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Des anti-charte, des insultes, leur rhétorique et le danger paradoxal des bons sentiments

Les religions ont-elles changé depuis pour que notre décision aujourd'hui soit différente de celle d'hier? Se sont-elles battues pour le droit à la différence, le droit des minorités, pour les droits des femmes ou encore pour les droits des homosexuels?
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« La paix, comme toute métamorphose, exige une adaptation douloureuse à laquelle bien des gens se refusent. » - Jean-Paul Fugère, réalisateur québécois.

« La Charte de la honte », vraiment?

Les anti-charte ne sont pas avares de qualificatifs pour trainer dans la boue toutes les personnes - c'est-à-dire entre 60 et 68 % de la population québécoise selon les estimations - qui soutiennent la Charte affirmant les valeurs de laïcité et de neutralité religieuse de l'État ainsi que d'égalité entre les femmes et les hommes. « Racistes » est le terme qui revient le plus fréquemment et c'est sur lui que repose principalement leur argumentation, puis «intolérants», « ségrégationnistes » et « nazis ».

Selon eux, cette majorité « raciste » s'en prendrait à des minorités - qu'ils réduisent le plus souvent à la seule communauté religieuse musulmane. J'aimerais d'ores et déjà leur rappeler que c'est une majorité composée de plusieurs communautés, de personnes provenant d'allégeances politiques différentes, de confessions religieuses différentes ou encore d'orientation sexuelle différente. Il ne s'agit donc pas d'une majorité monolithique «identitairement recluse» et «effrayée par la différence» composée de « Québécois de souche » blancs, chrétiens, hétérosexuels, occidentaux, francophones, comme le laissent entendre les détracteurs de la Charte, mais bien d'une majorité qui s'est construite autour d'un projet commun, et cette majorité est donc tout à fait légitime pour demander que l'égalité homme-femme prévale sur la liberté de culte et que la neutralité affichée des fonctionnaires de l'état soit effective.

En d'autres termes, il s'agit véritablement d'un consensus citoyen autour de cette Charte, n'en déplaise aux anti-charte. Contrairement au discours culpabilisant - euphémisme ! - des ces derniers, la majorité des pro-charte ne définit pas la forme de laïcité dont elle veut se doter comme un outil de discrimination des communautés religieuses ou ethniques.

Ce projet de laïcité concerne tout le monde, il est par définition inclusif (croyants et non croyants) en maintenant la neutralité de l'état vis-à-vis des croyances de chacun - il ne peut donc être « extrémiste», comme certains le disent - et respecte à la lettre les Droits de l'homme (liberté de penser et liberté de culte, égalité homme-femme). Il ne peut donc y avoir, comme on peut l'entendre également, de «diktat de la neutralité» ou d'«uniformisation de la société» lorsque celle-ci ne concerne que l'État comme il est indiqué dans la proposition de Charte. La neutralité qu'implique la laïcité n'est pas un concept qui devrait polariser et opposer les opinions ou les individus, c'est, par définition, exactement l'inverse. C'est également LA solution pour éviter que certaines passions nauséabondes ne nuisent au commun des mortels... Il est effectivement insoutenable de voir la récupération actuelle, tant dans les médias sociaux que dans les médias dits traditionnels, des discours féministes et laïques à des fins xénophobes et ultranationalistes.

Dehors donc le racisme, la xénophobie ainsi que le sexisme et l'homophobie de certaines doctrines. Toute la réflexion autour de la Charte ne repose que sur un seul argument qui n'est entaché par aucune de ces attitudes puantes : la «neutralité normative de l'État», telle que définit par le philosophe et sociologue Habermas, que certains considèrent comme le principal intellectuel laïc de l'Occident, et très bien résumée par Marco Jean dans Le Devoir:

«L'État doit afficher une neutralité sur le plan normatif en évitant d'opérer un classement des différentes doctrines et manières de vivre. Ce n'est pas qu'il doive les considérer comme toutes « bonnes », mais simplement ne pas les évaluer du tout. Ce faisant, il évitera d'allouer davantage de visibilité et de ressources publiques aux unes plutôt qu'aux autres. (...) S'il ne respecte pas cette exigence, il traitera inégalement ses citoyens en leur procurant des raisons que seule une partie d'entre eux pourra comprendre et potentiellement accepter.»

Comme le rappelle Alain Massot, professeur en sciences de l'éducation à l'Université de Laval, le seul espace concerné par la Charte est l'espace civique, un espace qui «concerne l'ensemble des citoyens dans l'exercice de leurs devoirs et droits civiques en relation avec l'État et ses institutions», en d'autres termes, les employés de la fonction publique. Les espaces civiques public et privé reposent sur des «principes foncièrement différents et spécifiques : la neutralité de l'espace civique gouvernée par des valeurs universelles et rationnelles ; le pluralisme de l'espace public fondé sur des valeurs communautaristes relevant de l'histoire ; le particularisme de l'espace privé orienté par des valeurs personnelles». La neutralité de l'espace le plus haut permet deux choses très concrètes qui aident au bien vivre ensemble de tous les citoyens en réduisant l'impact des idéologies extrêmes sur la société : 1. calmer les plus racistes et les plus xénophobes qui voient s'exposer des idéologies qu'ils ne reconnaissent pas comme légitimes et 2. repousser les idéologies radicales, conservatrices et fondamentalistes qui usent trop souvent de leurs membres pour se faire représenter au sein de l'État et ainsi légitimer leurs codes, leurs valeurs. Nous sommes donc très nombreux à penser comme Alain Massot que:« L'optimisation de la neutralité de l'espace civique conduit à un pluralisme plus ouvert dans l'espace public (et non au multiculturalisme fermé que nous connaissons) et à une plus large autonomie de l'espace privé. »

Enfin, nul n'est sensé ignorer que l'État impose à tou(te)s ses employés de ne point exposer leur idéologie par souci de neutralité - justice et équité - envers tous les citoyens. Parmi les fonctionnaires de l'État, pas un seul écologiste qui s'oppose aux sables bitumineux, pas un seul sympathisant des carrés rouge qui milite en faveur de la gratuité de l'éducation, pas un seul communiste qui lutte contre le système capitaliste, etc. n'emploierait le terme de « ségrégationniste » ou d'intolérance en parlant de cette interdiction. Tous ont bien compris que leur travail n'est aucunement d'exposer ou d'exprimer leurs idéologies, voire d'en faire la promotion lorsqu'ils ont à servir, soigner ou éduquer un citoyen. Ils ne sont pas élus, ils n'ont donc pas à témoigner de telle ou telle idéologie, croyance ou opinion soutenue par telle ou telle communauté. Pourtant, la croyance ou la foi d'un écologiste qui tente de défendre sa nature n'est pas moins forte qu'un religieux défendant son dieu. Il n'y a que les anti-charte qui trouvent normal que l'on brime la liberté d'expression de certains, mais anormal qu'on restreigne la liberté de - d'exposer son - culte dans un état laïque censé par nature être séparé des religions!

Comme le pensent les vrais progressistes de gauche, les éléments qui composent notre identité changent de nature. Il serait bien que les anti-charte comme les fondamentalistes religieux en prennent note. Ce n'est pas parce que certaines idéologies sont plus anciennes, plus répandues, plus puissantes et entretenues par de vieilles traditions qu'elles sont meilleures... Le féminisme, par exemple, a réussi en quelques années à apporter plus de reconnaissance et de droits aux femmes en Occident que des milliers d'années de dogmes religieux...

La Charte ne parle presque que d'une seule chose: la valeur accordée par une société, une démocratie, aux croyances religieuses par rapport aux autres croyances... Ainsi, la principale question que la Charte soulève et que j'adresse à toute personne qui réfléchit à cette Charte est la suivante : considérez-vous que les idéologies religieuses sont supérieures aux autres? Si vous répondez oui, vous êtes anti-Charte. Si vous répondez non, vous êtes pro-Charte, vous êtes pour la neutralité d'un état qui n'a pas à juger de la supériorité de telle ou telle croyance ou représenter de façon inégale une religion plus qu'une autre puisque les communautés religieuses au Québec n'ont pas le même nombre de membres.

Les religions sont ce qu'elles font!

N'avions-nous pas déjà décidé lors de la Révolution tranquille de contenir l'influence de l'Église catholique à la sphère spirituelle. Aujourd'hui, partout dans le monde, les religions opèrent un retour en force, et ce au niveau d'États souverains qui s'étaient battus pour la liberté de conscience et la démocratie. Elles ont toutes repris leur dimension politique d'antan et comptent bien reconquérir les quelques bouts de terre qu'elles avaient perdu. Toutes appellent leurs serviteurs à la mobilisation : « Nous encourageons les candidatures aux élections municipales de 2014 des hommes et des femmes soucieux de tous, notamment dans les nouvelles générations. Forts de leur humanité, de leur disponibilité, forts aussi, s'ils en sont habités, de leur foi au Christ, ils pourront faire du nouveau, en renversant les mentalités dans le sens de l'amour et de l'Évangile. » Les influences entre religions et gouvernements conservateurs - largement majoritaires actuellement dans le monde - ne cessent de se multiplier. À commencer par ici, avec le gouvernement Harper et sa cohorte de rabbins et de prêtres nommés en tant que conseillers.

Les religions ont-elles changé depuis pour que notre décision aujourd'hui soit différente de celle d'hier? Se sont-elles battues pour le droit à la différence, le droit des minorités, pour les droits des femmes ou encore pour les droits des homosexuels?

Beaucoup sont d'avis que rien n'a changé - ou si peu - ou qu'au contraire, avec l'arrivée de leurs confrères religieux, certaines de leurs idées les plus nauséabondes sont en train de regagner du terrain dans l'espace québécois. Sommes-nous destinés à nous battre éternellement contre les mêmes idées ultra-communautaristes, sectaires, misogynes et homophobes soutenues par des textes médiévaux qu'ils nous ressassent depuis la nuit des temps parce qu'au plus haut sommet de ces institutions leurs chefs sont incapables, ou parce qu'ils n'ont tout simplement pas le désir, de s'adapter ne serait-ce qu'un peu à la manière de penser et de vivre d'autres personnes? Et pourquoi cela?

Les religions ont pour vocation de régler tous les aspects de la vie des croyants, de définir ce qui est bien ou mal, et même d'imposer les comportements à adopter pour les femmes et les hommes. Certains considèreront cela comme une chance, d'autres comme une terrible prison. L'amour - les relations amoureuses - plus que toute autre chose y est extrêmement contrôlé, règlementé, voire imposé. Les religions s'excluent mutuellement et, à moins de conversion, les unions ou mariages entre les membres de différentes confessions sont vivement critiqués, interdits, voire condamnés. Il n'y a qu'à lire, par exemple, les commentaires et les demandes déplorables des parlementaires religieux conservateurs en Israël lorsqu'ils ont appris que le fils de leur premier ministre fréquentait une non-juive : «très regrettable», «empêcher cette relation», «vos petits-enfants comme vous le savez, ne seront pas juifs»!

Comment les religions peuvent-elles sincèrement prétendre aimer l'autre ou, plus simplement, comment ces communautés religieuses peuvent-elles réellement s'intégrer au sein d'une quelconque société et partager réellement entre elles dans ces conditions?

Pour ne parler que du côté catholique, le Pape François n'hésite pas une seule seconde à qualifier, devant des millions de fidèles, que les femmes qui font appel à l'avortement sont des criminelles tueuses d'enfants : « Il me fait horreur de penser que des enfants ne pourront jamais voir la lumière victimes de l'avortement ». Il n'a pas hésité à nommer récemment Fernando Sebastian Aguilar en tant que cardinal d'Espagne, le même qui qualifie l'homosexualité comme « une forme de déficience sexuelle ».

Ouverture d'esprit, tolérance, amour, partage - qui sont l'espoir des ces femmes, des ces hommes de foi et de tous ces autres qui rêvent d'un avenir meilleur, égalitaire, juste, en paix - riment-ils vraiment avec l'acharnement que mettent toutes les religions sans exception à lutter contre le droit des femmes à disposer librement de leur corps en se prononçant férocement contre l'avortement ou encore contre les homosexuels en les qualifiant le plus souvent d'animaux, des déviants que le diable a punis? Il ne s'agit pas d'excès de certains religieux que l'on peut croiser au coin d'une rue par tous les temps à Montréal, il s'agit bien des discours officiels, de lois, d'ouvrages récents, que les plus hauts représentants des religions, reconnus comme ultimes guides spirituels pour la plupart des croyants, diffusent avec force et moyens dans nos sociétés censées être souveraines et sur lesquels ils comptent bâtir leurs célestes empires!

La grande majorité des pro-charte est soucieuse de l'avenir de ces très nombreux croyants qui tentent avec beaucoup de peine de se réapproprier leur foi - la relation personnelle, libre, qu'ils entretiennent avec leur dieu - loin des dogmes et des traditions patriarcales, sexistes et homophobes de leurs religions.

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Le hijab

Hijab, burqa, niqab ou tchador?

De quelles voix religieuses voulons-nous nous porter garant?

Comme l'explique le sociologue et philosophe Rafael Diaz-Salazar, «deux forces se disputent le champ religieux : les néoconservateurs de toutes les confessions, désireux d'imposer leurs normes et leurs valeurs à toute la société, et les partisans de la modernisation religieuse, qui proposent la recréation de traditions spirituelles millénaires à l'intérieur de cultures laïques». Comme le pense Rafael Diaz-Salazar, «l'avenir de la démocratie laïque dans le monde dépend en grande mesure du triomphe ou de l'échec de la modernisation religieuse».

Des représentants religieux se battent pour la liberté de conscience, des catholiques luttent pour le respect des homosexuels et des femmes, des musulmans qui, comme Tareq Oubrou, Iman de Bordeaux et auteur d'Un Iman en colère, s'insurgent contre certaines pratiques obscurantistes qui nuisent avant tout aux croyants eux-mêmes et à la perception que les autres ont d'eux : «On est musulman lorsqu'on a la foi; c'est la grâce de Dieu qui sauve. Les pratiques cultuelles, elles, sont aménageables.(...) Le vrai problème concerne les comportements qui relèvent de l'éthique personnelle et qui sont devenus des marqueurs pour beaucoup de musulmans: manger halal, porter le voile... (...) Quant au voile, je n'ai trouvé aucun texte qui oblige la femme à se couvrir la chevelure. Le combat que les musulmans ont mené pour le port du voile me désole, parce qu'il donne une image négative de la façon dont l'islam perçoit la femme. Cette tendance à tout ritualiser conduit certains fidèles à parler plus de la pratique que de Dieu lui-même!». Enfin, la communauté juive française appuie l'interdiction de porter des signes religieux dans certains lieux, comme le souligne le rabbin Serfaty, président de l'Amitié judéo-musulmane de France qui ne parle évidemment pas au nom de la communauté juive ultraorthodoxe, qui prêche pour sa part l'observance stricte des coutumes religieuses.

Étienne Borne, philosophe croyant, nous rappelait que « l'intégrisme est une nostalgie du passé qui se prend pour une référence à l'éternel. » Alors, qu'on se le dise,en continuant d'accorder aux éléments symboliques religieux les plus conservateurs le crédit institutionnel de l'état - une valeur normative - par leur simple présence en son sein nous réduisons la capacité des autres religieux à se faire entendre et à réformer leurs institutions. Aujourd'hui, seule la neutralité normative de l'état permettra aux réformateurs une certaine égalité de moyens pour se faire entendre face aux conservateurs.

La laïcité actuelle, «ouverte», multiculturelle (et non interculturelle) et communautariste laisse tout le champ libre aux pouvoirs religieux conservateurs, de se «publiciser» et de croître en se faisant représenter à travers le port ostentatoire de signes médiévaux, «intouchables», au sein de l'État.

Le multiculturalisme des anti-charte ou «l'enfer est pavé de bonnes intentions»

À la différence de ce que pensent les «inclusifs» anti-charte, il ne s'agit donc pas de réduire la pluralité des visions du monde au sein de la société, mais bien de fournir à l'État laïque l'outil législatif qui lui permettra de se dissocier - autant dans son essence (sécularisation) que dans sa forme (neutralité normative) - des forces religieuses conservatrices qui n'acceptent pas l'autonomie de l'État et veulent imposer leur idée de la «Vérité», leurs codes et leurs lois, contre les décisions démocratiques de la société (égalité homme-femme, droit à l'avortement, droits des homosexuels, etc.).

En 2009, dans Le Devoir, l'avocat Jean-Claude Hébert prévoyait exactement ce qu'il allait se passer :

«Notre Charte des droits et libertés fait voir un pôle libéral individualiste: c'est une déclaration du citoyen. Ce sont donc les personnes (par opposition aux groupes) qui bénéficient de la liberté de religion. Mais, attention! Vu l'importance de la spiritualité dans une société diversifiée, le concept juridique de Dieu peut prendre du volume. Dans la mesure où des personnes reliées à un groupe ou une collectivité ne doivent pas connaître de discrimination sur la base de leurs croyances ou pratiques religieuses, la notion protéiforme de Dieu pourrait certes alimenter des revendications culturelles et identitaires... à connotation religieuse.»

Et si, comme je le pense, le retour au port des voiles chez les musulmanes du Québec est aussi dû à l'affirmation identitaire des ces dernières en réaction à un racisme galopant chez les «Québécois de souche» ou plus généralement chez les occidentaux, l'État n'a pas pour vocation d'exposer une telle affirmation identitaire et encore moins d'entretenir ce rapport de forces entre ces communautés.

Aimerions-nous voir les «Québécois de souche», en réaction à l'affirmation identitaire des communautés religieuses, se revêtir de leur drapeau pour affirmer eux aussi leur identité et leurs croyances au sein de la fonction publique? Parce que c'est vers là que le Québec entier est en train de cheminer. La neutralité de l'État est un garde-fou contre ces excès!

Alors, qu'allons-nous faire ici au Québec? Continuer d'embrasser le multiculturalisme canadien ou se donner des balises claires concernant l'état, ses systèmes de justice et d'éducation? Dans la même optique relativiste du concept de multiculturalisme qui met l'ensemble des cultures au même niveau, les règles de la «charia» (ont fait) pour la première fois leur apparition dans le droit britannique. La Law Society, l'équivalent du barreau, a créé une vive controverse en envoyant, mi-mars, aux avocats des recommandations afin de rédiger des testaments «charia compatibles».

Il n'y a bien que les multiculturalistes anti-charte pour penser que l'on peut créer un sentiment d'appartenance à une nation et obtenir une paix sociale - l'intention du multiculturalisme - basée sur des lois et règlements contradictoires (comme, je le répète, celle qui interdit à certains d'exposer leurs idéologies et celle qui permet à d'autres d'exposer leurs idéologies religieuses au sein de l'état) et des tribunaux parallèles qui traitent les citoyen(e)s de manières différentes...

On ne peut donc pas s'étonner si des nouveaux conflits éclatent au sein de la société britannique entre, d'un côté, les partisans de la Lawyers Secular Society qui condamne ce geste qui «normalise et légitimise» un système «fondamentalement discriminatoire», ou ceux qui pensent comme Caroline Cox, membre de la Chambre des lords, que «cela viole tout ce que nous représentons (...) les suffragettes se retourneraient dans leur tombe», et d'un autre côté les partisans du Conseil de la charia islamique qui reconnaît dans cette affaire qu'il n'est «pas encore» reconnu par l'État britannique, mais se félicite d'avoir «pris les mesures préparatoires à son objectif final de gagner la confiance des communautés pour le système légal islamique».

Même si en 2004, l'Assemblée nationale du Québec a rejeté la proposition de tribunal parallèle basé sur les règles de la Charia que plusieurs associations musulmanes lui avaient soumise - les mêmes qui ont organisé les marches anti-charte -, nous sommes en droit de nous demander, comme l'avocat Jean-Claude Hébert, « si, un jour, les tribunaux donneront préséance au principe non écrit de la laïcité de l'État sur la suprématie de Dieu (et la liberté religieuse), celle-ci étant burinée dans le bronze de la Constitution canadienne » et de conclure qu'au « Québec, une affirmation forte du principe de laïcité par l'Assemblée nationale pourrait utilement remplir un vide juridique et orienter la démarche des juges.»

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La rhétorique des anti-charte en action...encore et toujours les voiles islamiques...

Les fonctionnaires de l'État ont déjà des normes vestimentaires à respecter (incluant le respect d'une certaine pudeur), allons-nous continuer aussi d'y inclure les normes religieuses lorsque cet état est censé être laïque et séparé des dogmes religieux qui règlementent sur d'autres critères les tenues de leurs membres? La conception de la pudeur religieuse, surtout lorsque celle-ci est essentiellement destinée aux femmes et donc éminemment sexiste, contrevient directement à la conception laïque de la société en terme d'égalité homme-femme.

1. Focalisation pernicieuse et victimisation : Assez étrangement, les anti-charte « inclusifs » tentent de focaliser tout le débat sur la seule communauté musulmane et plus particulièrement sur les femmes voilées. S'ils mesurent avec raison l'effet néfaste de l'utilisation de la Charte par les racistes, ils ne mesurent pas une seule seconde l'effet de leur rhétorique sur la communauté qu'ils disent défendre et qui produit un effet contraire : ils sont ni plus ni moins en train de convaincre la communauté musulmane au complet qu'une majorité de Québécois haït leurs compatriotes musulmans. Cela a non seulement comme conséquence d'augmenter le repli et la cristallisation identitaires de cette communauté, mais aussi d'accentuer le racisme des « québécois de souche » face à une telle poussée identitaire.

Les anti-charte ne cessent de nous sermonner sur « nos peurs » concernant la position des religions sur les femmes et les homosexuels en nous disant que si ces derniers sont attaqués, ils n'ont qu'à saisir la justice, qu'il y a des droits qui les protègent déjà et que la Charte est donc inutile. Les mêmes s'inquiètent pourtant que certaines communautés ont du mal à trouver du travail et que la Charte risque d'augmenter ce phénomène. Qu'ils se rassurent eux aussi, il est interdit de discriminer quelqu'un à l'embauche en fonction de son appartenance ethnique ou religieuse, ces personnes peuvent donc utiliser les ressources de la justice et les droits qui les défendent!

Les anti-charte reprochent également à la Charte la discrimination sur le sexe qu'elle pourrait créer envers les femmes parce que la Charte ne peux interdire la barbe aux hommes musulmans. Rappelons que la barbe n'a pas le même sens et encore moins le même rôle que le voile, elle ne recouvre aucunement le corps et qu'elle est plutôt très peu répandue chez les hommes musulmans. Elle pourrait être également interprétée, à l'inverse du voile des femmes qui sert à les désexualiser, comme un élément de virilité... Si on suit la logique des anti-charte, comme on ne peut pas interdire un élément, laissons-les tous passer... Nous n'allons pas nous mettre à raser toutes les barbes - il n'existe pas de critères de coupe de la barbe musulmane - ou encore retirer les chaussettes des femmes de la secte juive Lev Tahor qui, selon leur critère de pudeur, n'ont pas le droit des les enlever!

2. Annuler les arguments de la partie adverse en utilisant le relativisme culturel ou en redéfinissant le sens du voile au fur et à mesure du débat : Leur rhétorique consiste dans un premier temps à dire que les voiles ne sont pas religieux mais culturels (pourtant, ce sont les religieux qui les ont historiquement imposés aux femmes...). Si cela n'était pas religieux, on a du mal à comprendre pourquoi les anti-charte invoquent la liberté de culte pour le maintenir au sein de l'état ou pourquoi cela pose tant de problèmes aux femmes voilées de le retirer durant leurs heures de travail dans la fonction publique ou encore pourquoi certaines s'obstinent à porter un couvre-chef alors que, pour tous les autres fonctionnaires, il est interdit d'en porter un. Les voiles sont donc bien portés pour des motifs religieux.

Dans un deuxième temps, les anti-charte diront que les voiles ne s'inscrivent pas dans une tradition patriarcale et machiste religieuse et que ces derniers ont un sens différent pour chacune des femmes qui les portent. ls seront certainement très tristes d'apprendre que toutes les instances dirigeantes religieuses musulmanes ne donnent qu'une seule définition, une seule raison, au port de ces voiles qui ne laisse aucune place à l'imagination ou à une quelconque ambiguïté : ces voiles sont là pour camoufler les attributs féminins du regard des hommes (à commencer par hijab qui cache la chevelure et la nuque, puis les autres qui cachent les formes de la poitrine, et qui s'accompagnent d'autres vêtements qui masquent, les chevilles, les mains, le regard, toute partie corporelle de la femme qui pourrait corrompre l'esprit de mâles autres que leur mari ou les membres proches de sa famille). Ajoutons que multiplier les sens de ces voiles n'a pas d'autre effet que de les rendre incritiquables - puisque l'argumentation de celle ou celui qui le critique ne repose plus sur rien ou sur une infinité des raisons, ce qui revient au même - et de permettre aux anti-charte de réduire toute l'argumentation des pro-charte à des motifs racistes en affirmant que si on n'aime pas les voiles (puisqu'on ne peut plus rien dire sur eux), c'est qu'on n'aime pas les arabes, les musulmans...

Étonnant que cela soit majoritairement des femmes musulmanes (les "traitresses" selon certains anti-charte) qui ont le courage de s'exposer médiatiquement et qui viennent défendre la Charte? Mme Rakia Fourati pour le Mouvement laïque québécois et l'Alliance des communautés culturelles pour l'égalité dans la santé et les services sociaux, membre et fondatrice de la Ligue tunisienne de la défense de la laïcité et des libertés (LDLL) et membre de l'association Égalité et Parité définit clairement la symbolique du voile islamique en se basant sur la définition qu'en donne le célèbre psychiatre et psychologue Carl Gustav Jung :

«Dans les discours que nous pouvons entendre, on essaye de rapporter le foulard des fois à la religion, des fois à la culture d'autres fois au vestimentaire quand ça nous arrange, au travail. Pour moi, le foulard qu'il soit rouge, vert, noir, porté d'une façon élégante avec des boucles d'oreille, avec ou sans maquillage, ça reste toujours un symbole. Qu'on l'appelle hijab, qu'on l'appelle niqab, qu'on l'appelle tchador, qu'on l'appelle tout ce qu'on veut, ça reste aussi un symbole. Permettez-moi de préciser ce qu'est un symbole: c'est l'expression substitutive destinée à faire passer dans la conscience sous une forme camouflée certains contenus qui à cause de leur censure ne peuvent y pénétrer tels quels. Par exemple, si on ne peut dessiner un lion parce qu'il représente la férocité, on dessine une griffe qui réfère à la férocité. Pour moi, le symbole du foulard, c'est exactement cela : On ne peut pas dire consciemment ce que cela représente, mais on y tient sous silence et tout le monde sait et dans tous les pays c'est pareil, il n'y a pas d'autres interprétations pour ce symbole-là (le voile) que la soumission.»

Mme Fourati précise également «la différence, et la grande différence, entre l'islam et l'islamisme, c'est que, les musulmans, leur croyance est verticale : ça va entre eux et le Bon Dieu. C'est une foi, c'est une croyance qui n'a rien à voir avec ceux qui sont à côté. L'islamisme, c'est une expansion sociale. C'est une politique religieuse... ». « Bon, continue-t-elle, L'islam, je le respecte. Moi, je suis d'une famille qui pratique, et je respecte l'islam, ils me respectent. Et il y a déjà... dans ma propre famille, avec ma propre maman, j'ai instauré des balises depuis très longtemps. Donc, qu'on soit clairs :on peut très bien s'entendre, tout en étant athées et musulmans dans une même maison, si on respecte les balises»

Françoise David, anti-charte, ne cesse de répéter la même chose : «Soyons clairs, pour Québec solidaire, le voile n'est pas un symbole anodin. Il est à l'image de tous les symboles et de toutes les règles qui dans la plupart des religions infériorisent les femmes». M. Kadhir, représentant QS également anti-charte soutient les même propos, mais précise qu'il ne faut pas «toucher aux individus». Les vœux pieux de QS en cette période d'élection sont nombreux, mais leurs députés peuvent-ils nous expliquer concrètement comment espérer changer les mentalités les plus rétrogrades de ces religions « sans toucher » aux personnes qui sont porteuses de leurs symboles rétrogrades?

Hormis pour les religieux les plus fondamentalistes, le port du voile ne constitue absolument pas une obligation. Pouvons-nous dès lors considérer que certaines femmes musulmanes qui refusent catégoriquement d'avoir à enlever leur voile durant leurs heures de travail au sein de la fonction publique endossent les dogmes de ces fondamentalistes ou font montre d'un repli identitaire extrême qui s'oppose à la conception laïque de notre société en terme d'égalité homme-femme et de séparation avec les pouvoirs religieux?

Choisir sa solidarité

Il va sans dire que si nous vivions dans un monde parfait, dénué d'intolérance, sans guerre de religions, sans gens avides de pouvoir ou d'argent, je clamerais avec une immense joie le discours des anti-charte qui consiste essentiellement à dire que «tout va bien ici»! Si l'Homme n'était pas Homme, il n'y aurait pas de guerre, les enfants s'élèveraient tout seuls, et nous n'aurions pas besoin d'une Charte...

Le seul engament, le seul devoir que l'état a envers ses citoyen(e)s, c'est de leur fournir une société pacifiée sur la base de règles et de valeurs communes pour assurer un minimum de cohésion sociale et non une ambiance conflictuelle, anarchique, faite de différents pouvoirs communautaristes qui fonctionnent en réseaux également hors du Québec, de croyances antagoniques qui tentent de s'imposer les unes par rapport aux autres dans leur quête de pouvoir ou de croissance.

Les anti-charte, «tolérants», «inclusifs» tentent-ils - au nom de la liberté de culte et de la liberté de conscience (que les religions combattent de manière assez significative) - de réfréner l'effort d'émancipation de ces millions de personnes qui désirent se libérer du joug des dogmes de leurs religions en laissant libre cours à leurs rituels ancestraux, patriarcaux, sexistes et homophobes? En d'autres termes, comptent-ils laisser s'afficher au sein de la fonction publique, des organismes de pouvoir et d'éducation, les symboles de doctrines qui continuent d'exclure ou d'ostraciser des pans entiers de nos populations, à commencer par les femmes, les homosexuels, puis les non-croyants et les agnostiques?

Les anti-charte essayent de noyer sous l'immonde poids d'un racisme malheureusement bien réel les questions essentielles qu'une grande majorité de Québécois(es) se posent : quel est notre rapport à la foi, aux faits religieux, aux religions, à leur mode de fonctionnement, aux relations que celles-ci entretiennent avec nos pouvoirs, à leurs influences idéologiques dans notre société qui proviennent parfois de l'étranger. Les Québécois(es) sont en train de se questionner une nouvelle fois sur leurs privilèges et leurs dérives sectaires et vont prendre aujourd'hui leur décision.

Le Parti libéral du Québec a clairement affiché ses intentions de permettre aux personnes en position d'autorité de porter des signes religieux, incluant la police. Le Parti québécois est malheureusement le seul porteur de la Charte parmi tous les partis politiques.

Une gauche qui met en avant les libertés individuelles au détriment des valeurs collectives n'est plus une gauche. Une gauche qui défend le port de signes ostentatoires religieux les plus moyenâgeux et conservateurs au sein de l'État ne peut pas se qualifier de progressiste. Une gauche qui revendique le droit d'expression de symptômes identitaires négatifs et sexistes, tant religieux que culturels, les plus susceptibles de nuire à la démocratie et au bien vivre ensemble, est une erreur qui pourrait nous être préjudiciable à tous.

Choisissez votre solidarité!

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