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De Catalogne en Centrafrique, de Crimée à pays Daech, d'Ecosse aux Flandres, des Kurdistans à la Libye, de Padanie à la Somalie, et au Soudan sud. Les discours contestataires, les idéologies appelées à justifier ces révoltes, font partout appel au sentiment.
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La Catalogne est entrée en dissidence nationale quelques jours après un référendum d'autodétermination en Écosse. Somalie des Chebabs, Daech et Front national, sont les acteurs de crises politiques d'intensité variable affectant les États d'Europe, d'Afrique et du Moyen-Orient. Est-il pertinent de mettre en parallèle ces situations? Les rapprocher ne relève-t-il pas de la provocation intellectuelle, voire éthique plus que de la compréhension des crises ? Quel rapport peut-on trouver entre la Centrafrique et la Crimée ? L'Écosse et le Soudan du Sud ? Chacune de ces situations ne met-elle pas en scène, plus ou moins violemment, des peuples très éloignés les uns des autres ?

Sans aucun doute. Mais tout dépend de l'angle de vision choisi par l'observateur. Certaines approches offrent des points de convergence. Elles interpellent l'intelligence comparative et la poussent à aller au-delà de la diversité des réalités perçues en bout de lunette. En effet. Toutes signalent de graves courts-circuits politiques. Toutes au-delà de leur diversité sont particulièrement perturbatrices, dans leurs contextes territoriaux respectifs. Et toutes révèlent un doute institutionnel structurel et déstabilisateur partagé.

Les Écossais ou une partie d'entre eux ne se veulent plus britanniques. Les partisans de Daech rejettent l'existence des États irakien et syrien. D'Afrique à l'Asie et à l'Europe contrairement aux augures des années immédiatement postérieures à la guerre froide le constat que l'on doit faire est celui de la montée en puissance de processus de décomposition intérieure. Ces crises affectent toutes les régions du monde. Comme si la chape de la bipolarité pesant sur les peuples et les nations en disparaissant d'Est à l'Ouest avait libéré des forces antagonistes jusque-là contenues.

La convivialité à l'intérieur des États, qu'elle soit réelle ou fruit de la contrainte, est entrée en phase de rendements politiques décroissants. Le cadre des compromis et du débat est plus ou moins bruyamment et brutalement remis en questions d'un bout à l'autre de la planète. Par la parole partout. Par le bulletin de vote et les outils de la démocratie en Catalogne et en Écosse. Par les armes ailleurs, de la Crimée à la Libye.

Les discours contestataires, les idéologies appelées à justifier ces révoltes, font partout appel au sentiment. Le sentiment religieux, dans sa version la plus radicalisée, pour Daech, groupe combattant actif sur les confins syro-irakiens. Sentiment nationalitaire mêlant religieux, ethnique et politique au Soudan du Sud. Sentiment culturel et linguistique particulier en Catalogne et en Flandre. Nostalgie sentimentale nationale exacerbée dans le cas en France, du parti Front national.

Dans leurs diverses variantes, ces appels au sentiment vont de pair avec le rejet des consensus préexistants avec d'autres communautés présentées comme fondatrices de crise identitaire. La différence est diabolisée. Il peut s'agir du migrant d'origine étrangère pour le Front national, de l'Italien du sud pour le défenseur de la Padanie, du Chiite, Chrétien, et Yazidi pour les adeptes de Daech. L'intensité du rejet bien sûr n'a pas les mêmes conséquences ici et là. Balakas et Selekas se massacrent réciproquement en Centrafrique. Alors que les francophones de Flandre ne sont privés que de leur expression linguistique. Il y a là plus qu'une nuance. Mais elle n'enlève rien à un dénominateur collectif qui valorise ce qui est posé comme fondateur d'une autre identité rejetant les dénominateurs communs antérieurs à la contestation.

Les gouvernements qui cherchent à répondre à ces défis ont recours à des contre-feux trompeurs. Bien souvent ils puisent aux mêmes eaux, dans le vivier des communautarismes, religieux ou autres pour tenter d'endiguer la décomposition du monde ancien. Aumôniers, imams, rabbins retrouvent d'Arabie à la France une légitimité longtemps érodée. Le communautarisme en sort renforcé. Le recours au glaive est au bout de cette contradiction, l'ultime ressource, permettant de trancher le nœud gordien des consensus perdus. Selon les versions, privilégiées en Espagne ou en Irak, les croisés de la civilisation s'opposent alors avec leurs polices linguistiques ou juridiques ici, et là-bas leurs avions, aux défenseurs des vérités révélées et premières. Les jeux de rôle reposant sur ces partitions jumelles peuvent être inversés comme sur une console de jeux électroniques.

Les arguments SMS, les tweets, à la concision redoutablement réductrice, massivement utilisés par les parties ajoutent au désordre de la raison. Ils mobilisent les cœurs. Ils entretiennent les idées reçues et les antagonismes. Ils cultivent la crise de l'attention, qui contourne et noie la réflexion critique. La crise des esprits en vient à masquer la crise existentielle. Ici en Europe, en Flandre et en Écosse, comme au-delà des mers sur les bords de l'Euphrate ou de l'Oubangui-Chari. Le mal vivre ainsi détourné traque l'absence de sainteté, ou de pureté, qu'elles soient religieuses ou culturelles. Le monde d'hier s'embrase, de Barcelone à Donets, au risque de détruire toute possibilité de reconstruction.

Derrière ces états de crise, généralisés, derrière leur intensité qui peut être très différente, un constat commun se profile. Tous témoignent tragiquement de la décadence de l'État. C'est en effet le cadre traditionnel de la vie sociale, politique, culturelle et économique des peuples qui est aujourd'hui dévalorisé d'un bout à l'autre de la planète. Au nom de communautés jugées plus pertinentes, des hommes et des femmes se mobilisent contre l'État auquel ils sont administrativement rattachés. En Catalogne, en Flandre, au Kurdistan, il peut s'agir de groupe s'estimant frustrés par leur non-accession pour des raisons diverses au statut d'État. Ailleurs le chamboulement est revendiqué au nom de communautés transversales, jugées plus pertinentes, communauté des croyants avec Daech, ou communauté des affaires, qui confère « à la circulation des capitaux et des marchandises (..) l'aura d'une communauté de destin ».

Au Proche et au Moyen-Orient, la contestation en effet mobilise des militants de la vraie foi, quel que soit leur pays d'origine. La raison de la révolte est ainsi fondée sur la vertu d'un message révélé posé comme seul valide. Le bombardement des territoires affectés, d'Irak à la Libye pratiqué depuis 1991 par les États unis et leurs alliés, en démantelant les structures étatiques qui existaient, a aggravé le mal. Le prétendu remède n'a fait que nourrir le chaos. En Europe l'intégration européenne, portée par la mondialisation des forces productives, couplée sur le rappel d'origines chrétiennes communes, a justifié le dépassement des États et des souverainetés nationales, cadres historiques du contrat démocratique. Les États les moins sûrs d'eux-mêmes, la Belgique, l'Espagne, les premiers sont victimes de ces remises en question profondes. Dans les États les plus solides, en France, émergent des formations arcboutées sur les régressions nationales, et hostiles à toute forme de diversité.

« L'idée même de la limite nationale apparaît désormais illégitime » On assiste sous des habillages et des circonstances différentes à la montée de l'idéologie sans frontière. Mais peut-il y avoir un échange pacifique, constructif, voire démocratique, avec l'autre sans capacité du corps collectif de se donner des limites ? La critique de l'État et la dévalorisation des frontières, prônées par les mondialistes de l'économie et les intégristes, qu'ils soient européistes ou religieux n'ont-ils pas ouvert une boite de Pandore où s'engouffrent le refoulé, le radicalisme, les particularismes et les nationalismes, générateurs d'une ceinture de crises et de chaos politiques, qu'interdits constitutionnels et bombardements auront le plus grand mal à circonscrire.

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