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Après l'adieu aux armes d'Abdullah Öcalan, quelle solution pour la question kurde en Turquie?

L'enjeu de la négociation finale ne sera pas mince et pourrait se solder, soit par une réussite, si l'on arrive à répondre de façon satisfaisante aux principales interrogations précédemment énoncées, soit par un enlisement du processus.
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Kurdish demonstrators hold a banner depicting the jailed Kurdish rebel leader Abdullah Ocalan, during a protest in Athens by Kurds living in Greece on January 12, 2013. Kurdish activists have accused Turkey or rogue nationalist elements in the country's military of being behind the killings. AFP PHOTO / LOUISA GOULIAMAKI (Photo credit should read LOUISA GOULIAMAKI/AFP/Getty Images)
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Kurdish demonstrators hold a banner depicting the jailed Kurdish rebel leader Abdullah Ocalan, during a protest in Athens by Kurds living in Greece on January 12, 2013. Kurdish activists have accused Turkey or rogue nationalist elements in the country's military of being behind the killings. AFP PHOTO / LOUISA GOULIAMAKI (Photo credit should read LOUISA GOULIAMAKI/AFP/Getty Images)

Le 21 mars dernier, à l'occasion de la fête de Newroz (le nouvel an kurde), Abdullah Öcalan, le leader du PKK (Partiya Karkerên Kurdistan - Parti des travailleurs du Kurdistan), a lancé un appel au cessez-le-feu, en enjoignant les combattants de l'organisation rebelle dont il est le fondateur, de quitter le territoire turc. Cette initiative se veut la première étape d'un processus qui pourrait aboutir à un règlement politique de la question kurde en Turquie. Depuis la fin de l'année dernière en effet, le gouvernement de l'AKP (Adalet ve Kalkınma Partisi - Parti de la justice et du développement) mène des pourparlers avec l'icône de la guérilla kurde en Turquie, qui purge depuis 1999 une peine de prison à vie sur l'île d'İmralı, au large d'Istanbul. Ces démarches suivies de trois visites de députés du BDP (Barış ve Demokrasi Partisi, Parti pour la paix et la démocratie), le parti kurde parlementaire, au prisonnier le plus célèbre de Turquie, ont permis de lancer un "processus de paix", dont le cessez-le-feu décrété le 21 mars, constitue le point de départ.

Ce n'est pas la première fois que le PKK appelle à un cessez-le-feu, mais le discours d'Öcalan du 21 mars constitue un événement qui deviendra peut-être historique si un règlement intervient, ne serait-ce que parce qu'il a revêtu une solennité particulière et qu'il comporte un engagement inédit à abandonner la lutte armée. Lu en kurde et en turc à une foule immense venue fêter Newroz à Diyarbakır, ce texte a pour la première fois appelé Kurdes et Turcs à l'unité, rappelant qu'ils avaient combattu ensemble lors de la bataille des Dardanelles pendant la Première Guerre mondiale et soulignant que les deux peuples avaient fondé le parlement de la nouvelle Turquie, au début de la Guerre d'indépendance lancée par Mustafa Kemal en 1920. Le gouvernement de l'AKP, qui depuis son arrivée au pouvoir s'est montré plus favorable que ses prédécesseurs à la recherche d'une solution au problème kurde, n'en est pas à son coup d'essai en la matière. En 2009, il avait lancé en direction des Kurdes une "ouverture démocratique" qui s'était rapidement enlisée, avant de procéder l'année suivante à une série de rencontres officieuses avec le PKK à Oslo, en Norvège, qui avait débouché sur un échec et sur la reprise intensive de la guérilla. Après "l'ouverture démocratique" et le "processus d'Oslo", les négociations actuelles peuvent-elles aboutir ?

L'indice majeur qui plaide en faveur des démarches en cours est sans nul doute la détermination des principaux protagonistes. Tant le gouvernement turc que les représentants de la partie kurde (BDP, PKK) n'ont cessé d'affirmer leur souhait inébranlable d'aller jusqu'au bout, et ils ont déjà prouvé qu'ils pouvaient surmonter des épreuves dangereuses comme l'assassinat de trois militantes kurdes en janvier à Paris, et plus récemment la publication de fuites dans un grand quotidien turc accusant l'AKP d'avoir accepté d'octroyer aux Kurdes un meilleur statut contre leur soutien à la mise en place du régime présidentiel dont rêve Recep Tayyip Erdoğan pour se maintenir au pouvoir jusqu'en 2023 (année du centenaire de la République fondée par Mustafa Kemal). La lecture du discours d'Abdullah Öcalan, le 21 mars, devant un océan de drapeaux kurdes et de portraits du leader du PKK emprisonné, a suscité la critique des dirigeants turcs qui auraient aimé voir aussi des drapeaux turcs s'agiter ce jour-là. Mais cette absence remarquée n'a finalement pas représenté pour le processus en cours un revers aussi embarrassant que celui qu'avait constitué pour "l'ouverture démocratique", en 2009, l'incident de Habur (accueil par une foule kurde enthousiaste d'un groupe de militants du PKK ayant accepté de déposer les armes).

Il faut dire que la motivation qui s'exprime actuellement de part et d'autre tient également à une convergence bienvenue d'intérêts. Bien qu'il entretienne actuellement d'excellentes relations avec la région kurde autonome d'Irak du nord, le gouvernement de l'AKP s'inquiète du délitement des États irakien et syrien qui se traduit par la multiplication dans l'environnement proche de la Turquie de zones kurdes de facto indépendantes qui pourraient avoir des tentations irrédentistes. Plus généralement, il redoute que la question kurde devienne un foyer de déstabilisation intérieure au moment même où ses relations sont difficiles, voire tendues avec Téhéran, Bagdad ou Damas, et où la Turquie doit vivre avec la guerre syrienne à ses portes. À l'opposé, du côté kurde, l'état d'esprit a changé. La lutte armée du PKK, son dogmatisme et son culte du chef ont vieilli dans une Turquie où les voies politiques de revendication (élections nationales et locales, référendums, manifestations, désobéissance civile...) peuvent être empruntées plus facilement qu'auparavant. Dès lors, comme l'a reconnu Abdullah Öcalan lui-même, à l'occasion de son discours de Newroz, il est grand temps de tourner la page pour essayer de construire un système nouveau de cohabitation politique entre Turcs et Kurdes.

L'entreprise est pourtant difficile et incertaine. En dépit de la détermination affichée, aucune feuille de route précise n'a été mise sur pied, et le doute demeure sur la forme et la procédure que suivra le règlement d'un conflit, qui a fait près de 45 000 victimes et près de 2 millions de déplacés, au cours des 3 dernières décennies. Jusqu'à présent cette imprécision a sans doute permis aux acteurs de ce "processus de paix" atypique d'avancer, sans trop prêter le flanc aux critiques des irréductibles. Mais il faudra bien que les intentions ultimes soient dévoilées un jour...

La première étape du règlement envisagé doit consister en un départ des combattants du PKK du territoire turc, mais qui présidera au bon déroulement de ce mouvement de retrait. Le BDP a proposé de recourir à une commission parlementaire pour encadrer les opérations. Mais le gouvernement est réticent à l'idée d'associer le parlement à l'entreprise et préférerait constituer un comité des sages, dont la taille et la composition n'ont pas encore été arrêtées. Le 26 mars dernier, le quotidien Akşam a annoncé qu'un premier groupe de combattants avaient quitté le territoire turc, mais l'armée turque dont les F-16 ont effectué plusieurs vols de reconnaissance ces derniers jours a démenti l'information. Pour sa part, le président de la République, Abdullah Gül a estimé que les membres du PKK devaient quitter la Turquie désarmés. Mais l'accepteront-ils ?

Ces premières réactions montrent à quel point la mise en œuvre du processus initié peut être délicate, et ce d'autant plus que le sort des rebelles repentis reste incertain. Soucieux de ménager les franges les plus nationalistes de son opinion publique, Recep Tayyip Erdoğan n'a cessé d'affirmer qu'il n'y aurait pas d'amnistie pour ceux qui ont fait couler le sang et qui ont été directement impliqué dans la lutte armée, en les invitant implicitement à s'exiler. Mais pour aller où ? Demeurer dans leurs bases arrière d'Irak du Nord ad vitam aeternam, rallier les pays d'Europe du Nord (Danemark, Norvège...) où les opposants kurdes sont déjà nombreux ? Le chef du gouvernement turc a également rejeté l'idée d'une grâce accordée à Abdullah Öcalan, voire même celle d'un simple assouplissement de ses conditions de détention. Mais peut-on imaginer sérieusement un règlement durable de la question kurde en Turquie, si le prisonnier d'İmralı demeure derrière les barreaux à quelques encablures d'Istanbul...

En outre, même réussi, le retrait des membres du PKK laissera entier le problème du règlement politique en lui-même. Ce dernier soulève en réalité des questions complexes. Redéfinition de la citoyenneté, mise en place d'une forme de décentralisation, éducation des enfants dans leur langue maternelle sont généralement les principales revendications émises jusqu'à présent par le BDP. Mais jusqu'où le gouvernement turc est-il prêt à aller pour les satisfaire ? Dès lors l'enjeu de la négociation finale ne sera pas mince et pourrait se solder, soit par une réussite, si l'on arrive à répondre de façon satisfaisante aux principales interrogations précédemment énoncées, soit par un enlisement du processus, s'il s'avère que "le processus de paix" en cours s'est construit sur un trop grand nombre de malentendus quant aux sujets négociables et au sort ultime d'Abdullah Öcalan.

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