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Un nationalisme appauvrissant

Non seulement la vente de Rona ne requiert aucune intervention, mais elle constitue probablement ce qu'il y avait de mieux à faire pour les intérêts du Québec.
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La semaine dernière, nous apprenions que Lowe's avait finalement réussi son pari d'acquérir Rona. Les critiques à la sauce nationaliste n'ont pas tardé à fuser, outrés de la perte de ce «fleuron» québécois.

Bernard Drainville s'est dit contre la vente d'entreprises dont les sièges sociaux sont au Québec, François Legault a affirmé craindre que nous passions d'une «économie de propriétaires» à une «économie de succursales», et PKP a carrément urgé le gouvernement de bloquer la transaction.

Le nationalisme québécois a souvent été assimilé à un repli sur soi, à une fermeture sur le monde, alors que c'était plutôt le contraire; le Québec a le droit de faire ses propres choix et d'agir en son nom sur la scène internationale. Même en tant que province, ce désir d'autodétermination est tout à fait souhaitable ― même Philippe Couillard le reconnaît lorsqu'il défend notre indépendance de choix.

Par contre, le nationalisme économique, lui, est loin d'être aussi fondé.

Les «fleurons»

Dès qu'une entreprise étrangère, même canadienne, tente d'acquérir une entreprise québécoise, on nous ressasse ce sempiternel discours sur nos fameux «fleurons» qu'il faut protéger coûte que coûte. Ces transactions, pourtant issues d'un processus décisionnel approfondi, ne seraient pas dans l'intérêt des Québécois, nous dit-on. Ces élus, pourtant aucunement au fait de la réalité d'affaires ayant mené à cette décision, s'improvisent donc hommes et femmes d'affaires et se permettent de crucifier sur la place publique une décision ne les concernant pas du tout.

Avec le temps, les pouvoirs publics se sont dotés, et avec raison, d'outils de contrôle sur les marchés dans le but d'encourager une saine concurrence. Par conséquent, ces agences de régulation sont les seules à être aptes à juger de telles décisions d'affaires. Dans le cas qui nous intéresse, tout comme il serait impensable d'autoriser les ministres à décider de l'issue d'une enquête de police ou d'un procès, il n'est pas logique de voir un élu s'ingérer dans la gestion d'entreprises pour des raisons idéologiques.

Certes, tous les États interviennent à un moment ou à un autre dans leur économie. Mais puisque nos sociétés doivent toutes composer avec des ressources limitées, la justification de ces actes doit pour être acceptable être sensée du point de vue économique. Pourquoi accepterait-on une dépense collective si nous n'en sortons pas collectivement gagnants? C'est ici que repose tout le problème: lorsqu'une dépense publique n'est justifiée que par un nationalisme économique, il est possible, et même probable, que la société finira par y perdre au change.

Le cas Vidéotron

Revenons en 2000. La famille Chagnon vient de signer une entente pour vendre Vidéotron à Rogers. Bernard Landry, ministre des Finances, et la Caisse de dépôt et placement fulminent. Comment un tel «fleuron» peut-il passer entre les mains de non-Québécois? Malgré le prix exorbitant de Vidéotron, dopé par une bulle technologique à son sommet, le Québec doit agir! Envers et contre tout, la Caisse s'allie avec la famille Péladeau et fait une contre-offre de 30% supérieure à celle de Rogers. De 3,7 milliards, le prix de vente grimpe maintenant à 4,9 milliards ― une offre impossible à refuser.

Sur ces 4,9 milliards, plus de la moitié provenaient de notre épargne nationale. La Caisse a même dû allonger 500 millions peu de temps après, portant la facture à 3,2 milliards. Était-ce une bonne décision? Laissons parler les chiffres.

Le 31 décembre 2002, l'investissement ne valait plus que 435 millions de dollars. En 2012, puis en 2015, la Caisse a réduit sa participation dans l'entreprise, avec pour objectif de vendre toutes ses parts d'ici quelques années. À terme, c'est un rendement négatif (si l'on tient compte de l'inflation et du coût d'opportunité) que nous aurons obtenu sur ce placement pourtant «dans l'intérêt des Québécois». Cette décision aura finalement été salvatrice pour Québecor (et pour la famille Péladeau), pour qui Vidéotron est devenue une vache à lait, mais pas pour le peuple québécois.

Au fait, il est intéressant de noter que la participation de la Caisse de dépôt et placement s'est faite dans Québecor Media (QMI), et non dans Québecor (auquel cas le rendement aurait été positif). Ça ne vous rappelle pas le milliard investi dans la CSeries et aussitôt décrié par M. Péladeau? Selon ses dires, le gouvernement se serait fait avoir comme un enfant d'école en n'investissant pas dans Bombardier, mais uniquement dans sa filiale en difficulté. Si ce milliard vaut de telles critiques, qu'en est-il des 3,2 milliards dans Québecor Média?

***

En fin de compte, à vouloir protéger nos entreprises au nom d'un intérêt national, nous risquons de causer plus de tort que de bien. L'avantage qu'elles tirent de cette protection est bien réel, mais demeure temporaire. Sans concurrence vigoureuse, elles sont incitées à moins se renouveler et moins innover, de sorte que lorsqu'elles finissent par être confrontées à leurs concurrentes extérieures, elles n'ont d'autre choix que de plier l'échine ou de s'éteindre. Ainsi, face à une déclin futur ou une acquisition à prix fort aujourd'hui, non seulement la vente de Rona ne requiert aucune intervention, mais elle constitue probablement ce qu'il y avait de mieux à faire pour les intérêts du Québec.

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