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D'où sort cette idée qu'en France tout irait bien pour ceux que l'on continue d'y appeler les «enfants issus de l'immigration» (ces ressortissants «d'autres États» comme les qualifie Mme Marois)? Depuis près de 10 ans, plusieurs enquêtes le montrent: ces jeunes souffrent davantage du chômage, subissent les effets d'un système éducatif qui non seulement reproduit les inégalités, mais les renforcent.
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Dans les débats sur le projet de Charte des valeurs, plusieurs voix de politiciens, de journalistes ou de représentants de la société civile ont soutenu qu'un modèle de laïcité «à la française» devrait être la source d'inspiration du Québec. Dans un grand élan d'indépendance nationale, la première ministre du Québec a même affirmé le 12 septembre que «le plus bel exemple, à [son] avis, c'est la France (...) qui a trouvé un espace pour bien vivre avec tous ces ressortissants d'autres religions, d'autres États». Le propos est pour le moins caricatural. D'où sort cette idée qu'en France tout irait bien pour ceux que l'on continue d'y appeler les «enfants issus de l'immigration» (ces ressortissants «d'autres États» comme les qualifie Mme Marois)? Depuis près de 10 ans, plusieurs enquêtes le montrent: ces jeunes souffrent davantage du chômage, subissent les effets d'un système éducatif qui non seulement reproduit les inégalités, mais les renforcent et sont les principales victimes des discriminations dans l'accès à différents biens et services.

De surcroît, entre lutte contre le terrorisme et régulation de la diversité religieuse, lorsqu'ils sont musulmans, ils sont aussi les cibles d'un racisme nouveau genre: l'islamophobie. Comment le débat «serein» souhaité par le gouvernement peut-il s'amorcer sur des clichés et des parallèles boiteux véhiculés au sujet d'une société française culturellement proche du Québec, mais très différente historiquement, socialement sans parler de politique ou de droit? Car les fausses affirmations de Pauline Marois et de Bernard Drainville ne se limitent pas à des erreurs factuelles, mais accumulent les mauvaises interprétations du sens de la laïcité en France.

Une laïcité dynamique et complexe

L'histoire de la laïcité française est ponctuée de moments forts et de tensions. Sa mise en place a, dès l'origine, fait l'objet de nombreux aménagements et causé quelques conflits. Si la France a adopté une Loi de séparation des Églises et de l'État en 1905, puis confirmé la laïcité dans les Constitutions de 1946 et 1958, le terme n'a jamais fait l'objet d'une définition officielle, politique ou juridique. Cette imprécision conceptuelle permet au principe de laïcité de prendre forme au quotidien, dans l'action des tribunaux, des collectivités locales et d'autres institutions publiques et de s'adapter au pluralisme. Contrairement à ce qui a pu être dit, la laïcité en France se décline d'ailleurs le plus souvent en faveur de la liberté de conscience et de religion, qui reste sa finalité principale, comme le rappelle clairement la Loi de séparation des Églises et de l'État.

Plusieurs commentateurs tentent de justifier l'adoption d'une Charte des valeurs en prenant appui sur les dimensions antireligieuses des aménagements laïques français. La laïcité française ne peut pourtant être réduite aux rares textes qui trouvent un écho médiatique au Québec alors même qu'ils n'ont aucun lien avec la réalité de la Province. Cette simplification est certes politiquement tentante, car très efficace à des fins électoralistes. Mais les contre-vérités qu'elle colporte dénaturent la réalité de l'application du principe de laïcité en France. Celle-ci ne se réduit ni à l'interdiction du port des signes religieux ostensibles dans les écoles publiques, ni à celle des symboles religieux par les fonctionnaires de l'État. L'application du principe de laïcité en France, c'est d'abord et surtout la garantie de la liberté de conscience.

En France, cela veut dire l'exonération fiscale des groupes religieux qui ont le statut d'association cultuelle, le financement public des écoles privées confessionnelles dites «sous contrat» avec l'État, la présence d'aumôniers dans les écoles, hôpitaux et prisons, la mise à disposition de plus en plus fréquente de lieux à l'usage du culte par les municipalités, etc. L'application du principe de laïcité c'est aussi, oubli majeur de la proposition du gouvernement, la garantie que la liberté de conscience et de religion vaut pour tous, indépendamment des croyances et de leurs expressions.

Une Charte contre la laïcité

En vidant la laïcité de ses finalités, le gouvernement québécois lui injecte la même rhétorique identitaire que celle des partis de droite et d'extrême droite en France. Depuis 10 ans, leurs leaders ont fait de la «laïcité» l'ultime ressort pour préserver ce qu'ils énoncent comme des «valeurs communes» constitutives d'une identité nationale dont personne ne sait vraiment ce qu'elle recouvre. Les dérapages ont été nombreux sous la présidence Sarkozy, certains se poursuivent sous Hollande. Comment le gouvernement du Québec peut-il adhérer à de telles représentations? Comment Mme Marois et M. Drainville peuvent-ils à ce point oublier qu'au Québec comme en France, les aménagements laïques prennent appui depuis toujours sur des libertés et des droits fondamentaux? Comment se fait-il que certains des droits inscrits dans la Charte québécoise des droits et libertés de 1974 soient absents du catalogue de valeurs que le gouvernement souhaite vendre à ses électeurs?

Le Québec connaît déjà des aménagements qui découlent de son histoire, de l'évolution du droit et des transformations des institutions publiques au grès des mutations de la société. Un bel héritage qui force l'admiration à l'étranger. Il est vrai que la laïcisation de l'État n'est pas toujours aisément identifiable, car elle prend corps dans l'interprétation de normes juridiques parfois obscures et dont l'interprétation pratique doit certainement être mieux explicitée auprès des citoyens. Ces normes juridiques sont des droits fondamentaux, des valeurs que le Québec défend officiellement depuis l'adoption de la Charte de 1974, soit près de 40 ans!

Oui, l'expérience du pluralisme culturel suscite des heurts, des incompréhensions. Elle impose avant tout de se fixer comme objectif premier la délibération plutôt que l'instrumentalisation des peurs identitaires. Si, à la différence de la France, le Québec s'engageait sur cette voie délibérative, il y confirmerait ce que sont, historiquement, ses valeurs.

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