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De la responsabilité journalistique en temps de crise

Je m'exprime aujourd'hui en tant que journaliste sur l'évolution récente de notre profession. Exercer le journalisme et assurer la liberté de l'information n'est jamais aussi vital pour une démocratie que lorsqu'elle est secouée par la crise.
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Andrew Spear

"Our republic and its press will rise or fall together" Joseph Pulitzer.

Je m'exprime aujourd'hui en tant que journaliste sur l'évolution récente de notre profession. Exercer le journalisme et assurer la liberté de l'information n'est jamais aussi vital pour une démocratie que lorsqu'elle est secouée par la crise. L'incertitude économique, le chômage qui explose, et le populisme qui rôde sont autant de raisons d'informer au mieux les concitoyens.

Être ou paraître journaliste?

La puissance du journaliste se déploie à travers son devoir d'informer. Informer avant tout. Ne pas céder aux pressions externes de toutes sortes, c'est ne pas se laisser barrer le chemin, de la vérité. En tant que journaliste, cela n'a pas toujours été facile à appliquer. Rapidité devait rimer avec précaution, information devait rimer avec méfiance, et immédiateté résonnait parfois avec erreur. L'avenir me donnant parfois tort. Ma vérité du moment n'était pas toujours la vérité. Le temps m'a souvent permis d'éviter des pièges, le temps d'écrire un livre, d'enquêter, mais l'information est en plusieurs temps. Et on n'a pas toujours le temps. Est-il possible alors d'informer avec précision et rigueur, sans céder aux sirènes du buzz? Sans céder aux sirènes de l'instantanéité et plus précisément de ses travers? Aujourd'hui, tout média fait de l'info en continu. Radio, télé, presse hebdomadaire, quotidienne, grâce à leur site Internet et bien sûr les réseaux sociaux comme twitter.

Crise et devoir envers nos concitoyens

Les grands maîtres du journalisme ont pour la plupart privilégié la réflexion et l'enquête à l'air du temps et au gout du sang. Mais aujourd'hui beaucoup d'articles ou reportages semblent être en compétition avec les tweets. De longs tweets. Quand une crise d'une telle gravité touche un pays ne serait-il pas capital que tous fassent des efforts pour assurer le bien commun? N'est-ce pas le moment de s'assurer encore plus de la qualité de ce qui est diffusé? Le raccourci, la rumeur, l'anathème, voire le mensonge parfois en de tels temps peuvent avoir des conséquences imprévisibles. Qu'il s'agisse d'un individu ou d'une institution, ceux qui sont exposés se retrouvent immédiatement plongés dans un tourbillon. Tourbillon aux résonances décuplées depuis l'avènement des réseaux sociaux. Une fois jetés dans cette machine à broyer les réputations, il est difficile, pour ne pas dire impossible de faire entendre sa voix.

Findus incarnant la crise de la viande de cheval

Prenons l'exemple de l'affaire de la viande de cheval en France. Cette crise agroalimentaire majeure a été limitée dans les médias et réseaux sociaux à la seule entreprise Findus. L'entreprise a incarné médiatiquement cette crise, parce qu'elle en avait été le "whistle-blower". Findus découvre et révèle qu'elle a été victime d'escroquerie sur la viande, saisi alors les pouvoirs publics, la presse et ses consommateurs pour les avertir. Plutôt louable. Plutôt responsable. Paradoxalement, elle se retrouve alors doublement victime. Si l'escroquerie touche une filiale entière, reportage après reportage, tweet après tweet, seule Findus est mentionnée. On parlait même de "l'Affaire Findus". La double peine. La victime passe pour coupable.

Comment en est-on arrivé à ces raccourcis faciles? Derrière les articles relayant le dernier frémissement d'aile de papillon sur la toile, il y a une entreprise et surtout des emplois.

Vers la décrédibilisation

Sans effort, les journalistes peuvent citer de nombreux exemples. Des images de Madagascar pour illustrer les Antilles? Des images des États-Unis pour illustrer des faits en Europe? Des images fournies par des partis politiques sans en indiquer la source? La démission d'un chef d'État alors qu'il n'en est rien? L'annonce d'un décès alors que l'intéressé lit l'information? La photo de Ben Laden mort qui tout compte fait n'était qu'un "fake"? Si la confiance des élites s'effrite en temps de crise, les journalistes doivent se protéger avec le bouclier de la vérification des faits. En temps de crise, l'opinion s'accroche aux médias, à l'information.

Problème global

Cette tension sur l'information est le lot commun de la presse mondiale. L'exemple le plus récent est probablement celui de l'attentat au marathon de Boston qui a déclenché une hystérie médiatique et un déluge de suppositions et rumeurs présentées comme des faits avérés. L'enquête du FBI en a indubitablement pâti. La retenue est aujourd'hui une vertu cardinale pour un bon journaliste. Face à la pression d'une opinion habituée à l'information en temps réel, il faut un courage déontologique, un courage économique, pour risquer de passer à côté d'un scoop par respect pour la fiabilité de l'information.

Pas de compromis dans la vérification des faits

Pas question pour un journaliste de se censurer en anticipant d'éventuelles conséquences sur l'emploi ou la vie privée, mais ne faire aucun compromis dans la vérification des faits, des sources et de leur juste qualification. On peut pécher par son silence. On peut pécher par ses propos. Mais cette noble cause que ce devoir d'informer au plus juste, où est-elle? Qui aujourd'hui a cette force, cette capacité à freiner lorsqu'il le faut? À aller à contre-courant lorsqu'il le faut? Qui se lèvera pour braver ces nouvelles pressions? À l'heure où tout le monde fait de l'info, à l'heure où tout le monde fait de l'info en continu, à l'heure où tout le monde fait comme tout le monde, qui se lèvera? En temps de crise, c'est l'opportunité. L'opportunité des responsabilités.

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