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La vérité, toute la vérité, rien que la vérité

Pour la plupart d'entre nous, principalement les athées et les agnostiques, les croyances religieuses sont de cet ordre, des « post-vérités », voire, de pseudo « faits alternatifs ».
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Jesus Christ Son of God over dramatic sky background religion and spirituality concept
Getty Images/iStockphoto
Jesus Christ Son of God over dramatic sky background religion and spirituality concept

L'indignation est toujours aiguë dans les cercles bien-pensants concernant le mouvement qui a vu le jour avec les campagnes électorales ayant mené au Brexit ainsi qu'avec l'élection de Donald Trump à la Maison-Blanche. On évoque l'odieuse victoire du « post-factuel », ou encore la hideuse « post-vérité », arme dont userait Donald Trump dans sa guerre sainte contre les médias. Rappelons qu'en 2016 le prestigieux Dictionnaire d'Oxford conférait l'expression « post-vérité » (post-truth) comme mot de l'année, la définissant comme « là où le fait objectif ne sont plus les facteurs édifiants l'opinion publique, mais les émotions ainsi que les croyances personnelles. »

Pour la plupart d'entre nous, principalement les athées et les agnostiques, les croyances religieuses sont de cet ordre, des « post-vérités », voire, de pseudo « faits alternatifs ». Le christianisme, entre autres, en regorge, dont la résurrection de Jésus, l'eau changée en vin, la tempête apaisée, etc. Tous ces événements miraculeux seraient ainsi des « faits alternatifs », c'est-à-dire des faits inventés par l'imagination débridée de sectateurs fanatisés qu'auraient été les évangélistes.

La science, en effet, reposant sur des faits positifs, constatables par quiconque s'en donne la peine, et ce, dans des conditions normales, rejette ces « faits alternatifs » que sont les miracles.

La science, en effet, reposant sur des faits positifs, constatables par quiconque s'en donne la peine, et ce, dans des conditions normales, rejette ces « faits alternatifs » que sont les miracles.

Pourtant, c'est à un saint catholique, Thomas d'Aquin (1224-1275), que l'on doit la définition classique de la vérité comme, adequatio intellectus ad rem : la conformité de l'intelligence à la chose. Si je crois par exemple que le ciel est bleu aujourd'hui, il faut que ma croyance soit conforme à la réalité d'un ciel dégagé. Toutefois, un autre saint, Augustin d'Hippone (354-430 de notre ère), soutenait pour sa part « que la vérité n'est pas découverte par l'intelligence, c'est elle qui se fait découvrir à l'intelligence. » (De la vraie religion)

Donc, contrairement à Thomas d'Aquin, Augustin paraît rejeter la définition classique de la vérité en soutenant que c'est plutôt la vérité dans les choses qui force pour ainsi dire l'intelligence à sa découverte. Si l'on a pu qualifier Thomas d'Aquin de réaliste en matière de vérité, Augustin, lui, va plus loin que Thomas d'Aquin, et l'on pourrait parler dans son cas d'hyperréalisme. Non seulement la vérité existe, dit Augustin, mais surtout elle contraint l'homme usant de son intelligence à la reconnaître.

Thomas d'Aquin était parfaitement au courant de la conception hyperréaliste de son éminent prédécesseur. Aussi, à côté de sa définition adequatio intellectus ad rem, d'Aquin admit la légitimité de la définition de la vérité d'Augustin qu'il baptisa par cette autre formule latine : adequatio rei ad intellectum, c'est-à-dire, littéralement : la conformité de la chose à l'intelligence. Lorsqu'on dit, par exemple, ce père de famille est un vrai père, on veut dire que cette « chose » ou cet être, qui est père, correspond à l'idéal – au concept – d'être père. C'est l'adequatio rei ad intellectum. Contrairement à l'énoncé, ce père est le mien, où il s'agit de l'adequatio intellectus ad rem.

Les penseurs modernes et, avec eux, nous aussi aujourd'hui, laisserons dans l'oubli la seconde la définition thomasienne de la vérité : l'adequatio rei ad intellectum. Ce qui importe, pour nous désormais, ce sont les faits, et rien que les faits. Les croyances, les valeurs, les émotions, et surtout l'intelligence qui conçoit des concepts des choses ou des êtres, etc., tout cela n'est que déchets à jeter à la poubelle. Nous sommes devenus des adorateurs des faits purs et brutes. D'ailleurs, qu'est-ce que l'intelligence, sinon des faits neuronaux se déroulant dans la matière grise ? L'esprit est disparu.

Les matérialistes que nous sommes, pensons que la vérité n'est que des faits (neuronaux) qui s'ajustent à d'autres faits de nature matérielle.

Or, Thomas d'Aquin croyait, lui, à l'intelligence comme capacité d'abstraction engendrant des concepts (le mot « concept », conceptus, d'ailleurs, est de lui) ainsi qu'à sa capacité de juger du vrai et faux. Les matérialistes que nous sommes, pensons que la vérité n'est que des faits (neuronaux) qui s'ajustent à d'autres faits de nature matérielle. Aussi croire en l'existence de l'esprit, comme le soutenant Thomas, serait s'illusionner au premier chef.

Or, la question même de la question de la vérité du matérialisme fait toutefois appel à la seconde définition aquinienne de la vérité, de la chose à l'intelligence, dans la mesure où l'esprit (la chose) ne serait véritablement que matière (concept dans l'intelligence). Donc, comme on le constate, matérialiste ou non, la seconde définition aquinienne est à l'œuvre dans la vérité (ou la fausseté) du matérialisme.

C'est encore à la seconde définition de la vérité que Thomas d'Aquin en appelle pour justifier les soi-disant « miracles » relatés dans les évangiles. Prenons celui de la tempête apaisée que l'on trouve chez les trois évangélistes synoptiques (dont Marc 4 35-41).

Les eaux du lac sont déchaînées emplissant la barque où Jésus dort paisiblement la tête appuyée sur un coussin, alors que ses disciples s'alarment avec raison : « Maître, nous allons mourir : cela ne te fait donc rien ? » Les disciplines font ici appel à la définition de la vérité comme conformité de l'intelligence (nous allons périr) à la chose (la mer est déchaînée).

Jésus se réveilla et appela les vents et les eaux à se calmer. Toujours aussi effrayés, les disciples se dirent entre eux : « Qui est donc cet homme, pour que même le vent et les flots lui obéissent ? »

Excellente question : Qui est donc Jésus ?

Jean, le 4e évangéliste (qui ne relate pas l'événement de la tempête calmée), répond dans son Prologue : « Au commencement de toutes choses, la Parole existait déjà; celui qui est la Parole [le Fils de Dieu, Jésus Christ] était avec Dieu, et il était Dieu. »

Ce Jésus donc, dans la barque, est la Parole de Dieu, le Verbe (Logos, en grec), créateur du monde. Aux éléments naturels en furie, le vent et les vagues, le Maître du monde les interpelle : calmez-vous ! En somme, la Parole de Dieu dit aux choses naturelles: votre nature (votre essence première) n'est pas la furie et notre mort. En somme, Jésus Christ ramène les choses (le vent et les eaux) à leur concept propre, c'est-à-dire à ce qu'ils sont. Adequatio rei ad intellectum.

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