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Bientôt des cursus all in english dans les universités françaises?

Rassurée par une perception idéalisée de sa propre importance et de celle de sa langue, la France pourrait bien s'éveiller un peu tard face au rouleau compresseur de la mondialisation et au chant standardisant de ses sirènes monolinguistes. Il lui serait probablement utile de faire preuve d'humilité et d'écouter attentivement ses amis québécois qui ont une bien plus vaste expérience en la matière.
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An American flag is unfurled during a commemoration to mark the 10th anniversary of the Sept. 11 attacks on the United States, at the Trocadero plaza , near the Eiffel tower, seen in the background, in Paris, Sunday, Sept. 11, 2011. (AP Photo/Thibault Camus)
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An American flag is unfurled during a commemoration to mark the 10th anniversary of the Sept. 11 attacks on the United States, at the Trocadero plaza , near the Eiffel tower, seen in the background, in Paris, Sunday, Sept. 11, 2011. (AP Photo/Thibault Camus)

En France, on ne semble découvrir les choses que lorsqu'elles font l'objet d'attention institutionnelle et législative! Le tout récent projet de loi d'orientation de l'Enseignement supérieur et de la Recherche (ESR) en est un exemple emblématique. La ministre de l'Enseignement supérieur, Geneviève Fioraso, a en effet présenté le 20 mars dernier, en Conseil des ministres, un projet qui prévoit d'autoriser largement l'emploi des langues étrangères dans les facultés et grandes écoles. Personne ne s'y trompe ; de toute évidence le registre "langues étrangères" ouvre surtout la porte à un enseignement "tout en anglais". C'est donc sans surprise et très légitimement que de nombreux défenseurs de notre langue ont fait part de leur inquiétude quant aux possibles effets négatifs en termes de transmission, de niveau d'enseignement, de dépendance intellectuelle et de rayonnement culturel de la France si ce projet de loi devenait réalité. Le lecteur intéressé trouvera les principaux arguments avancés dans l'excellent article d'Astrid de Larminat: "L'université française menacée par le "tout à l'anglais", publié dans Le Figaro le 18 avril dernier.

La scène est donc posée. D'un coté les défenseurs du projet, qui y voient l'initiation de la nouveauté, une forme d'adaptation à la modernité, un moyen nécessaire à l'accroissement de l'attractivité de la France ; de l'autre les défenseurs de la langue française, qui perçoivent au travers de cette démarche le premier mouvement d'un dangereux engrenage menant à la standardisation et au monolinguisme, tendances clairement contraires aux intérêts politiques et culturels de notre pays. Les uns y voient une ouverture sur l'international, le tout en anglais en étant, à leur avis, une condition sine qua non ; les autres pensent que cela provoquerait une " mise sous tutelle de la pensée française".

Les positions sont claires! Il me semble pourtant qu'il manque une pièce essentielle à la juste compréhension de la situation. Ni défenseurs, ni détracteurs du projet ne mentionnent que les cours universitaires "tout en anglais" tiennent d'ores et déjà une place importante dans de nombreux établissements supérieurs. Une rapide visite sur le site de l'Agence Campus France, le nouvel établissement public chargé de la promotion de l'enseignement supérieur, permet de s'en rendre compte. Il existe en France 632 programmes exclusivement en anglais dont 36 du niveau licence, 458 du niveau "Master" et 15 du niveau doctorat. Qui plus est, ces formations sont données par une multitude d'établissements dont certains sont de véritables références de "l'excellence à la française". L'École normale supérieure, Centrale, Polytechnique, Sciences Po, HEC, la Sorbonne, Dauphine, une pléthore d'écoles d'ingénieurs et de nombreuses universités de l'hexagone dispensent déjà des cours "100% taught in english" dans tous les domaines de la connaissance. Cette réalité de terrain transforme donc complètement la nature du débat.

Les dangers du débat d'arrière-garde.

L'heure n'est plus à une confrontation des convictions, mais à une réflexion sur la meilleure façon d'encadrer une situation avérée. Légiférer exclusivement autour des positions telles qu'elles sont actuellement exprimées publiquement par les acteurs serait le pire des scénarios. Il ne pourrait qu'aboutir à une de ces crises de "légiférite aigue" dont la France a le secret. Le nécessaire débat pragmatique et responsable serait évidemment phagocyté par une confrontation coupée des réalités opérationnelles, instrumentalisé par les jeux tactiques politiciens et corrompu par l'habituel tumulte des empoignades dogmatiques qui les accompagne. On courrait alors le risque de voir la situation s'autoréguler par manque de pertinence de la loi ou absence de décret d'application.

Il faut absolument sortir du débat de principes, dépasser les actuels positionnements rhétoriques et se concentrer sur les meilleurs moyens de transformer un danger potentiel en opportunité, la première étape étant une analyse de l'existant. Les plus grandes écoles et universités de France doivent avoir de bonnes raisons pour choisir de former exclusivement en anglais. Il faut comprendre ces raisons. Si celles-ci relèvent d'une perception intelligente et utilitariste des grands équilibres mondiaux et de l'emploi stratégique et tactique de modèles extérieurs adaptés au service de notre éducation ; si elles sont, dans la durée, à même de renforcer de façon évidente notre position, notre langue et nos modèles, sans mettre en danger la transmission, le niveau d'enseignement, l'indépendance intellectuelle, le rayonnement culturel ou l'identité de notre pays, réjouissons-nous et mettons en place des structures permettant un développement global de ces politiques locales efficaces. Si, par contre, ce fonctionnement s'est imposé spontanément, sans réflexion de fond, par mimétisme ou application pure de modèles externes, par ambition nombriliste et court-termiste, par volonté d'obtenir sa place dans des classements académiques internationaux subjectifs (1) ou par soumission à l'expression du diktat de la mondialisation, alors c'est que le mal est bien plus profond qu'on ne le croyait et la dérive bien plus avancée que les pires scénarios esquissés par les opposants à la loi. Dans ce cas, il faudra agir rapidement, sans résignation, avec bienveillance, mais obstination pour éviter le pire.

Il est donc primordial qu'une analyse sereine, non partisane, pragmatique en termes d'évolution, mais intransigeante en termes de valeurs, prenne place pour donner une image claire de la situation actuelle. C'est seulement au terme de cette analyse qu'il sera possible d'envisager des pistes pratiques et des mesures concrètes pour défendre, renforcer et développer un modèle français d'éducation supérieure ambitieux, mais conscient de ce qu'il représente et à même de donner à la diversité linguistique, culturelle et conceptuelle toute l'importance qui devrait être la sienne dans une mondialisation contrôlée, respectueuse de tous et enrichie des caractéristiques de chacun.

Après l'esprit .... le cœur!

Voilà pour la raison. Mais cet article ne serait pas complet si je n'y glissais pas aussi un peu de cœur.

Français expatrié depuis une trentaine d'années, j'ai appris à regarder mon pays de loin et à en percevoir les faiblesses et défauts.

Président de l'Assemblée des francophones fonctionnaires internationaux, je constate au quotidien, dans des environnements pourtant polyglottes, les effets destructeurs de l'emploi devenu systématique d'un anglais d'aéroport dangereusement appauvrissant.

Alors si ma raison m'indique qu'il est important de ne pas refuser de considérer une révision de l'éducation donnant plus de place à d'autres langues que le français, expérience et cœur m'indiquent par contre qu'il est facile de faire de mauvaises choses pour de bonnes raisons!

La France, pays quelque peu nombriliste, possède une identité fortement imbibée d'un esprit batailleur qui peut lui faire oublier ses intérêts supérieurs pour de sordides victoires partisanes. Et elle n'a pas eu à développer d'anticorps pour lutter contre la maladie du "tout en mauvais anglais" qui domine actuellement le grand jeu mondial. Rassurée par une perception idéalisée de sa propre importance et de celle de sa langue, elle pourrait bien s'éveiller un peu tard face au rouleau compresseur de la mondialisation et au chant standardisant de ses sirènes monolinguistes. Il lui serait probablement utile de faire preuve d'humilité et d'écouter attentivement ses amis québécois qui ont une bien plus vaste expérience en la matière. Nombre d'entre eux vit au quotidien la lutte pour la survie de ce qu'ils sont. Ils connaissent donc la force du virus et ont appris à y faire face, même si les rechutes leur font parfois perdre espoir. Aussi, au-delà de l'analyse préconisée, la France serait bien inspirée d'aller chercher exemple et conseil chez ses cousins d'outre-Atlantique et d'outre méditerranée, sur le continent africain, dans l'histoire diversifiée de cette Francophonie au sein de laquelle elle exige une place centrale, mais qu'elle continue à traiter comme un élément extérieur, avec une touche de condescendance et de désintérêt qui l'empêche d'en apprécier l'importance pour son avenir!

  1. Ces classements (Shangaï, ...) et systèmes de mesures de l'influence des scientifiques privilégient clairement les anglophones. Le "Science Citation Index" par exemple, considéré comme objectif, compte le nombre de fois où les scientifiques sont cités par d'autres scientifiques .... dans des articles en anglais!
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