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Murano, la grande aventure du verre

Transparents ou colorés, torsadés ou craquelés, filigranés ou émaillés, élancés ou arrondis, les verres de Murano se sont déclinés sous toutes les formes depuis plus de sept siècles.
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An example of Murano glass in Venice, Italy.
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An example of Murano glass in Venice, Italy.

Transparents ou colorés, torsadés ou craquelés, filigranés ou émaillés, élancés ou arrondis, les verres de Murano se sont déclinés sous toutes les formes depuis plus de sept siècles, écrivant l'histoire d'un savoir-faire unique qui n'a pas fini de se raconter et de nous surprendre. Pour la première fois en France, l'exposition "FRAGILE, Murano, chefs-d'œuvre de verre de la Renaissance au XXIe siècle" au musée Maillol à Paris présente un échantillon de ces objets d'art si précieux sortis des fours de la petite île de Murano. Un regard croisé, un parcours chronologique, une tradition qui se perpétue.

Calice au "Triomphe de la Justice", XVe siècle, Florence, museo del Bargello

(Crédit : su concessione del Ministero per i Beni e le Attività Culturali)

Dès 1291, un décret interdisait aux maîtres verriers vénitiens de quitter le territoire de la Sérénissime sous peine de confiscation de leurs biens et les obligeait à installer leurs fours à Murano, petite île au nord de la lagune de Venise. Dans ce lieu insulaire reculé, l'activité des ateliers verriers s'intensifia au point de devenir la deuxième ressource économique de la République après le commerce maritime. Les artisans verriers s'inspirèrent dans un premier temps des techniques venues du monde islamique. Flacons, bouteilles et lampes à huile orientales ornaient alors de nombreux intérieurs vénitiens. C'est ensuite avec le maître verrier vénitien Angelo Barovier, au milieu du XVe siècle, que la grande aventure du verre de Murano commence. Celui-ci souffle un verre si pur que ses contemporains lui donnent le nom de "cristallo" en référence à sa ressemblance parfaite au cristal de roche. Il met également au point le "lattimo", un verre blanc si opaque qu'on le confond avec la porcelaine venue de Chine (dont on ne connaît pas encore en Occident le secret de fabrication). Il réalise aussi un verre calcédoine aux reflets bruns et ambrés chatoyants. L'utilisation de différents oxydes colorés (le bleu cobalt, le violet améthyste ou le vert émeraude) procure à ses créations beaucoup de cachet. Le verre connaît alors un succès sans précédent auprès des cours européennes. Anne de Bretagne, Marguerite d'Autriche, Charles Quint et les grandes familles allemandes commandent des services entiers pour leurs banquets. En Italie, les Gonzague de Mantoue, les Médicis de Florence et les Este de Ferrare en sont les plus friands. Hercule Ier d'Este est un des tous premiers à posséder, dès 1465, les verres émaillés et armoriés célébrés pour leur grand raffinement. A cette époque, les secrets de fabrication des objets en verre ne font que renforcer leur attrait et leur mystère.

Calice en reticello, 1550-1575, Brescia, Civici Musei di Arte e Storia (crédit : Archivio fotografico Civici Musei d'Arte e Storia di Brescia. Fotostudio Rapuzzi)

Le verre reste cette chose indomptable et malléable en même temps, façonnée en quelques secondes par le geste précis de souffleurs, maîtres de l'air, de l'eau et du feu, qui portent en eux le savoir-faire irremplaçable, non reproductible, de plusieurs générations. En un instant, la matière liquide, indécise, se fige. Une énergie tellurique brute qui devient légèreté et délicatesse. Comme à l'époque de la Renaissance, artisans et artistes ont recommencé à travailler ensemble au XXe siècle pour retrouver le souffle que Murano avait perdu au XIXe siècle. Des ateliers prestigieux se sont créés et ont appliqué les techniques anciennes. En 1921, Vittorio Zecchin, directeur artistique de Cappelin Venini & C. invente un nouveau modèle de vase inspiré des vases peints par les maîtres de la Renaissance en particulier Paolo Véronèse. Une belle série de ces vases dits "Veronese", réalisés récemment par des artistes contemporains, est présentée dans l'exposition. Aujourd'hui plus que jamais, se répète chaque jour à Murano cette métamorphose incandescente qui aboutit au chef-d'œuvre. La matière en fusion se fond avec la magie de l'art. Un processus de transformation qui éveille en chaque âme créatrice un lointain rêve alchimique, mais cette fois, tourné vers l'avenir.

Série de vases "Veronese" (crédit : musée Maillol)

Comment les artistes d'aujourd'hui appréhendent-ils les différentes techniques ancestrales de réalisation du verre ? Leurs œuvres finies reflètent-elles dans leurs thèmes les contraintes de cette matière ? Au rez-de-chaussée de l'exposition, un vaste espace dédié à la création contemporaine répond à ces deux questions. Y sont présentées les œuvres d'artistes impliqués dans le projet Glasstress initié en 2009 par le galeriste Adriano Berengo. Cet amoureux du verre a décidé d'accueillir depuis 1989 dans le Berengo Studio à Murano des artistes contemporains et d'écrire une nouvelle page de l'histoire du verre en misant sur l'innovation et les collaborations fructueuses entre artisans et artistes. Sculptures et installations sortent chaque année de cet atelier, déjà exposées aux deux dernières Biennales de Venise et parcourant le monde à travers des expositions itinérantes. Olivier Kaeppelin, directeur de la Fondation Maeght à Saint-Paul-de-Vence et commissaire de l'exposition du musée Maillol pour la section contemporaine, explique avoir fait la sélection d'artistes en s'attachant à la grande diversité des créations :

"Les artistes qui viennent travailler à Murano appartiennent à des champs artistiques très différents. Il faut rendre compte de cette diversité. Le verre n'est pas simplement une matière. Quand les artistes s'en saisissent, ils acquièrent une grande liberté d'expression."

Javier Perez, Carrona, 2011, Verre et corbeaux naturalisés, produced by Berengo Studio and Venice Projects (crédit : Francesco Allegretto)

Un fabuleux lustre rouge sang brisé, déchu, déchiqueté par des corbeaux, œuvre hautement symbolique de Javier Pérez, une composition aérienne constituée de petites sphères de cristal reliées entre elles par des fils métalliques, représentant comme une grande toile d'araignée, œuvre délicate et légère de Mona Hatoum, deux visages faits de verre translucide, l'un rouge et l'autre vert, se regardent et semblent se liquéfier dans la matière, œuvre surprenante de Thomas Schütte. Au centre de la pièce, se dresse une grande échelle, sorte de passage entre la terre et le ciel, de départ pour l'au-delà de Silvano Rubino. Cinq miroirs d'ORLAN conçus comme un autoportrait de notre société nous rappelle que notre monde n'est fait que de paillettes, de sang, de pollution et d'argent. De drôles d'oiseaux de Jan Favre, une fibule de Jean-Michel Othoniel, un grand miroir noir et kitch de Jeff Wilson, une magnifique composition suspendue de Maria Grazia Rosin...

Toutes ces œuvres sont faites en verre, soufflé, brillant, opalescent, coloré, mat, translucide, chaque technique apportant sa propre fantaisie et sa propre réflexion artistique. Des œuvres qui ne sont pas seulement décoratives, mais qui portent en elles un message sur notre condition ou notre société, psychologique, ironique, théâtrale ou poétique. Ainsi qu'un rapport aux images emblématiques du passé, les miroirs et lustres vénitiens, les grotesques et reliquaires n'étant pas si loin. Dans la lignée de l'atelier créé par Egidio Costantini dans les années 1950 avec le soutien de Peggy Guggenheim pour inviter des artistes comme Picasso, Cocteau, Chagall, Fontana ou Arp à travailler le verre à Murano, le Berengo Studio est une grande forge en activité.

Ercole Barovier, Vase à "murrine" transparentes, 1925, Collection particulier (crédit : Robert Lorenzson)

Tout s'est passé à Murano, tout n'a pu se passer qu'à Murano. Mais, pour un temps court, l'exposition du Musée Maillol a choisi d'amener la Sérénissime jusqu'à nous. Bien sûr, il manque la lagune, les couleurs marines, l'atmosphère vénitienne, les fours brûlants.... La sobriété de la scénographie met cependant bien en valeur le luxe que représentèrent pendant longtemps les verreries de Murano. On regrettera cependant le manque d'explications historiques et de précisions techniques sur le soufflage du verre. Un petit film par exemple aurait été le bienvenu. On aurait apprécié être un peu plus "embarqué" à Murano, mais, après tout, il n'y a plus qu'à s'y rendre ! À part ces quelques détails, le ravissement devant chaque objet est au rendez-vous.

Exposition "FRAGILE, Murano, chefs-d'œuvre de verre de la Renaissance au XXIe siècle" présentée jusqu'au 28 juillet au musée Maillol - Fondation Dina Vierny, 59-61, rue de Grenelle, 75007 Paris.

Commissariat de Rosa Barovier Mentasti, Cristina Tonini et Olivier Kaeppelin.

www.museemaillol.com

Tous les jours de 10h30 à 19h, y compris les jours fériés.

Nocturnes le vendredi jusqu'à 21h30. A voir également www.glasstress.org

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