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Combien de temps faut-il pour qu'un nouvel immigrant soit victime de profilage racial à Montréal?

Combien de temps faut-il pour qu'un individu, nouvellement immigré, devienne victime de profilage? Avant de répondre, il vous faut placer «homme noir» devant le mot «immigrant» et l'adjectif «racial» devant celui de «profilage».
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Combien de temps faut-il pour qu'un individu, nouvellement immigré, devienne victime de profilage? Avant de répondre, il vous faut placer « homme noir » devant le mot « immigrant » et l'adjectif « racial » devant celui de « profilage ». Si l'incident récent dans des magasins Barneys et Macy's au États-Unis engendra l'expression « shopping while black », alors sans doute, l'expression «walking while black» servira à décrire la forme de discrimination que rencontrent les gens à Montréal, ainsi que dans d'autres villes du Canada.

Mon histoire a pour protagoniste un dénommé « Bob », un immigrant, et narre sa rencontre avec les policiers du SPVM. Dans l'après-midi du 19 février 2014, Bob marchait tranquillement sur la rue Ste-Catherine en plein cœur de Montréal. Il venait tout juste d'émigrer de la République dominicaine pour rejoindre sa femme, une Canadienne, et sécuriser un emploi dans un restaurant. L'intelligence, l'éducation et l'expérience de Bob surpassaient de loin les prérequis pour ce travail, un travail qu'une majorité de Canadiens préfèreraient ne pas faire. Mais il le prît tout de même, voulant contribuer au revenu familial.

Les qualifications de Bob sont indéniables, puisqu'il a occupé un poste important dans un hôtel cinq étoiles. Il a de surcroît été masseur professionnel, joueur de baseball, et pompier dont la spécialisation était les eaux tumultueuses. En un mot, Bob est un héros et sa vie était dévouée à sauver celles des autres.

Sur la Ste-Catherine, Bob a traversé à une intersection avec deux piétons qui, incidemment, étaient blancs. Lui seul fût interpellé par un policier francophone qui exigea qu'il présente des pièces d'identité, sans explications quant à son « offense ». Soit dit en passant, les deux autres piétons avec qui Bob avait traversé n'ont pas été arrêtés ou interrogés.

Ayant eu l'espagnol pour langue maternelle, Bob n'a pas encore appris le français, mais son anglais est correct puisqu'il faisait affaire avec des touristes dans son pays. Sa demande d'explication (en anglais) et son plaidoyer furent ignorés par l'agent, qui lui répondait en français en exigeant que Bob en fasse de même. Il est difficile de comprendre le manque de sensibilité, l'arrogance et le mépris de ce policier, dont le devoir est, d'abord et avant tout, de servir et de protéger les habitants de Montréal. Bob ne s'attendait, pas à ce que celui-ci lui parle en espagnol, mais à ce qu'il lui fasse comprendre la raison de son arrestation (l'anglais étant, rappelons-nous-le, une des langues officielles du Canada).

Bob posa la question de plus belle, sans réponse aucune, et le policier blanc commença a lui dresser une contravention. Voyant la détresse de l'intéressé, une femme latine est intervenue, lui conseillant de rester calme, car, selon ses propres mots:« Ces choses nous arrivent souvent ». Le policier donna son ticket à Bob,en rétorquant sèchement « Speak French. » L'idée qu'une directive de la sorte puisse générer des résultats immédiats est, comme nous le savons, absolument ridicule.

Si une commande de la sorte suffisait à consolider l'apprentissage d'une langue, alors les gens du Québec ne parlant pas l'anglais pourraient l'assimiler par un simplement claquement de doigts! Dans les derniers moments de l'altercation, Bob fût obligé de divulguer son adresse pour demander au policier de l'aider à retrouver sa demeure. En retour, il n'eût que la réponse qui lui avait été livrée plus tôt : « Speak French! »

L'anglais estropié et l'espagnol fluide de Bob ont probablement signalé au policier qu'il avait affaire à un immigrant, un touriste ou un visiteur. Son manque de respect et de flexibilité vis-à-vis d'un individu en besoin d'assistance dénote des préjugés racistes pernicieux, auxquels s'ajoute un biais linguistique qui contribue à l'hyper surveillance et à l'hyper criminalisation des populations noires au Québec.

L'hostilité du policier qui a ségrégué Bob des deux autres piétons marchant à ses côtés, son refus de communiquer, et son indifférence à la détresse de son prévenu révèlent qu'au sein d'une population de policiers exemplaires demeurent une minorité d'agents mal-entraînés, ignorants et racistes. Ses officiers, souvent armés de fusils, extrapolent des scénarios de violence ayant pour base un préjugé et une suspicion de la population noire. Si Bob fût apostrophé ainsi à trois heures de l'après-midi, songez simplement au danger qu'il aurait pu courir le soir ou durant la nuit.

En toute franchise, Bob est mon mari. Il est grand, fort, athlétique : il possède les attributs qu'on souhaite retrouver dans un pompier ou un sauveteur. Il est aimable, courtois, tendre, et son intelligence n'a de rival que son sens de l'humour. Lorsqu'il sortit de l'aéroport à Montréal, je me suis demandé si son amour pour moi suffirait à ce qu'il endure le froid de cette ville, un froid qui lui est si peu familier.

La nuit du 19 février, mon époux et moi nous présentions au consul des États-Unis pour une fonction honorant les Montréalais noirs ayant contribué à la ville. J'étais lauréate, et nous avons été accueillis par une myriade de politiciens, de dignitaires, de célébrités et des membres de la presse. C'est notre monde, un monde auquel le policier blanc n'imaginait pas que nous appartenions.

En tant que recherchiste dont le travail traite de la race et en particulier de l'histoire de la race noire, j'ai avisé mon mari que les heureuses rencontres qu'il a faites avec les touristes canadiens ne refléteraient pas son expérience à Montréal. Comme homme noir ayant grandi au sein d'une nation majoritairement composée de noirs, et tout en étant conscient de ses talents et de ses compétences, Bob se voyait occuper certaines des plus hautes fonctions dans son pays. Il fût donc surpris d'apprendre à quel point la couleur de sa peau pèse lourdement en Occident, où les échos de l'esclavage se font entendre dans de pratiques discriminatoires et racistes, parmi lesquelles le profilage doit être compté.

Revenant à la question du début : combien de temps faut-il pour qu'un individu, récemment immigré, soit victime de profilage par le SPVM. La réponse : une semaine. J'espère que mon mari ne viendra pas à regretter son immigration au Canada, et qu'une suite d'expériences positives saura éclipser ce malheureux événement.

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Avril 2018

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