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Mort du chef des talibans: quel impact sur un processus de paix inter-afghan?

Depuis un an au moins, le couple sino-pakistanais, associé aux Afghans et aux Américains, s'active pour qu'un processus de paix se matérialise en Afghanistan. Les talibans refusaient, jusqu'à il y a peu, de s'asseoir à la table des négociations: est-ce qu'un bouleversement au niveau du leadership va changer la donne?
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Cette chronique fait partie d'une analyse en trois parties sur les conséquences de la mort du mollah Mansour, chef des talibans afghans jusqu'au 21 mai 2016

Pour lire la première partie, cliquez ici

On a évoqué, dans la dernière chronique, l'impact de la mise à mort du chef des talibans, mollah Mansour, sur le champ de bataille afghan. Mais il reste encore un point à évoquer, au-delà de la lutte purement militaire. Depuis un an au moins, le couple sino-pakistanais, associé aux Afghans et aux Américains, s'active pour qu'un processus de paix se matérialise en Afghanistan. Les talibans refusaient, jusqu'à il y a peu, de s'asseoir à la table des négociations: est-ce qu'un bouleversement au niveau du leadership va changer la donne?

Rien n'est moins sûr. L'action américaine en fait, risque d'être un remède encore pire que le mal.

La mort du mollah Mansour ne semble pas affaiblir les talibans

Un nouveau leader des talibans, mollah Haibatullah Akhundzada, a déjà été nommé. Il semblerait que les talibans lisent, eux aussi, les journaux, et aient appris de leurs erreurs. Ils ont clairement fait vite, et élu une figure faisant plus ou moins consensus, pour éviter ce que Washington et Kaboul voulaient: l'émergence de scissions dans le mouvement des talibans. On remarquera que Sirajuddin Haqqani reste n°2, mais garde toujours le leadership de fait: le nouveau chef des talibans n'a aucune connaissance militaire, contrairement à lui. Par ailleurs on constate que la mort du mollah Mansour n'a pas changé des tendances lourdes, s'étant manifestées depuis plusieurs mois.

Ainsi, on constate que le processus de réintégration des "légitimistes", proches de la famille du mollah Omar, dans le giron des talibans "canal historique", continue. Il avait été lancé il y a au moins deux mois, et semble se conclure naturellement par la nomination du fils aîné du mollah Omar, Mohammed Yacoob, comme n°3 du mouvement. L'autre tendance lourde à laquelle on pense, c'est bien sûr la campagne militaire et terroriste contre le gouvernement de Kaboul. Elle continue bel et bien, la preuve avec un attentat-suicide dans la capitale afghane, mercredi 25 mai, faisant dix morts et onze blessés.

Donc, pour l'instant, il semblerait que la mort du mollah Mansour n'ait entraîné aucune scission dans les rangs des Taliban; qu'elle n'entraine pas un coup d'arrêt de leurs actions en Afghanistan; et qu'elle n'a fait que confirmer la montée en puissance de S. Haqqani. On est vraiment loin du succès espéré par les Américains et le gouvernement de Kaboul.

Bien sûr, il est trop tôt pour se prononcer. Peut-être que l'unité des services de renseignements afghan chargé de créer des dissensions entre talibans, et dont on rappelle l'existence dans la précédente Chronique, va avoir un impact dans les prochains mois. Peut-être que le nouveau leader des talibans, aujourd'hui plutôt faible face à d'imposants seconds, va prendre ombrage du poids politique de S. Haqqani. Mais pour l'instant, ce n'est pas le cas.

Et en fait, c'est d'une importance limitée pour la paix en Afghanistan: des dissensions et des ruptures ont bien eu lieu après la découverte de la mort du mollah Omar, pendant l'été 2015. Le mollah Mansour a eu toutes les difficultés du monde à imposer son autorité à ses débuts. Cela n'a pas empêché les talibans de n'avoir jamais été aussi forts que pendant la période 2015-2016.

L'idée selon laquelle on pourrait réussir à briser l'élan des talibans sur le champ de bataille afghan par une seule action est une position qu'on peut qualifier de naïve, pour ne pas dire plus. Par ailleurs, si les talibans se retrouvaient, d'ici quelques mois, avec un leadership divisé, les chances qu'un processus de paix puisse aboutir seraient encore plus limitées: les différentes factions rebelles seraient tentées de maximiser leurs profits dans leurs différents fiefs, pas de céder face à un gouvernement afghan qui n'a pas, pour l'instant, la force militaire nécessaire pour vaincre les talibans.

C'est d'ailleurs pour cela que des voix venant d'Islamabad appelaient à laisser le mollah Mansour consolider son pouvoir, pour mieux pouvoir intégrer les rebelles dans un processus de paix solide. Ce n'était pas du "double jeu" comme on le lit trop souvent. C'était un pari, mais aussi un choix de bon sens.

En tout cas, le vrai problème, ce n'est pas que les talibans ne semblent pas ébranlés par la mort du mollah Mansour. C'est que sa mort pourrait avoir définitivement enterré le processus de paix soutenu par la Chine, les États-Unis, le Pakistan, et l'Afghanistan.

En tuant le mollah Mansour, les Américains ont-ils aussi tué un possible processus de paix inter-afghan?

On sait que le défunt mollah Mansour revenait tout juste d'un déplacement en Iran. Il avait un passeport pakistanais, et un visa iranien valide. Et il semble avoir été un visiteur régulier cette année. En effet, il y était déjà allé le 19 février 2016. Quand on connaît l'Histoire récente de la région dans son ensemble, ce n'est pas vraiment une surprise. Même quand on dit refuser de discuter avec ses voisins, cela ne signifie en rien que des échanges diplomatiques n'aient pas eu lieu, derrière les portes closes de certaines chancelleries. Si c'est le cas, officieusement, entre les talibans et la Russie, il peut en être de même entre le leadership de la rébellion afghane et les pays de la région. Il semblerait que le mollah Mansour ne se soit pas limité à l'Iran d'ailleurs. Il aurait utilisé au moins deux passeports pakistanais au nom de Muhammad Wali; il est allé 18 fois à Dubaï depuis qu'il a commencé à voyager à l'étranger sous ce nom, à partir du 12 mars 2006; et il serait même allé à Bahreïn, pour des raisons peu claires... sauf si on présente ces déplacements comme autant de voyages diplomatiques.

L'idée selon laquelle le mollah Mansour faisait ces déplacements dans le cadre du processus de paix n'est pas si difficile à imaginer, si on en reste aux sources ouvertes. On sait qu'il était au pouvoir dans l'ombre d'un mollah Omar sensé être toujours vivant depuis au moins 2013. Donc le positionnement très afghanocentré, et dénué d'extrémisme transnational, du leadership des talibans pendant cette période, était le sien. De même, la position diplomatique qui poussait les talibans à vouloir rassurer le voisinage de l'Afghanistan sur leurs intentions pacifiques à l'international, ces dernières années, venait également de lui. Quand la mort du mollah Omar a été confirmée, les articles au sujet du mollah Mansour le présentait comme un modéré, prêt éventuellement à négocier. Et quand l'illusion d'un mollah Omar toujours vivant existait encore, jusqu'à l'été 2015, les forces sous son contrôle semblaient prêtes à s'impliquer dans ce processus de paix.

Même si bien entendu, il est impossible de savoir quelles étaient ses intentions réelles. En tout cas, il ne rejetait pas le processus soutenu par les Chinois et les Pakistanais. Mais une fois la mort du mollah Omar mise en avant, et son autorité ébranlée, le mollah Mansour est devenu intransigeant. Sans doute pour renforcer son autorité naissance, et éviter une hémorragie de combattants vers Daech, ou l'émergence d'un autre leader, plus radical que lui.

Certes, le leadership des talibans a refusé de s'asseoir à la table des négociations, jusqu'à aujourd'hui. Mais rien dans l'attitude passée du mollah Mansour ne laisse à penser qu'il aurait pu refuser perpétuellement un processus de paix qu'il ne semblait pas rejeter quand il parlait en utilisant le nom du mollah Omar. On peut suivre l'analyse de certains spécialistes du Pakistan, notamment Ahmed Rashid, disant que non seulement le mollah Mansour se concentrait, jusqu'à aujourd'hui, uniquement sur la consolidation de son pouvoir, mais qu'il n'était pas forcément le modéré qu'on pense.

C'est sans doute juste: "modéré" ne veut pas dire grand-chose dans un groupe rebelle et idéologiquement marqué, ou que ce soit dans le monde. Surtout quand le groupe en question n'hésite pas à utiliser l'arme du terrorisme. Mais même quand on suit ce point de vue, on peut penser qu'il était un pragmatique; qu'il voulait le pouvoir à Kaboul; et qu'il savait que malgré la position enviable des talibans sur le champ de bataille, cela ne serait pas suffisant pour atteindre cet objectif. Donc même avec cette analyse, faisant du mollah Mansour le Frank Underwood des talibans, l'idée selon laquelle ces déplacements étaient liés à des discussions liées à un possible processus de paix, à l'avenir, tient toujours.

Si c'est le cas, alors, avec cette attaque de drone, ce n'est pas le mollah Mansour seul qui a été tué, mais toute possibilité de paix qui aurait pu naître des déplacements de ce dernier. Non seulement la paix en Afghanistan, mais aussi sur l'ensemble de l'Asie du Sud-Ouest. On le verra dans la prochaine chronique.

Ce billet de blogue a été initialement publié sur le HuffPost France.

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