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J'ai testé la nuit fetish berlinoise

Première étape, pour passer une nuit fetish: s'équiper. Le «dress code» est clair, quelle que soit la capitale, si on veut rentrer dans un endroit fetish: cuir ou latex ou vinyle. Je n'ose pas ressortir la tenue que je devais porter pour la dernière Demonia, car j'ai pris depuis deux-trois kilos d'hiver, donc cette robe en latex remonte dangereusement au niveau des fesses, et je me vois mal passer la soirée à la remettre en place, façon collégienne qui porte une mini-jupe trop courte à sa première boum.
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Alors que je sors, ce mois-ci, aux éditions Parigramme, le livre Paris-Couche-Toi-Là, une enquête sur le Paris érotique d'aujourd'hui (ça va, c'était discret, là, comme auto-promo?), j'ai entendu de la part de plusieurs de mes amis ou de mes connaissances la même affirmation: «Non, mais Paris n'est plus une capitale sexy, voyons Camille! Il faut aller à Berlin pour ça. Ils sont plus libres, là bas. La preuve le fétichisme y est plus populaire».

© Fred Bernard

Vraiment? Ni une ni deux, je prends mon petit carnet, mon passeport, un billet d'avion, j'embarque mon homme avec moi, et hop, direction Berlin, pour vérifier ces dires. La ville est plus jeune, plus pauvre, et plus artistique que Paris. De fait, la nuit berlinoise est un peu plus folle que la nuit parisienne. Mais est-elle plus sexy?

Première étape, pour passer une nuit fetish: s'équiper. Le dress code est clair, quelle que soit la capitale, si on veut rentrer dans un endroit fetish: cuir ou latex ou vinyle. Je n'ose pas ressortir la tenue que je devais porter pour la dernière Demonia, car j'ai pris depuis deux-trois kilos d'hiver, donc cette robe en latex remonte dangereusement au niveau des fesses, et je me vois mal passer la soirée à la remettre en place, façon collégienne qui porte une mini-jupe trop courte à sa première boum.

Arrivée à Berlin, direction Torstraße, située à Mitte, ex-quartier populaire devenu branché depuis quelques années. Dans cette rue se trouvent trois boutiques qui proposent des choses très différentes, mais chacune liée à l'univers fetish. C'est au départ le fruit du hasard que ces trois enseignes se retrouvent à quelques mètres l'une de l'autre, mais cela en fait, de fait, une «rue fetish». La première boutique, Schwarzer Reiter, est une sorte de grand love shop, à la décoration noire et pourpre. Je m'y balade et découvre les tenues et lingerie pour femmes et pour hommes, des sex-toys, et des accessoires BDSM classiques. Rien de très surprenant au premier abord: depuis le succès de Cinquante nuances de Grey, beaucoup de love shops proposent menottes, petits fouets, cordes et compagnie. Mais à y regarder de plus près, je réalise que Schwarzer Reiter s'adresse aussi aux afficionados qui ne pratiquent pas le «sexe vanille» (l'expression des «vrais» pratiquants BDSM qui se moquent de ceux qui ont une sexualité plus classique).

Le rayon cravaches et martinets est très équipé, et la boutique propose également des instruments plus pointus, dans les deux sens du terme: des petites roulettes avec des pics. Celles-ci sont en métal, disposées sur de mignons petits coussins en soie. Ça fait très Guy Degrenne. Mais cela ne me dit pas comment je vais m'habiller ce soir. J'ai prévu d'aller au KitKatClub, mais la boss de la boutique me suggère un deuxième lieu, un club privé un peu particulier ouvert uniquement le vendredi et le samedi. Je note précieusement l'adresse dans mon carnet.

Deuxième adresse: TO.mTO, une boutique de corséterie de luxe. La corsetière, Tonia, m'explique que même si elle propose également des corsets en tissu, le corset en cuir a une place très importante dans la mode fetish. Ses pièces sont belles, et -oh surprise- il y a même des corsets pour hommes. Beaucoup moins cintrés évidemment, ils se portent aussi bien, comme les corsets féminins sous une tenue que sur une tenue. "Berlin est beaucoup plus ouvert d'esprit, concernant la mode fetish. On peut sortir dans la rue habillé ainsi, personne ne fera de remarques", constate Tonia, qui tient cette boutique depuis près de douze ans. Le prix d'un corset étant l'équivalent de la moitié de mon loyer, je quitte la boutique à regret, pour me rendre en face, chez Très Bonjour.

Mon amoureux m'a rejoint entre temps, et alors que nous entrons chez ce fabriquant de lingerie et de tenues en latex, j'ai un choc. Tous mes a-priori négatifs sur le latex (ça fait vulgaire, ça te fait ressembler à un saucisson Justin Bridou, ce n'est pas chic), disparaissent en quelques secondes. Les formes, les couleurs, les motifs -inspirés de l'Art déco- de ces ensembles sont simplement magnifiques. «Putain c'est beau», dis-je toutes les demi-secondes.

Quant à mon copain, il est tout aussi surpris que moi par que ce qu'il découvre, et regarde chaque soutien-gorge, culotte et porte-jarretelle comme si c'était la huitième merveille du monde. Les robes sont trop chères pour notre budget d'intellos-précaires, j'essaie donc un ensemble de lingerie, et découvre que non seulement je ne suis pas saucissonnée, mais qu'en plus la matière et la découpe habillent et structurent avec beaucoup élégance les courbes du corps.

Génial! J'ai du latex pour la soirée ! Enfin...tout du moins en sous-vêtements. Pour le reste, je décide de mettre simplement une petite robe en cuir achetée dans une grande chaîne. Je me dis que c'est ça, le vrai chic : porter une tenue à trente euros, mais cacher, dessous, une pièce haute-couture. Mon mec a, lui, opté pour une chemise noire en vinyle, achetée à Paris. Il voulait au départ acheter un «catsuit», une combinaison intégrale, histoire de vraiment jouer le jeu. Mais je lui ai rappelé que dans un club il faisait chaud, et que donc il allait mourir. Peut être pas dans d'atroces souffrances, mais tout du moins dans beaucoup de sueur.

Le soir à l'hôtel, nous nous apprêtons, excités comme deux ados qui vont tenter de rentrer en boîte pour la première fois. Mais la préparation prend également une dimension étonnamment érotique. A Paris, si on sort, on s'habille normalement, en faisant un léger effort, mais sans plus. Mais ce soir là, nous nous apprêtons. Et ce rituel de préparation, pour soi mais aussi pour l'autre, est en soi, je le découvre, assez excitant.

Direction le 2nd Face, le club privé qui m'a été recommandé dans une des boutiques. Première halte de notre nuit, et première douche froide. Le club est installé dans une maison de plusieurs étages, à l'écart de la ville. J'ai prévenu le gérant que je venais faire un reportage, mais il est plus de 22h, et sur le parking, il n'y a que deux voitures. On sonne, et là, une image qui me restera gravée dans ma mémoire de chroniqueuse érotique toute ma vie: un grand allemand blond, en tenue de gladiateur, mais gladiateur en latex, nous ouvre la porte, avec un grand sourire, et nous lance un tonitruant: «Willkommen!!!».

Je me mords la lèvre inférieure pour ne pas éclater de rire. «On est dans le parc Asterix sado-maso, en fait», dis-je à mon copain, discrètement. Je ne croyais pas si bien dire. Après nous avoir montré comment, à l'aide d'une machine à air, nettoyer nos chaussures (mais oui l'hygiène c'est important), Andreas-le-Gladiateur, avec sa jupette qui laisse dépasser son service-trois-pièces, nous fait la visite guidée du club.

Ce lieu n'est pas un simple club SM, c'est un endroit spécialement aménagé pour tous les fantasmes: sur plusieurs étages, de grandes pièces, avec à chaque fois un univers, et une décoration particulière. La salle médiévale et sa panoplie de croix de Saint-André, le cabinet gynéco (qui ressemble vraiment à une salle d'opération gynécologique, matériel de médecine inclus), la «metal room» avec ses machines sophistiquées, la «french room» et son grand lit pour pratiquer l'échangisme, etc etc.

Andreas, tout sourire, est super fier de nous montrer toutes ces pièces et ses machines. Il est accompagné d'une grande jeune femme blonde, qui traduit pour nous ses explications, et également d'une cliente, qui nous suit, en silence, cravache à la main. Au cas où à un moment donné on ait envie d'une petite tape, elle est là, elle est dispo. La pièce «prison» est criante de vérité, ils ont poussé le détail jusqu'à faire des murs craquelés. Comme le club fait aussi «maison d'hôtes», certains clients, m'explique Andreas, passent plusieurs jours dans la prison, tandis que leur domina, elle, fait sa vie. «Mais ils restent enfermés longtemps?», je demande, inquiète. «Oh et bien tant qu'ils payent, ils peuvent rester... » Absolument toutes les pratiques sont réalisables dans ce lieu. Détail charmant: dans la prison, des toilettes, avec dessous un trou pour qu'une personne puisse y passer la tête. Pas besoin de schéma, vous m'avez compris, je vous laisse avec cette belle image.

Nous rejoignons au bar le big boss du lieu. Un homme d'une soixantaine d'années, à l'air pas commode, et avec une chemise à jabot un peu trop grande pour lui. Un look à la Marquis de Sade, mais version soirée déguisée. Il nous raconte qu'il a plutôt une clientèle étrangère, venant de Hollande, et de Belgique. «Mais les gens arrivent à quelle heure?» Il est déjà minuit et il n'y a personne à part nos hôtes et la cliente à la cravache. Le Marquis me regarde d'un air sévère: «entre 22h et 23h», répond-il sérieusement. Bon, on n'insiste pas.

A côté du bar se trouve accrochée une collection de fouets et de martinets, de paddles plutôt trashs, avec clous et compagnie. Je remarque au dessus un petit écriteau, et demande la traduction à la jeune femme blonde: «Ça, dit elle en chuchotant, ce sont les objets du patron. Pas droit d'y toucher». Je n'en avais pas l'intention, en même temps... Nos hôtes sont plutôt sympathiques, et on peut fumer au bar, mais il est 1h, il n'y a toujours aucun client. La barrière de la langue est parfois difficile à gérer, pour l'interview. Je pose une question sur les martinets, Andreas me propose un Martini, bref il est temps de quitter ce parc d'attraction désert...

Après cette drôle de visite, direction le KitKatClub, club mythique des nuits fetish berlinoises. Au vestiaire, je réalise que l'on a été bien prudes, avec nos tenues. On a fait nos parisiens un peu coincés: il y a ce soir-là plein de filles seins nus, et d'hommes en slip (de latex bien sûr). Un espace immense, plusieurs pistes de danses, de la musique house à plein tube, et une faune incroyablement interlope: des hétéros, des gays, des lesbiennes, des trans, des jeunes, des vieux, des créatures de rêves, des gros, des gens en fauteuil roulant, des gens tatoués, des gens ultra lookés ou pas, bref c'est le temple de la liberté sexuelle.

J'ai vécu à Paris des soirées trans, des soirées fetish, des soirées gays, des soirées costumées, mais ici c'est autre chose: tout le monde se mélange dans une ambiance très joyeuse et très festive. La plupart des gens sont là pour danser et discuter, mais dans certains recoins, des couples, ou des trios, font "la chose". A côté du bar, un homme se caresse, tranquilou, tout en discutant aimablement avec une domina perchée sur 18 cm de talons. Je teste la balançoire, au milieu d'une piste de danse, quand un beau jeune homme s'approche pour discuter avec moi. Il me dit qu'il aimerait, là, tout de suite, se déshabiller devant moi, sur la piste, que c'est son fantasme. Mais très poli, il me demande si mon copain serait d'accord. Je me retourne vers mon amoureux :

«Chéri, y'a ce monsieur qui me demande si tu es ok pour qu'il se mette tout nu devant moi.

- Ah ben s'il veut, oui. Je vais chercher un verre.

Je le rejoins quelques instants plus tard au bar.

- Alors ?

- Ben il s'est mis tout nu, en dansant.

- Et ?

- Et c'est tout. Mais c'était relou, je devais tenir toutes ses affaires. J'avais l'impression d'être vendeuse chez H&M, dans une cabine d'essayage.»

Nous quittons le KitKat quelques heures plus tard.

«A Paris, y'a des soirées comme ça ? me demande mon copain dans le taxi.

- Pas vraiment, non.

- Mince, c'est con, elle me va bien cette chemise.

- Promis on reviendra. Je veux écrire Paris-couche-toi-là, version européenne, version cuir et version queer.»

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