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Le jour où mon fils autiste est entré dans une mosquée interdite d'accès à Jérusalem

Déjouant la vigilance des gardes, il est entré dans la mosquée. Panique. L'attente est insupportable...
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Des gardes armés font les cent pas devant la mosquée interdite d'Al Aqsa. Nous sommes à Jérusalem mais Pierre ne le sait pas. Il est autiste et ignore l'existence du conflit israélo-palestinien et les interdits qu'il engendre. Mon regard est rivé sur lui, car dans ce lieu de tensions, Pierre peut s'enfuir de la zone de sécurité paternelle et commettre le pire, ici comme ailleurs. Et le pire est arrivé.

Déjouant la vigilance des gardes, il est entré dans la mosquée. Panique. L'attente est insupportable. Puis Pierre surgit juché sur les épaules d'un garde qui rigole. Nous remercions cet homme. Il sourit, veut savoir. Le ton est bienveillant. Commence un long échange fraternel, on ne veut plus quitter l'esplanade. Pierre vient de réconcilier deux mondes en guerre.

Un miracle que seules les personnes handicapées peuvent accomplir en raison de leur potentiel d'amour supérieur à la moyenne. Et particulièrement chez les autistes dont les qualités d'accueil, d'émerveillement, de simplicité, de vérité sont illimitées. Innocents, fragiles, indemnes de toute malveillance, et de tout calcul, ils éveillent le don de l'autre et l'envie de les protéger.

Mais quelle place leur accordons-nous? En effet la prise en charge des autistes est actuellement réduite à l'accueil de ceux-ci dans des lieux où des éducateurs d'un dévouement et d'une attention remarquables, tentent de les aider par un apprentissage de l'autonomie. Malgré de grands progrès sur le plan de l'équipement, des aides financières, de l'intégration dans le monde scolaire et celui du travail, on constate une grande ambivalence sur le plan humain. Socialement, le handicap reste synonyme d'échec, et non simplement d'une différence. Il importe de corriger cette approche afin de mesurer la valeur intrinsèque des handicapés au sein de notre société car il se pourrait bien que l'autisme soit une chance pour nous tous.

Pierre enlaçant son père lors du Pierrothon, cette course à pied suivie d'un pic-nic destinée à récolter des fonds pour améliorer la prise en charge des enfants autistes.

L'autisme est reconnu comme handicap depuis seulement 1996. Les autistes sont mis à l'écart dans un monde à part. Un monde à eux. À l'instar des personnes âgées considérées comme inutiles, on cherche à leur construire un univers où ils pourront vivre sans déranger ni la société ni leur famille. Ne nous leurrons pas, et je sais de quoi je parle: vivre avec un enfant autiste n'est pas simple. C'est parfois l'équilibre familial qui est en péril et nombreux sont les couples qui se sont déchirés, épuisés, à force de vivre dans un quotidien sans pause et sans répit. C'est l'état d'urgence en permanence entre le white spirit ingurgité, les débordements d'humeur, les angoisses ingérables.

Avec notre fils Pierre, nous avons vite compris que nous ne pourrions pas nous en sortir seuls. Son handicap, le syndrome Phelan Mac Dermid - 22q13, lié à une micro délétion sur un chromosome, se traduit par «un trouble de la sphère autistique sévère», comme disent les spécialistes. Cela signifie qu'il ne dort pas, ou très peu, qu'il ne parle pas, qu'il est imprévisible, qu'il n'a aucune notion du temps et de l'espace, et qu'il peut partir de la maison sans raison pour aller droit devant lui, sans aucune conscience du danger ou de l'angoisse de ses parents qui le cherchent. Il y a quelques années, un enfant comme Pierre aurait été «placé», dans un établissement psychiatrique où un traitement «adapté» aurait annihilé toute volonté pour le rendre inoffensif.

Que de progrès accomplis ! Mais que de chemin encore à parcourir...

Désemparés, mais pas pour autant résignés, nous avons alors créé un réseau de bénévoles afin d'aider Pierre à sortir de sa bulle en appliquant une méthode d'éducation développementale, la méthode des 3I, dont le principe repose sur des séances en tête-à-tête durant lesquelles l'enfant et l'adulte jouent ensemble. Outre les résultats sensibles permettant à Pierre de mieux appréhender son environnement, la richesse de ces échanges entre Pierre et ses «Pierrots» fut une grande surprise. Les qualités de Pierre, communes aux enfants, et particulièrement aux autistes, ont permis d'établir une communication, essentiellement affective, d'une rare intensité. Pierre n'était pas le seul à progresser... Pierre nous ouvrait les yeux, nous ramenait à l'essentiel. Les artifices relationnels n'avaient plus cours, les codes avaient changé. Pierre ne nous critiquait pas, ne portait aucun jugement et se moquait bien de nos promotions professionnelles. En revanche, si nous arrivions en retard, si nous étions tristes, il le remarquait tout de suite, et, à sa façon nous le reprochait ou nous consolait. Il y avait quelque chose du Petit Prince face au renard.

Comprenant la richesse de ces relations, nous avons alors imaginé un lieu de vie dans lequel les résidents, salariés et bénévoles pourraient s'épanouir dans la découverte des uns et des autres. Notre association Le chemin de Pierre, consciente qu'elle n'avait aucune chance de porter seule un tel projet s'est alors rapproché de la «Société Philanthropique», pour se lancer avec «Maisons pour la Vie», une autre association partageant les mêmes valeurs, dans la création d'une structure d'accueil pour sept jeunes adultes autistes.

Ce projet baptisé «Maison Harmonia» ne peut cependant aboutir qu'avec une farouche volonté d'y arriver, et des fonds conséquents. En effet, cela nécessite un investissement de l'ordre du million d'euros et un coût de fonctionnement annuel de l'ordre de plusieurs centaines de milliers d'euros. Sans financements privés, sans dons, Maison Harmonia ne verra pas le jour. Plusieurs actions ont donc été imaginées par l'équipe du Chemin de Pierre, dont le «Pierrothon», course à pied suivi d'un pique-nique, qui a rassemblé en novembre environ 200 participants. Le réseau faisant son œuvre, plusieurs manifestations artistiques telles que pièces de théâtres ou encore concerts, assurent à l'association des revenus prometteurs, mais encore insuffisants. Malgré les difficultés, et confiants dans la Providence, les travaux commenceront en janvier, et Maison Harmonia devrait ouvrir ses portes à l'automne 2016.

Ce billet de blogue a été publié sur le Huffington Post France avant d'être adapté pour le HuffPost Québec.

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