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Les économistes, des professionnels mal aimés

Il suffit de fréquenter un tant soit peu les médias et les réseaux sociaux pour réaliser que l'estime du public à l'endroit des économistes n'est guère plus élevée qu'envers les politiciens. Ils sont souvent vus comme cautionnant une économie mondiale qui ne profite qu'à une minorité et qui conduit au saccage de la planète.
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Ce billet a aussi été publié sur Libres Échanges, le blogue des économistes québécois.

Il suffit de fréquenter un tant soit peu les médias et les réseaux sociaux pour réaliser que l'estime du public à l'endroit des économistes n'est guère plus élevée qu'envers les politiciens. Ils sont souvent vus comme cautionnant une économie mondiale qui ne profite qu'à une minorité et qui conduit au saccage de la planète.

André Beauchamp, ancien président du Bureau d'audience publique sur l'environnement et intellectuel respecté, exprimait bien cette méfiance dans un livre récent:

D'ailleurs, la société est livrée pieds et mains à l'économie, les économistes ayant réussi à mettre la main sur la société et à imposer leurs règles du jeu.[1]

Cette froideur à l'endroit des économistes tient peut-être à la nature de leurs messages. Les économistes sont souvent amenés à jouer les prophètes de malheur et à poser en préfets de discipline. Ils ont l'odieux de pointer les défaillances qui empêcheraient une plus grande prospérité: les gouvernements dépensent et taxent trop, les ménages n'épargnent pas assez, les entrepreneurs investissent trop peu, les travailleurs ne sont pas assez productifs, les financiers font trop de profits, les étudiants décrochent en trop grand nombre. Et le Québec dans son ensemble n'innove pas suffisamment, compte trop sur l'État et gère mal ses ressources.

De tels messages n'ont rien pour susciter l'enthousiasme populaire et ils échouent la plupart du temps à provoquer les changements escomptés. Le citoyen moyen semble en effet réfractaire aux solutions exigeantes quitte à ressembler très peu à l'homo oeconomicus des manuels de science économique. Les acteurs visés - individus ou entreprises - préfèrent croire qu'il revient aux gouvernements de rectifier les choses en appliquant des solutions qui ne les affecteront pas eux-mêmes. Leur refus d'obtempérer aux prescriptions des économistes est compréhensible puisque les prévisions les plus sombres de ces derniers se réalisent rarement et que, à l'inverse, des crises majeures comme celle de 2008 surviennent sans que personne ou presque du côté des économistes ne les ait vues venir. Par ailleurs, dans le dossier très sensible des mesures d'austérité imposées à plusieurs pays aux prises avec une grave crise financière et budgétaire, des économistes réputés ont dû reconnaître leurs erreurs [2].

L'écart entre les analyses des économistes et les perceptions de la population ressortait bien d'un sondage effectué en prévision du congrès 2012 de l'Association des économistes québécois. Entre autres points de divergence, les répondants étaient cinq fois plus nombreux que les économistes à estimer que c'est en payant plus d'impôts que les entreprises privées pourront mieux contribuer à créer un Québec prospère [3].

À la décharge des citoyens et des politiciens, il faut bien reconnaître que les économistes ont parfois une vision un peu trop détachée du monde réel. Par exemple, ils peuvent bien préconiser le libre-échange en s'appuyant sur la loi des avantages comparatifs, ce ne sont pas eux qui seront mis à pied quand des industries entières ne réussiront pas à résister à la concurrence de pays plus efficients.

Malgré qu'ils prêchent souvent dans le désert, les économistes peuvent et doivent éclairer le débat public en montrant les conséquences prochaines ou lointaines des options s'offrant aux sociétés et à leurs gouvernants. Ils doivent rappeler que le budget de l'État ne s'analyse pas de la même façon que le budget des ménages, que l'économie financière n'est pas l'économie réelle, que les projections linéaires s'avèrent toujours fausses à moyen et à long terme, qu'une croissance trop rapide amène des rajustements pénibles et que la fuite en avant dans une même direction conduit inévitablement à des rendements décroissants. Mais ils doivent garder à l'esprit que la fonction d'utilité de la population et des dirigeants politiques incorpore d'autres variables que la croissance économique et la richesse. Et s'il peut être frustrant pour les économistes d'avoir l'impression de ne pas être écoutés, ils peuvent se consoler en pensant, comme Keynes, que tôt ou tard les événements leur donneront raison fut-ce à titre posthume:

[...] les idées, justes ou fausses, des philosophes de l'économie et de la politique ont plus d'importance qu'on ne le pense généralement. À vrai dire le monde est presque exclusivement mené par elles. Les hommes d'action qui se croient parfaitement affranchis des influences doctrinales sont d'ordinaire les esclaves de quelque économiste passé.[4]

[1] BEAUCHAMP, André, Changer la société - Essai sur un échec en cours, Novalis, 2013, p78.

[2] Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff ont dû admettre une erreur dans les calculs sur lesquels ils se fondaient pour affirmer qu'au-delà d'un niveau d'endettement correspondant à 90% de leur PIB, les pays s'exposaient à un sérieux ralentissement de leur croissance économique. Pour sa part, Olivier Blanchard, économiste en chef du Fonds monétaire international, a reconnu que son institution avait sous-estimé les effets des restrictions budgétaires imposées à la Grèce et à d'autres pays européens.

[3] Gérard BÉRUBÉ, Une prospérité, deux perceptions, Le Devoir, 15 juillet 2012, C4.

[4] John Maynard KEYNES, Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie, Payot, 1966, p397.

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