nouvelles des épreuves traversées par les plus favorisés...C'est humain, bien sûr. Ce qui l'est moins c'est de se complaire dans la destruction des êtres à qui l'on fait tout perdre matériellement. Car on n'y peut rien, notre identification passe nécessairement par nos possessions matérielles et ce même si l'on tient de beaux et édifiants discours à l'effet que ce n'est pas important, que l'essentiel est invisible pour les yeux etc. etc.

C'est un texte très fort que celui de Dennis Kelly, cet auteur anglais dont la pièce Orphelins avait été présentée à la Licorne l'an dernier, et il est servi par une bande d'excellents comédiens qui lui rendent parfaitement justice. Un mot pour souligner la présence de Danielle Proulx, toujours lumineuse et de Benoît Dagenais que l'on ne voit pas assez souvent. Tous les personnages évoluent dans un décor aseptisé fait de miroirs et laissez-moi vous dire que les dialogues sont suffisamment percutants pour n'avoir besoin d'aucune fioriture pour être mis en valeur. Et l'amour? Ah! L'amour... Il arrive à la fin, il s'incarne tout entier dans le personnage de Jess joué par Marie-Hélène Thibault. Il est entouré de considérations métaphysiques et il nous fait comprendre les liens forts ou ténus qui unissent les protagonistes. C'est un moment déchirant parce qu'on saisit l'ampleur de l'incompréhension, le fossé infranchissable qui sépare le matériel du spirituel. Et le vide qui ronge nos âmes et nos cœurs et que l'on s'acharne à remplir avec des choses qu'on achète.

Amour et Argent est une production du Théâtre Debout et est présenté à La Licorne jusqu'au 20 avril 2013.

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