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Chaque fois qu'un pays occidental est frappé par un attentat ou un drame, il n'est pas rare de lire ou de rencontrer des personnes qui n'hésitent pas à affirmer qu'elles n'éprouvent aucune empathie pour les victimes.
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Au moment de rédiger ce billet de blogue, j'ai une pensée émue pour toutes les victimes du terrorisme et l'ignominie humaine à travers le monde.

Chaque fois qu'un pays occidental (surtout la France) est frappé par un attentat ou un drame majeur, il n'est pas rare de lire sur les réseaux sociaux ou de rencontrer des personnes qui n'hésitent pas à affirmer qu'elles n'éprouvent aucune empathie pour les victimes.

Les dégâts de la colonisation, les interventions occidentales (Irak, Libye, Syrie, etc.), l'indignation à géométrie variable face aux drames qui touchent à une fréquence régulière l'humanité, et l'immense couverture médiatique dont bénéficient les pays dits du «centre» comparativement à ceux de la «périphérie» suffisent, disent-elles, à justifier leur indifférence, que dis-je, leur insensibilité.

C'est le moment où la comparaison des événements macabres fonctionne à plein régime: «Pourquoi l'indignation ou l'émotion suscitée par la mort de 120 Français est-elle inversement proportionnelle à la mort de milliers d'Irakiens, tués à la suite des croisades pétrolières de M. Bush? En quoi, la mort atroce de milliers de Congolais est-elle médiatiquement moins importante que les morts du Connecticut ou de Charlie Hebdo? Pourquoi les victimes des attentats de Kolofata (Maroua) ou de Beyrouth (Liban) ne bénéficient pas de la même commisération mondiale que celles du 11 septembre 2001? Sommes-nous inégaux devant la mort? Pourquoi devrais-je me sentir concerné quand je regarde toute la merde qu'ils exportent ailleurs à coups de canon au nom de la pseudo-démocratie? Pourquoi suis-je toujours celui qui doit compatir plus d'autres?». La liste est loin d'être exhaustive.

Voilà un autre drame qui semble s'écrire en marge du drame médiatisé: la concurrence des mémoires victimaires, assortie d'un protectionnisme émotionnel. Cette triste réalité m'inspire une quadruple réaction.

1. Aussi invitantes qu'elles puissent paraître, ces comparaisons n'en demeurent pas moins inappropriées. Une chose est de dénoncer les indignations sélectives, les commisérations douteuses et le traitement différentiel selon qu'on est du «centre» ou de la «périphérie» (ma grand-mère disait à cet égard, le deuil du riche attire toujours plus de monde que celui du pauvre) ; une autre est de s'anesthésier émotionnellement devant cette ignominie.

Pour le dire autrement, on peut à juste titre déplorer le fait que certaines tragédies humaines émeuvent plus d'autres, sans pour autant se réjouir de manière abjecte parce que cela concerne l'Occident ou, plus exactement, la France.

Soyons cohérents. Soit on s'oppose à toutes les injustices, soit on ne s'y oppose pas! Bien plus, je ne me réjouirai jamais de la mort d'un homme, fut-il mon pire ennemi. Tout comme je me refuserai toujours à faire le lit du corporatisme/comparaison victimaire. Les injustices et les dégâts causés par les décisions de plusieurs dirigeants occidentaux ne devraient pas constituer la pente glissante de nos valeurs et le prétexte à une nouvelle infamie. «Œil pour œil et le monde finira aveugle.»

2. Au-delà de la triste réalité des relations internationales (confinées à une recherche effrénée et parfois sordide du profit), il y a des milliers d'hommes et de femmes noirs, blancs, jaunes, métis, animistes, athées, bouddhistes, musulmans, juifs, chrétiens, etc., qui ,loin du silence coupable ou du sensationnalisme ubuesque et «rentable» de certains médias, travaillent patiemment et inlassablement à la réalisation de la justice sociale internationale, à la fin du néocolonialisme et de l'impérialisme, et à l'amitié entre les citoyens et les peuples. Malheureusement, la branche qui se casse fait toujours plus de bruit que toute une forêt qui pousse.

Je pense ici à mes nombreux amis et connaissances tisserands de la justice sociale, de la paix et de convivialité inter-culturelle et religieuse: Éric, Jocelyn, Gauthier, Oriane, Jean-Christophe, Nicolas, Charlotte, Victoire, Pierre-Louis, Florence, Dany, Luc, Jean, Jean-Bernard, Michel, Ianik, Emanuel, Raphaël, Jonathan, Maria, Emily, Agnès, Marc, Audrey, Marie-Ève, Jérôme, Gregory, Patrick, Jean-Philippe, etc.

3.On pense que ça n'arrive qu'ailleurs jusqu'à ce qu'on devient cet ailleurs. Au-delà du deuil et des blessures qui seront difficiles à panser et à penser, ce triste et tragique événement révèle avec une nudité effroyable la réalité de nombreux pays en proie à des groupes terroristes (Al-Qaïda, Boko Haram, État islamique, etc.) et celle de ces nombreux migrants qui, fuyant les actes de terreur dans leur pays, bravent des milliers de kilomètres, en quête d'une vie dignement vécue. Les migrants sont aussi des victimes, pensons-y.

Par ailleurs, il est peut-être inaudible ou vain de le répéter à pareil moment, mais je le dis quand même: l'ignominie coupable de quelques-uns (terroristes) ne saurait engager et constituer un chemin de croix pour l'immense majorité de musulmans. Halte aux culpabilités par association.

4. Les prochaines semaines seront vraisemblablement éprouvantes pour tous ceux et celles qui travaillent quotidiennement à l'aménagement de la diversité et au vivre-ensemble par-delà nos différences et nos désaccords raisonnables. Nul doute que le choc et l'émotion suscités par ces attentats vont progressivement céder la place à une panique sécuritaire accompagnée de nombreuses récupérations politiciennes. Il faut s'attendre à un florilège d'amalgames et une surenchère populiste. Les entrepreneurs politiques de l'exclusion identitaire, les «hérauts» amplificateurs et décomplexés de la parole xénophobe, n'hésiteront à souffler, à des fins électoralistes, sur les braises de la division, de l'islamophobie et du racisme. Il faudra plus qu'un manuel d'autodéfense intellectuelle pour y faire face.

En effet, ce grand moment de cynisme socio-politique doit faire appel à notre endurance éthique, à notre résilience civique, c'est-à-dire notre capacité à demeurer fermes et attachés aux valeurs morales et aux principes démocratiques.

Tel un navigateur qui doit sa renommée à sa capacité à dompter les intempéries et la mer agitée, nous devons, au moment où la tentation est grande pour certains de céder aux sirènes des populistes, des terroristes et des courtiers de la concurrence mémorielle, maintenir haut le flambeau de nos assises communes, de notre flamboyance éthique et civique.

Il n'y en aura pas de facile, mais j'ai l'intime conviction que les valeurs humanistes, singulièrement présentes dans toutes les cultures et civilisations (on parle en Afrique du Sud de l'Ubuntu), ne se révèlent sous leur jour éclatant que lorsqu'elles sont bousculées et sommées de justifier leur existence.

Requiescat in pace à tous les victimes du terrorisme, de l'impérialisme et des injustices sociales à travers le monde.

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