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Xavier Dolan, l'œuvre et nous

Peut-être faut-il, pour approcher adéquatement ses films, commencer par détruire le mythe Xavier Dolan, et ainsi le descendre de son piédestal incommodant.
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Cette semaine sort le DVD de Juste la fin du monde, le dernier long métrage de Xavier Dolan. Ce sera l'occasion de voir ou de revoir ce film qui ne laisse pas indifférent. L'occasion aussi de retrouver un artiste-phénomène (réalisateur, scénariste, monteur, créateur de costumes, etc.), de plonger à nouveau dans la psyché d'une filmographie et d'un cinéaste sans cesse à la recherche de transcendance.

Et de se demander à chaque film : avons-nous aimé parce qu'une pléiade de médias crient au chef-d'œuvre ?

Son dernier film, quoi en dire ? Il y a d'abord cette impression que notre jugement est teinté. Comme un mélange d'appréciation de l'œuvre pour elle-même, de considération de la personnalité de Xavier Dolan et de la réputation forgée de l'enfant prodige made in Cannes. Et de se demander à chaque film : avons-nous aimé parce qu'une pléiade de médias crient au chef-d'œuvre ? Avons-nous aimé pour ce que représente Dolan (figure de réussite québécoise, les valeurs qu'il défend - dans ses discours notamment) ? Avons-nous aimé le film lui-même ? Et même là, avons-nous aimé ou étions-nous seulement soufflé par « les effets » mis de l'avant par Dolan, ce dernier passé maître dans les séquences splendouilettes-clipesques ?

Un peu de tout cela peut-être.

Quoi qu'il en soit, il y a du bon dans son dernier film : la direction d'acteur, l'intensité émotionnelle, la scène finale. Également du moins bon : l'épuisante prétention de l'ensemble, les tics de mise en scène (les bascules de point par exemple), l'atomisation de la profondeur de champ - autre coquetterie niant en partie le langage cinématographique, après l'utilisation du format d'image 4:3 chez Mommy.

Erwan Desbois visait juste lorsqu'écrivant sur Mommy - et cela peut s'accorder à Juste la fin du monde, il soulignait que : «Dans quantité de scènes, les trois injonctions ("soyez émus !", "plus fort !", "et regardez comme je suis doué et inventif !") s'additionnent et laminent tout sur leur passage [...] avec sa saturation émotionnelle à coup de malheurs et de handicaps à la pelle, ses ralentis dégainés à tout bout de champ, ses tubes FM joués in extenso ... ». Le fond du problème demeure souvent que Dolan «privilégie le style au propos, l'effet à la profondeur», pour citer Martin Bilodeau.

Des critiques de la sorte, on n'en lit que peu, car il advient que l'œuvre de Dolan est généralement célébrée sans trop de nuances. Et lorsque critique négative il y a, Dolan les écarte du revers de la main. La « personnalité » de Dolan peut ainsi continuer d'avoir une ascendance sur son cinéma.

Entre splendeur et autarcie

Lors d'une projection d'un film de Xavier Dolan, un sentiment ambigu nous tenaille fréquemment : cette impression d'assister à la construction d'une œuvre qui s'observe elle-même, et de participer nous-mêmes au processus en marche. Lorsque les lumières de la salle s'éteignent, le cinéma de Xavier Dolan semble « se jouer » dans cette pièce noire, dans ce berceau maternel où Dolan renait sans cesse sous le joug de nos applaudissements et des notes discordantes/dithyrambiques des critiques. Tout cela concourt à la construction de l'œuvre. Une œuvre splendide, rageuse, sincère, remplie de fulgurances, mais également juvénile, autarcique, poseuse, qui semble chercher à « exister » avant tout. C'est que Dolan exècre l'indifférence, préférant « la folie des passions » (Anatole France). De nombreux plans de son cinéma semblent s'époumoner : « considérez-moi, aimez-moi! ». C'était particulièrement flagrant dans ses 2 premiers films.

Par ailleurs, son cinéma semble vouloir exister exempt de tous référents, se réclamant en quelque sorte d'un « génie spontané »; isolé du reste du monde en quelque sorte, comme les personnages de Juste la fin du monde baignant dans un flou perpétuel. Malheureusement, son cinéma en souffre, « parce qu'à force d'expulser l'autre de son cinéma, Dolan a fait de son œuvre une maison de miroirs où se reflètent à l'infini différentes déclinaisons de son personnage.», de soutenir le critique Alexandre Fontaine Rousseau. N'est-ce pas lui, Dolan lui-même, dans Juste la fin du monde, l'artiste incompris qui revient dans sa famille ?

Laurence Anyways, ce grand film

S'exprimant dans Paris-Match, Xavier Dolan se désolait « qu'il n'y a que 40 000 personnes qui sont allées voir Laurence Anyways. ». Lorsqu'il affirme : « Moi, je mesure l'amour ou l'amitié que les gens me portent selon le nombre d'entrées de mes films. », nous avons envie de lui dire qu'il se condamne, avec cette vision de l'esprit réductrice et nullement au service de sa fièvre créatrice, à penser à tort que bon nombre de gens ne l'apprécient guère. Qui plus est, Laurence Anyways, est, selon nous, son plus grand film, voir son premier chef-d'œuvre : « miraculeux point d'équilibre et de maturité de son cinéma [...], comme suspendu entre les emportements naïfs des premiers films et le pompiérisme à venir. », d'écrire Didier Péron et Julien Gester.

Fascinante quête de soi, de reconnaissance et d'art libérateur que celle de ce surdoué. Au final, peut-être faut-il, pour approcher adéquatement ses films, commencer par détruire le mythe Xavier Dolan, et ainsi le descendre de son piédestal incommodant. Pour lui et pour nous. Là, pourra-t-on plus aisément l'apprécier à sa juste valeur ?

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