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L'art, le millionnaire et le financier

Lorsqu'en 2007, les héritiers d'Arthur Pinajian, peintre Arménien-Américain peu connu à l'époque vendirent pour 300 000 $ un cottage à Long Island ainsi que pour 2 500 $ quelque 3000 dessins et peintures laissés là par l'artiste, ils étaient loin de s'imaginer qu'ils étaient potentiellement à la tête d'une collection évaluée en 2013 à... 30 M$.
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Lorsqu'en 2007, les héritiers d'Arthur Pinajian, peintre arménien-américain peu connu à l'époque vendirent pour 300 000 dollars un cottage à Long Island ainsi que pour 2500 dollars quelque 3000 dessins et peintures de l'artiste laissés dans un garage et dans un grenier, ils étaient loin de s'imaginer qu'ils étaient potentiellement à la tête d'une collection évaluée en 2013 à... 30 millions de dollars. Cette histoire pourrait ressembler à une allégorie intemporelle à la manière d'une fable de La Fontaine. Elle illustre cependant un élément contemporain, celui de l'émergence de l'art comme une véritable classe d'actifs.

La Chine, un marché en plein boom

Avec les nouveaux HNWI (high net worth individuals -Merrill Lynch - Capgemini World's Wealth Report 2009 définit les HNWIs comme les personnes possédant au moins 1 million de dollars américains en actifs financiers), nés de l'émergence de la Chine, de la Russie et des pays du Moyen-Orient, les prix de l'art culminent à des hauteurs stratosphériques. The European Fine Art Fair (TEFAF) estime que le marché de l'art mondial est d'environ 60 milliards de dollars, son chiffre a été multiplié par six en 20 ans. La zone Asie-Pacifique est celle qui compte le plus de HNWI devant l'Amérique du Nord. La Chine (incluant Hong Kong) avec 30% du marché de l'art en 2011 dépasse les États-Unis (29%). Le Royaume-Uni représente 22% et la France 6% (2012 RBC/Capgemini World Wealth Report, Source TEFAF, cité par JP Morgan The Art of Investing in Art).

Des fonds d'investissement dans l'art se sont développés. L'un des plus importants fut The British Rail Pension Fund (Railpen) qui acquit environ 2500 œuvres dans le milieu des années 1970 et affichait une rentabilité de 11,3% de 1974 à 1999. En 2011, l'industrie des fonds investis dans l'art aux États-Unis, au Royaume-Uni, au Brésil, en Chine, en France, en Russie représentait 1 milliard de dollars. Rien d'étonnant à ce que toutes les grandes fortunes aient une allocation d'actifs en art. Selon une étude récente, environ 50% des HNWI possède des actifs artistiques à hauteur en moyenne de 4% de leur fortune (Source: Wealth Insights, Profit or Pleasure? Exploring the motivations behind Treasure Trends, Vol. 15; Barclays Wealth and Investment Mgt cité dans JP Morgan The Art of Investing in Art).

Les dictateurs n'ont pas échappé à ce nouvel avatar de la globalisation. Il en est ainsi de la famille Kadhafi, pour laquelle une commission internationale, incluant la Banque Mondiale a été désignée pour le rapatriement des actifs y compris artistiques (qui correspondaient à des montants importants) ou de celle d'Imelda Marcos, dont le secrétaire fut inculpé récemment à New York pour avoir vendu des œuvres d'art, dont un Monet pour 32 millions de dollars.

L'art est donc clairement une classe d'actifs au côté des actions, des obligations, de l'or etc.

Andy Warhol fut certainement l'un de ceux à avoir le plus brillamment exploité cette idée que l'art est devenu un business et faire de l'argent dans le business c'est de l'art. Jeff Koons était un courtier à la bourse avant de faire des millions comme artiste.

Mais comment s'évalue une œuvre d'art (Jeffri Joan, Philanthropy and the American artist: The European Journal of Cultural Policy, 2009,PP. 207-233 et Kuspit, Donald, Art Values or Money Values? Artnet.com, 2007-03-06 cités dans l'article Artvaluation Wikipedia)?

Les plus grosses ventes d'oeuvres d'art en 2012 (en anglais)

Le billet se poursuit après la galerie

Marché primaire et secondaire

Une distinction doit être opérée entre le marché primaire (une œuvre d'art arrive sur le marché pour la première fois) et le marché secondaire (une œuvre a été au moins vendue une fois auparavant).

De manière sans doute trop schématique, nous dirons que le premier marché est le théâtre d'opérations des professionnels de l'art, galeristes, collectionneurs ou consultants dont le métier est de dénicher, parfois de créer, des tendances.

Le second marché opère davantage comme une bourse de valeurs et se fonde essentiellement sur le système des enchères pour la fixation des prix. Encore faut-il souligner un fréquent manque de transparence qu'illustre le débat des enchères faites au lustre ("chandelier bidding") où le marteau relançait la vente à travers des enchères fictives en désignant le lustre. Les analogies avec une bourse de valeurs ne s'arrêtent pas là. Comme la bourse de Paris a son CAC 40, le marché de l'art, pourtant totalement international, global et éclaté entre plusieurs centres, avait besoin de son indice de référence.

The Mei Moses® World All Art Index a su prendre cette place. Ses protagonistes indiquent avec justesse que « durant les trois derniers millénaires, il n'y a jamais eu d'époque durant laquelle l'art n'était pas important et apprécié" et de souligner que durant les 5 et même les 10 dernières années, l'art a dépassé de manière significative les actions. La technique employée consiste, à travers sept catégories d'art, qui vont de l'art impressionniste et moderne aux œuvres traditionnelles d'art chinois, à fournir une évaluation basée sur les résultats de mêmes œuvres vendues plusieurs fois aux enchères.

Dans ce grand mouvement de la financiarisation de l'art, il est logique de voir émerger des problématiques juridiques souvent très complexes liées au droit de propriété. L'assureur Aris qui est aux États-Unis la première compagnie d'assurance à prendre en charge ce type de risque explique: "en raison de la nature particulière du monde de l'art, la possession ne constitue pas les 9/10e de la loi et ne signifie pas nécessairement la propriété du point de vue légal. Le risque primordial légal et financier dans le monde de l'art d'aujourd'hui est le risque de titre de propriété défectueux, c'est-à-dire le risque de ne pas détenir juridiquement la propriété de l'œuvre d'art ou de tout autre pièce de collection que l'on possède".

Les quatre catégories de risques affectant le droit de propriété référencées par l'assureur Aris

  • Les vols contemporains ou liés à l'histoire (par exemple les œuvres juives spoliées pendant la Seconde Guerre mondiale).
  • Les défauts liés à l'importation ou l'exportation d'œuvres (par exemple les œuvres illicitement exportées de pays émergents).
  • Les sûretés ou empêchements à la vente, dont sont affectés des œuvres d'art (par exemple une vente d'un objet d'art donné en garantie à un créancier ou une vente d'un objet par une personne sans révéler qu'un litige successoral ou un divorce est en cours).
  • Des œuvres vendues illégalement ou illicitement (par exemple la vente d'une œuvre d'art par une entreprise en faillite ou encore par un galeriste ou un marchand qui détient une œuvre en dépôt et donc qui ne lui appartient pas (90% des transactions) et qui oublie de reverser le prix perçu au propriétaire de l'œuvre).

Les simples vols, qu'il s'agisse de ceux ayant une dimension historique ou de ceux de droit commun représentent un chiffre de 6 milliards de dollars. Seulement 16% des vols sont enregistrés dans des bases de données et 5% simplement des œuvres volées sont retrouvées. La génération des Baby-Boomers prenant de l'âge, dans les 50 ans qui viennent, c'est environ 181 trillions de dollars, dont une part d'œuvres d'art qui vont faire l'objet de transferts intergénérationnels. L'art devient donc une valeur, un produit avec son packaging juridique et financier. Il est aujourd'hui reconnu comme une classe d'actifs. Comme dirait Malraux, "La monnaie de l'absolu".

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