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Réponse au plaidoyer politique de Frédéric Bastien

En tant qu'intellectuel, vous savez sans doute qu'un des principaux rôles de l'historien est de maintenir une certaine distance par rapport à son sujet d'étude. Pour cette raison, mon intention n'est pas de vous accuser de mauvaise foi ou de mémoire sélective, mais simplement de rajouter certaines nuances aux arguments que vous avez avancés.
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Monsieur Bastien,

Le 4 juin dernier, vous écriviez un billet sur votre blogue au Huffington Post Québec afin de réagir aux propos qu'a tenus Bob Rae suite à la publication de votre ouvrage intitulé La Bataille de Londres. En tant qu'intellectuel, vous savez sans doute qu'un des principaux rôles de l'historien est de maintenir une certaine distance par rapport à son sujet d'étude et de faire preuve de relativisme conséquent. Pour cette raison, mon intention n'est pas ici de vous accuser de mauvaise foi ou de mémoire sélective, mais simplement de rajouter certaines nuances aux arguments que vous avez avancés et que vous avez sans doute omis de mentionner.

Tout d'abord, vous questionnez la neutralité du rapatriement de la Constitution et la pertinence de la Charte. Premièrement, vous plaidez que si le rapatriement avait été un processus neutre, il n'y aurait pas eu lieu d'avoir un débat de 18 mois entre les gouvernements canadien et britannique, entre les partis politiques fédéraux et enfin, entre les provinces. Ce même exemple n'aurait-il pas pu être utilisé pour prouver qu'il s'agissait plutôt d'un processus démocratique sain?

Vous ajoutez ensuite que Margaret Thatcher s'opposait à l'enchâssement de la Charte, parce que, selon la Dame de Fer, la primauté du Parlement en matière législative rendait la Charte inutile puisque les élus du peuple en sont issus et que le peuple ne pourrait vouloir se nuire par lui-même. Cette conception monolithique du peuple ne serait-elle pas le symptôme d'une vision manichéenne de la démocratie dans laquelle les minorités seraient justifiées de se voir privées de leurs droits et libertés de par leur statut minoritaire? Le fonctionnement du système parlementaire canadien - qui rend possible l'élection de gouvernements majoritaires avec moins de la moitié du vote populaire - ne vient-il pas consacrer la pertinence de la Charte? Est-ce que cela ne protègerait pas l'égalité en droit de la majorité des citoyens qui, n'ayant pas voté pour le parti au pouvoir, est ainsi soumise à la majorité élue?

Évidemment, la Charte ne protège pas contre tous les abus. Comme vous le mentionnez, ni les juges, ni la Charte n'ont empêché Maher Arar d'être envoyé et torturé en Syrie. Ce que je trouve dommage, c'est que vous semblez oublier qu'il aurait fallu que ces actes soient soumis au joug des tribunaux pour que la Charte ait pu s'appliquer. Je me réjouis cependant que nous semblions d'accord sur le fait que la Charte n'ait pas créé de gouvernement par les juges et que la séparation des pouvoirs soit encore clairement définie au Canada.

Dans la seconde partie de votre réponse à M. Rae, vous lui reprochez de s'attaquer à vos sources et vous lui faites remarquer que certains politiciens britanniques, dont madame Tatcher, considéraient que Trudeau était «névrosé et paranoïaque». À la lueur du bilan de madame Tatcher, il n'est pas nécessaire d'être juriste pour comprendre la réticence de celle-ci à l'avènement d'une Charte. D'autre part, serait-ce la première fois que deux personnes, ayant des visions politiques et sociales diamétralement opposées, en viennent aux attaques personnelles? Est-ce que la conception qu'une personne a d'une autre en est la représentation exacte et est-ce qu'une source ayant participé à un événement est une source neutre et crédible? Pour citer votre bien-aimée baronne: «No... No... No!».

Vous prétendez également que les agissements du premier ministre canadien étaient plus définis par son désir de lutter à la spécificité culturelle du Québec qu'à protéger les droits et libertés. Cela s'apparente plus à une opinion personnelle, ou à un argument partisan, qu'au résultat d'une recherche approfondie. Par souci de rigueur, je vous rappelle également que vous alléguiez plus tôt que «le peuple ne pouvait pas vouloir se nuire à lui-même». Vous vous êtes positionnés idéologiquement à l'encontre du principe d'une charte des droits.

Je terminerai ce billet sur un constat. Bien que je sois convaincu, M. Bastien, que vous avez fait votre recherche dans le but de faire avancer, à votre façon, le débat public, je suis aussi convaincu que La Bataille de Londres a beaucoup plus en commun avec un manifeste politique qu'avec un document historique.

Une société qui se tient doit savoir d'où elle vient. Un débat sain se nourrit de cette histoire. La démarche politique démocratique doit ensuite tenter de trouver des points de convergence collective, un projet pour faire fleurir cette société. L'histoire n'est pas partisane. Faire le procès d'intention des libéraux en se cachant derrière un chapeau d'historien pour faire de la politique, c'est tenter de s'approprier l'histoire.

Est-ce que les souverainistes sont prêts à aller aussi loin que de tromper leur peuple pour faire avancer leur idée? Est-ce ce genre de projet qu'ils ont pour épanouir le Québec, une société qui ne connait pas son passé? Pour ma part, je trouve dommage qu'un historien de votre calibre ait décidé de se prêter à ce même jeu, facile et partisan, auquel se prêtent aujourd'hui trop de politiciens.

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