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Le Mois de l'histoire des Noirs est-il encore nécessaire?

La situation de personnes d'ascendance africaine et de race noire a beaucoup évolué aussi bien aux États-Unis qu'au Canada. Il n'est pas sage d'enfermer les jeunes générations dans un passé, certes douloureux, mais qui parfois n'a peut être pas les mêmes effets sur leur avenir.
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Le mois de février est célébré aux États-Unis et au Canada comme étant celui de l'histoire des Noirs. L'idée remonte à 1926 avec Carter Godwin Woodson, historien et fondateur de l'Association for the Study of African American Life and History qui proposa de fêter la «Negro History Week» pendant la deuxième semaine du mois de février pour honorer la mémoire des Afro-américains qui se sont battus pour faire abolir l'esclavage. La période choisie coïncidait avec la naissance de deux personnalités importantes - le célèbre abolitionniste Frederick Douglass et l'ancien président Abraham Lincoln - qui avaient contribué à l'abolition de la ségrégation raciale aux États-Unis et à la reconnaissance des droits civiques des Afro-Américains. En 1976, lors du bicentenaire des États-Unis, la célébration de la «Negro History Week» s'est étendue au mois complet de février pour devenir le «Black History Month».

Au Canada, c'est en décembre 1995 que la Chambre des communes adopta une résolution instituant officiellement le Mois de l'histoire des Noirs, en février également. Depuis, c'est devenu un rituel pour les Canadiens d'ascendance africaine et de race noire d'organiser des événements commémoratifs pour faire connaître leurs accomplissements et contributions au Canada.

Mais au-delà de célébrations et festivités, il y a lieu de se questionner un peu sur la nécessité de continuer à commémorer le Mois de l'histoire des Noirs dans un Canada dont l'histoire du peuplement est faite d'hommes et de femmes de couleur blanche, jaune, noire, brune et d'un métissage de plusieurs d'entre elles. Tous ont servi et servent fièrement tant au pays qu'à l'étranger, en période de paix comme de guerre, et il contribuent à la prospérité du Canada. Pourquoi continuer à célébrer spécifiquement l'histoire des Noirs alors que la population canadienne est une mosaïque culturelle, ethnique et linguistique?

Je suis peut-être naïf à pouvoir me questionner à ce propos, mais je ne suis pas convaincu que la couleur de la peau soit un bon critère de reconnaissance de mérite et de contribution que les Canadiens apportent à leur société. Je dois l'avouer sincèrement que j'ai du mal à expliquer à ma fille qui aimerait savoir pourquoi célèbre-t-on seulement le Mois de l'histoire des Noirs et pas d'autres couleurs de la peau.

J'estime que la reconnaissance de la contribution, s'il y a, ne devrait pas être ramenée à la couleur de la peau, quelle qu'elle soit. Si l'objectif recherché dans les commémorations est d'apporter un éclairage sur un pan de l'histoire du Canada qui a été longtemps ignoré, alors, au lieu de célébrer simplement le Mois de l'histoire des Noirs, il faudrait déconstruire les mythologies, réécrire l'histoire, y mentionner l'apport des Canadiens de race noire dans la mémoire collective et transmettre cette histoire par l'éducation aux générations présentes et futures au travers des manuels et programmes scolaires.

Par contre, il est bien réel que les personnes d'ascendance africaine et de race noire éprouvent des difficultés dues à leur couleur de la peau dans la recherche du travail et souvent font l'objet de profilage racial. C'est là qu'il y a un travail énorme à faire pour informer les jeunes générations que la couleur de la peau est une question de gène.

La couleur de la peau à l'origine du racisme.

En effet, la couleur de la peau a toujours été un sujet de débats scientifiques et de conversations entre différentes couches de la population à travers le monde. Les vieilles théories de classification de l'espèce humaine basées sur des critères subjectifs de couleur de la peau, de géographie, de culture ou d'anatomie, qui ont fort heureusement perdu toute légitimité scientifique, continuent malheureusement de marquer notre façon de voir l'autre et alimentent encore le racisme dans le monde. La couleur de la peau est considérée par certains comme un marqueur d'altérité et un prétexte de discrimination.

Alors que la théorie de l'origine évolutive de l'espèce humaine moderne (Homo sapiens) nous renseigne que tous les êtres humains forment un seul et même groupe taxinomique, une seule espèce et ont la même origine qui se situerait vraisemblablement en Afrique. Peu importe la couleur de la peau, la génétique prouve que l'Homo sapiens est une race à part entière, sans sous-catégories. La couleur de notre peau n'est qu'une caractéristique physique et génétique déterminée par la mélanine qui explique la remarquable variété de teintes prises par la peau. Il n'y a donc pas de marqueur génétique de la race ni de couleur de la peau lorsqu'on a besoin d'un donneur d'organe compatible.

Malheureusement, Pierre-André Taguieff, philosophe et historien français des idées politiques et auteur de nombreux ouvrages sur le racisme et l'antisémitisme mentionne que «la différence des couleurs de peau est devenue l'indice visible de différences invisibles porteuses de qualités inférieures ou supérieures... Réduit à son statut de dominé et d'exploité, dont sa couleur de peau prend le sens d'un marqueur naturel, le Noir africain peut être méprisé, traité comme un sous-homme, une marchandise ordinaire».

Les êtres humains sont tous égaux. Le racisme n'est qu'une invention de l'homme qui a peur de la différence et qui agit de manière intolérante. Continuer à célébrer le Mois de l'histoire des Noirs, c'est entretenir inconsciemment le racisme qui va perdurer tant et aussi longtemps que les gens chercheront à s'identifier par rapport à leur race ou couleur de la peau pour revendiquer leurs droits ou contributions à la société. Par contre, l'on peut combattre le racisme en refusant de se considérer comme distinct des autres, mais en considérant la couleur de sa peau comme étant simplement un effet de la mélanine.

Combattre le racisme au lieu de célébrer l'histoire d'une race.

Le racisme au travail est parfois une réalité que l'on refuse de reconnaître mais qui fait des exclus dans la société, en créant et maintenant les inégalités économiques profondes. Aussi bien aux États-Unis qu'au Canada, il est connu de tous que le taux de chômage des personnes d'ascendance africaine et de race noire est beaucoup plus élevé que celui du reste de la population en général.

Les jeunes Canadiens d'ascendance africaine et de race noire sont parfois confrontés au racisme et à la discrimination en milieu du travail. Les efforts devraient être faits pour promouvoir un milieu de travail juste, inclusif et donner des chances égales à tous sans préjugé racial. En effet, le travail est non seulement une source de revenu, mais aussi un élément important d'intégration socio-économique, d'estime de soi et contribue à réduire les écarts dans la société.

La situation de personnes d'ascendance africaine et de race noire a beaucoup évolué aussi bien aux États-Unis qu'au Canada, il n'est pas sage d'enfermer les jeunes générations dans un passé, certes douloureux, mais qui parfois n'a peut être pas les mêmes effets sur leur avenir. Il faut plutôt combattre le racisme, les discriminations, les inégalités sociales et les différences artificielles entre individus qui engendrent toutes sortes des phobies : xénophobie, homophobie, islamophobie, etc.

«L'humanité est constamment aux prises avec deux processus contradictoires dont l'un tend à instaurer l'unification, tandis que l'autre vise à maintenir ou à rétablir la diversification.» - Claude Lévi-Strauss, ethnologue et Académicien français.

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