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Les zones érogènes d'un Québec libre

Si l'objectif consistait à séduire le Québec le soir dans un bar, certains indépendantistes passeraient pour de bien mauvais dragueurs. Si bien que, faute d'être charmée, la Belle (province) choisit de demeurer au Canada: un bien piètre amant, mais qui lui garantit au moins le confort matériel, le poids des habitudes et l'amnésie des bienheureux.
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Si l'objectif consistait à séduire le Québec le soir dans un bar, certains indépendantistes passeraient pour de bien mauvais dragueurs. Si bien que, faute d'être charmée, la Belle (province) choisit de demeurer au Canada: un bien piètre amant, mais qui lui garantit au moins le confort matériel, le poids des habitudes et l'amnésie des bienheureux.

À la table d'à côté, trois indépendantistes devisent fiévreusement de la tactique à emprunter pour séduire la Belle. L'un, jeune et fougueux, juge que nos échecs passés s'expliquent par notre inconsistance et notre incohérence, faute d'avoir assez vigoureusement exprimé notre flamme à la Belle. Le second veut bien lui proposer la souveraineté mais en autant qu'elle se conforme à son projet socialiste. Le troisième pense qu'il faut plutôt surclasser le Canada en termes comptables et garantir au Québec libre la même prospérité que s'il demeure au Canada. L'un après l'autre, ils prennent leur courage à deux mains et entreprennent la Belle pendant que le Canada est aux toilettes.

Le premier l'aborde franchement. Pour lui, la séduction est affaire de conviction: il faut répéter inlassable le même mantra et «ne parler que de souveraineté», quitte à augmenter le volume si la Belle hésite ou si la musique est trop forte: «Allons plutôt chez moi faire un beau bébé souverain!» Il se ramasse bien sûr une paire de claques et reviens s'asseoir, mais nullement découragé: elle finira par comprendre, d'échec en échec jusqu'à la victoire finale...

Le second, disons-le, y va à reculons. Il propose bien la souveraineté à la Belle, mais seulement au terme d'une vaste consultation de couple et à la condition expresse qu'on s'entende au préalable sur un partage minutieux des tâches. La Belle n'est pas intéressée. Certes la souveraineté est emballante, mais voyons d'abord si le couple fonctionne avant de l'aménager au quotidien.

Le dernier hésite, conscient d'avoir déjà essuyé quelques échecs. Il l'aborde donc en misant sur sa probité: «Je paie mes dettes (déficit zéro), je suis honnête, ouvert, discret et propre de ma personne.» La Belle n'est pas convaincue. Oui, le péquiste est honnête, mais manque d'arguments ou ne la fait tout simplement pas craquer.

En fin de compte, nos trois amis finiront la soirée en s'engueulant sur ce qui n'a pas marché et la Belle rentrera déprimée avec le Canada. Demain, elle prendra rendez-vous chez le docteur Couillard qui la gavera d'antidépresseurs.

Quand le message ne passe pas, on s'en prend au messager. Nos chefs de file nationalistes manquent-ils de charisme? On se prend à rêver d'un leader ayant le charme de Lévesque, la détermination de Parizeau, la sincérité de Pierre Falardeau, le flair populiste de Mario Dumont et l'éloquence du Pierre Bourgault. Ce devrait aussi être une femme sans passé obscur, pour répondre aux dernières tendances en matière de mise en marché politique, et jeune de surcroît, car le chemin sera long d'ici la proclamation de République du Québec. Aussi bien mettre immédiatement les chasseurs de tête au travail car un tel candidat ne court pas les rues, d'autant qu'il devra plaire à toute la famille souverainiste, ce qui ne s'est pas produit depuis Louis-Joseph Papineau!

Assumer la diversité du Québec

Il en va de la politique comme de l'amour: pour convaincre il faut séduire et pour séduire il faut un tant soit peu varier les compliments qu'on adresse à la Belle. Au Québec, il faut d'abord chanter sa beauté et célébrer chacun de ses atours; lui dire à quel point, pour d'infinies raisons, elle vaut bien mieux qu'une simple province; lui montrer combien sa langue est précieuse, son histoire belle et inspirante, ses traditions uniques, mais fragiles. Ce sont ces 1001 raisons de faire l'indépendance qu'il faut rappeler. Le plumard viendra en temps et lieu. Est-ce hypocrite de souhaiter d'abord faire monter le désir ? Est-ce naïf de penser qu'il faut d'abord lui faire la cour?

Ainsi, le débat sur la Charte des valeurs fut cet automne un prodigieux moyen d'exposer l'importance d'une identité forte et fière. De même la candidature de Pierre K. Péladeau signifie d'abord que le nationalisme sait aussi recruter dans le camp des gagnants. Pour rejoindre toute la société civile et assumer la diversité du Québec, il faut partout susciter la fierté: valoriser les régions défavorisées, revigorer nos racines autochtones, rappeler leurs origines aux Montréalais, écouter notre musique, regarder notre cinéma. En somme, ces 1001 motifs de fierté sont autant de manières de donner au Québec le goût de prendre un risque.

Engoncées dans les débats techniques sur la stricte question de l'accession à la souveraineté, plusieurs organisations nationalistes ont malheureusement délaissé le vaste champ de l'identité. Or pendant qu'on discute agenda référendaire, nos traditions se perdent, notre patrimoine disparait, nos chants s'étiolent, nos danses sont ridiculisées et notre histoire nationale est évincée des écoles.

L'urgence n'est donc pas de compulsivement relancer la Belle mais de lui exprimer les raisons qui nous en ont fait tomber amoureux.

Comment expliquer que certains croient pourtant tout cela inutile pour arriver à convaincre une majorité de Québécois à embrasser le camp de la liberté? Au-delà de la fougue et de la candeur juvénile, au-delà aussi du réflexe du gérant d'estrade critiquant à son aise le Parti québécois, ce réflexe me semble remonter à la Révolution tranquille au moment de rejeter en bloc le vieux nationalisme de Lionel Groulx qui préférait, pudique, susurrer: «Pensons-y toujours, n'en parlons jamais». J'y reviendrai plus tard.

Bien sûr que l'objectif demeure que le Québec gère ses propres affaires à l'instar de n'importe quelle nation, et bien sûr que le Canada demeure un redoutable rival. Cessons donc le débat sur la stratégie, à se critiquer devant les médias dès que l'un lorgne trop à droite ou trop à gauche. Là n'est pas notre devoir le plus pressant, en tous cas pas celui du Mouvement que je dirige.

Si la Belle se laisse séduire et que l'indépendance se fait, ce sera d'abord grâce à l'ardeur de ceux et celles qui lui auront le mieux exprimé leur amour et leur désir, en ravivant nos traditions, en faisant connaitre notre histoire, en soutenant nos artisans, en luttant pour notre langue et en animant nos institutions nationales. Tandis que d'autres préfèrent ne cultiver que le seul jardin des souverainistes convaincus, les vrais amoureux du Québec ont plus à faire à défricher des forêts entières de patriotes.

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