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Comment sauver la réputation et l'impact du Canada sur la justice internationale

Au lendemain de cette élection, le Canada aura une opportunité unique de reprendre sa place de chef de file dans le domaine de la justice internationale et de la lutte contre l'impunité.
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Cette lettre ouverte est cosignée par 20 chercheurs et praticiens du droit et de la justice internationale, dont la liste se trouve au bas du texte.

Les débats électoraux sur le rôle du Canada dans le monde ont été rafraichissants pour ceux d'entre nous concernés par le bilan de la politique étrangère du Canada. Une problématique cruciale n'a toutefois pas été évoquée durant la campagne: celle de l'engagement du Canada envers la justice internationale. En tant qu'universitaires et praticiens canadiens engagés dans le renforcement de l'accès à la justice des victimes et survivants de crimes internationaux, nous exhortons le parti qui formera le prochain gouvernement, quel qu'il soit, à s'engager à faire de la justice internationale une priorité, ainsi qu'à redonner au Canada une place prépondérante dans la lutte contre l'impunité.

Historiquement, le Canada a été un acteur de premier plan de la responsabilité pénale internationale. Du fait de ses efforts et de ceux d'États partageant la même vision, une attente grandissante de justice est née de par le monde, exigeant la poursuite des crimes internationaux. Les violences et atrocités de masse commises en Syrie, en Ukraine, en République centrafricaine et en Corée du Nord sont autant d'indices que les États ont failli à leurs obligations. Les espoirs ne se sont pas concrétisés. Le Canada peut et devrait s'atteler à reprendre son rôle de chef de file dans ce domaine.

Mais le bilan récent est sombre. Malgré les appels de douzaines d'États et du secrétaire général des Nations unies, le Canada a été le dernier État occidental à supporter le déferrement de la situation syrienne par le Conseil de sécurité des Nations unies à la Cour pénale internationale (CPI). Le gouvernement a été en première ligne des États appelant à sanctionner « avec conséquences » les Palestiniens pour leur adhésion à la CPI. En 2014, le Canada a été le seul État Partie à la CPI à s'opposer au consensus sur l'augmentation du budget de la Cour. Nous espérons que le prochain gouvernement saisira l'opportunité de sauver la réputation du Canada et l'impact positif qu'il peut et doit avoir sur la justice internationale.

Changer le discours

Modifier le ton et l'attitude d'Ottawa à l'égard de la justice internationale est le changement le plus simple et le plus évident qu'un gouvernement pourrait opérer. Mais c'est aussi le plus important.

Un changement de rhétorique pourrait être mené par la célébration du rôle remarquable qu'ont joué et jouent toujours les Canadiens dans l'élaboration du projet de justice internationale pénale. Louise Arbour était procureure en chef du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie et du Tribunal pénal international pour le Rwanda et demeure parmi les juristes internationaux les plus influents du monde. Philippe Kirsch, ancien juge à la CPI, fut le tout premier président de la Cour, en poste jusqu'en 2009. Depuis 2012, James Stewart est procureur adjoint de la CPI. Par ailleurs, le Canada a donné naissance à certains des praticiens les plus influents au sein des juridictions internationales de par le monde et a joué un rôle indispensable dans la conférence de Rome de 1998, établissant la CPI.

Les contributions de toutes ces personnalités devraient être largement et ouvertement célébrées. Le ton du discours du nouveau gouvernement devrait être guidé par la fierté à l'égard du rôle du Canada, se matérialisant par une volonté de faire progresser le projet de justice internationale.

Faire de la justice une priorité diplomatique

Afin d'allier les gestes à la parole, le Canada pourrait nommer un ambassadeur de la justice internationale afin de représenter les positions du Canada sur les sujets relatifs à la responsabilité internationale. En l'espèce, le Canada peut s'inspirer des États-Unis. Depuis 1997, Washington a un ambassadeur itinérant pour les crimes de guerre. Le gouvernement canadien pourrait créer un poste similaire, établissant un bureau juridique, politique et public afin de représenter le pays dans les forums internationaux et de porter la voix de l'engagement du Canada envers la justice internationale.

Un nouveau gouvernement canadien pourrait intégrer son soutien à la CPI dans le cadre de ses efforts diplomatiques bilatéraux et multilatéraux. Historiquement, le Canada possède un fort passé d'encouragement au respect des droits de l'homme et à l'état de droit par l'entremise de sa diplomatie.

De plus, un nouveau gouvernement pourrait organiser une visite officielle du premier ministre à La Haye. Une telle visite - et l'opération de relations publiques qui en résulterait - enverrait un message clair selon lequel la justice internationale est importante aux yeux du gouvernement et que le Canada soutient pleinement le principe de lutte contre l'impunité.

Faire un don à une enquête de la CPI

En 2005, le gouvernement canadien a généreusement donné 500 000 $ à l'enquête de la CPI sur les atrocités commises au Darfour. Outre la nécessité d'appuyer l'augmentation du budget de la Cour afin que l'institution puisse faire face à la demande croissante en matière de justice internationale, il existe de nombreuses enquêtes de la CPI qui sont en cours et auxquelles le gouvernement pourrait manifester son soutien. Dans le cadre des conflits en cours caractérisés par la commission d'innombrables atrocités de masse, le Canada peut faire plus que d'ordonner des bombardements; il peut aussi rendre justice. Alors que la Cour ne peut enquêter sur la Syrie à moins que le Conseil de sécurité des Nations unies ne lui confie la situation, le Canada peut jouer un rôle déterminant en enquêtant sur le rôle des citoyens des États Parties à la CPI soupçonnés d'avoir perpétré des crimes internationaux.

S'engager envers la justice dans la poursuite des crimes internationaux au Canada

Doté d'une législation sur les crimes de guerre internationalement reconnue et d'un programme interdépartemental sur les crimes de guerre, le Canada s'enorgueillit d'avoir un rôle principal en matière de poursuites des crimes de guerre. Néanmoins, depuis 2000, nous n'avons poursuivi que deux individus liés au génocide rwandais seulement, alors que dans le même temps nous expulsions des douzaines de criminels de guerre allégués dans leurs pays respectifs, sans aucune garantie qu'ils feraient face à la justice. Les partis politiques devraient s'engager à augmenter le budget dédié au programme sur les crimes de guerre, et, dans les situations où cela est possible, à rendre justice sur le sol canadien pour les crimes internationaux et aux victimes de ces derniers.

Au lendemain de cette élection, le Canada aura une opportunité unique de reprendre sa place de chef de file dans le domaine de la justice internationale et de la lutte contre l'impunité. Après des années de négligence, il est temps pour le Canada de prendre à nouveau ses responsabilités.

Ce texte est cosigné par: Sharry Aiken, professeure à la Queen's University; Stephen Brown, professeur à l'Université d'Ottawa; Matt Eisenbrandt, du Canadian Center for International Jus-tice; Mark Kersten, Munk School of Global Affairs, University of Toronto; Fannie Lafontaine, professeure à l'Université Laval; Francois Larocque, professeur à l'Université d'Ottawa; Frédéric Mégret, professeur à l'Université McGill; Alex Neve, Amnesty International Canada; Valerie Oosterveld, professeure à la Western University; Roland Paris, professeur à l'Université d'Ottawa ; David Petrasek, professeur à l'Université d'Ottawa; Joanna Quinn, professeure à la Western University; William Schabas, professeur à la Middlesex University London et à la Lei-den University; Alain Tachou Sipowo, professeur à l'Université McGill; Jayne Stoyles, Canadian Center for International Justice; Me Érick Sullivan, Université Laval; Béatrice Vaugrante, Amnistie internationale Canada; Fergus Watt, World Federalist Movement, Canada; Jo-Anne Wemmers, professeure à l'Université de Montréal; Darryl Robinson, professeur à la Queen's University.

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Mai 2017

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