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Cette épine dans le pied de la France doit-elle faire souffrir le Québec?

Entre le Québec et la France, il y a un océan. Avec les débats sociaux, du Québec à la France, il n'y a souvent qu'un pas. Proximité linguistique oblige, échanges privilégiés entre les deux sociétés, les relations françaises et québécoises relèvent d'une complexité à dormir debout: tantôt dans le rejet des modèles, tantôt dans l'admiration, parfois dans le mimétisme, mais au fond toujours dans l'interaction.
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Entre le Québec et la France, il y a un océan. Avec les débats sociaux, du Québec à la France, il n'y a souvent qu'un pas. Proximité linguistique oblige, échanges privilégiés entre les deux sociétés, les relations françaises et québécoises relèvent d'une complexité à dormir debout: tantôt dans le rejet des modèles, tantôt dans l'admiration, parfois dans le mimétisme, mais au fond toujours dans l'interaction.

Même si les deux sociétés sont très différentes, la fascination persiste. C'est particulièrement le cas avec les discours identitaires, qui prennent place en France avec une violence inquiétante. C'est précisément le traitement médiatique et politique de la présence de l'Islam qui vient illustrer ce lien de proximité quasi malsain, tant la problématique de l'islamophobie est apparue de façon accélérée sur la scène québécoise. Au lendemain du 10e anniversaire de la Loi de 2004, qui consacrait l'interdiction du port de signes religieux à l'école par les élèves, les résistances se la société civile se maintiennent pour en dénoncer le caractère discriminatoire. Alors que de ce côté de l'Atlantique, la Charte des valeurs s'est concentrée sur la minorité musulmane comment peut-on en apprendre du contexte français tout en se préservant des simplifications?

Andréanne Pâquet, fondatrice du projet «Ce qui nous voile», a demandé à Nadia Henni-Moulaï, journaliste et auteure du Petit précis de l'islamophobie ordinaire, de nous faire un état des lieux sur l'islam et l'islamophobie dans la république française. Voici le regard lucide que Nadia Henni-Moulaï pose en nous exposant l'idée qui fonde l'islam, comme «une épine dans le pied de la République française»

«De France, la Charte des valeurs a un air de déjà vu. Laïcité, neutralité de l'État ou égalité hommes-femmes. Le vocable utilisé sonne comme une petite musique lancinante ici en France. Tel un disque rayé instillant dans la tête de millions de Français que l'Islam est un danger contre lequel il faut se prémunir. Parmi les remèdes, la loi du 15 mars 2004 contre les signes ostensibles d'appartenance religieuse à l'école. Une réaction majeure à un phénomène mineur. Autrement dit une loi d'exception. Les chiffres parlent d'eux même. Sur l'année 2004/2005, "60 élèves ont été évincés du système scolaire public classique suite à l'application de la loi", constate le CCIF. C'est dire s'il y avait péril en la demeure.

De même, le collectif très impliqué dans la lutte contre l'islamophobie note un certain nombre de dérives suite à l'abrogation de la loi. Une boite de Pandore s'ouvre. Universités, mairies, cantines scolaires, les cas ne manquent pas pour illustrer l'impact de la loi sur la société française. Lors des années 2004 et 2005, de nombreux témoignages indiquent des actes discriminatoires sur tout le territoire. Un inspecteur de conduite, s'appuyant sur une note interne, conditionnera le passage à l'examen au retrait du foulard. Un arrêté ministériel démenti par la préfecture de police. Un exemple de ce qu'une interprétation dévoyée d'un texte de loi couplée à une forme - n'ayons pas peur des mots - de racisme peut conduire. Les cas sont pléthores. Malheureusement, pas toujours médiatisés. Et quand ils le sont, le traitement éditorial laisse, parfois, planer le doute. L'affaire Leïla, agressée à Argenteuil dans la banlieue parisienne, le 13 juin 2013 en est symptomatique. À l'étude de la presse, on perçoit clairement une forme de suspicion à l'égard de Leïla, enceinte, qui perdra son bébé suite à l'agression. Une femme voilée, habituellement accolée à l'Islam intégriste, peut-elle être une victime? En France, c'est plutôt non. Et qui dirait le contraire serait d'une mauvaise foi déconcertante.

Car la France -les médias dominants et le pouvoir - a fait, du voile, une obsession reléguant les actes discriminatoires au rang d'anecdotes. Au grand dam des droits de l'Homme. Doit-on rappeler que la France est régulièrement épinglée par l'ONU pour son islamophobie galopante? Depuis 2004, les langues se sont déliées. La loi les y autorise en quelque sorte. L'ère Sarkozy a creusé le sillage islamophobe, aussi. L'ancien président de la République a livré un florilège d'insultes à l'encontre de Français musulmans. Une façon de labourer sur les terres du Front national, parti d'extrême droite. Une tactique rentable en 2007. Pas en 2012. Avec 4,1 millions de musulmans en France, cet électorat est passé sous le nez du candidat de droite. 93% d'entre eux ont préféré François Hollande. Après le quinquennat Sarkozy, il était impensable d'imaginer la droite rafler le vote de ceux qu'elle a régulièrement stigmatisés. Mais, la place des musulmans dans la République pose toujours question. Si la dernière décennie a posé les bases d'une islamophobie décomplexée, car institutionnalisée, elle ne marque pas vraiment un tournant.

Car la question de l'Islam reste prégnante dans la relation que la France entretient à ce sujet. Est-il possible d'être français et musulman visible? La réponse se trouve certainement dans le passé. Rappelons-le. Sous l'administration coloniale, la France avait instauré le code de l'Indigénat en Algérie, notamment, soumettant les autochtones à un ensemble d'interdictions. Parmi les conditions d'acquisition de la nationalité française, l'abandon par les colonisés de l'Islam, jugé incompatible avec le Code civil. Même naturalisés voire convertis au catholicisme les colonisés restent cantonnés à une assignation ethnique et religieuse.

L'indigène n'est plus tout comme l'Empire. Mais la question de l'Islam a surgi au coeur de la République. Car d'Indigènes, les musulmans sont passés à citoyens. Un statut synonyme de devoirs, mais aussi de droits. D'où la crispation des élites. À l'inverse de leurs aïeux enchaînés aux geôles de la colonisation, les Français musulmans peuvent s'armer du droit. Et c'est bien parce qu'ils ont une grande idée de la France, qu'ils ne plieront pas face à l'islamophobie.» (Nadia Henni-Moulaï)

Alors que du côté de la France les praticiens, les chercheurs, les élus locaux, les fonctionnaires s'intéressent au savoir-faire québécois et montréalais notamment, côté québécois, on semble cristalliser un discours sur la France qui élude les réalités sociales. De la France au Québec il n'y a qu'un pas, mais c'est un pas de géant que s'apprête à faire le Québec en important les contours d'un problème et en l'appliquant de façon accélérée à une population musulmane, par extension maghrébine, qui n'a rien à voir avec l'immigration française. À ce propos, le titre de l'ouvrage de Jean Beaubérot dit tout : «Laïcité interculturelle, le Québec est-il l'avenir de la France?». Quand réalisera-t-on au Québec que nous avons un modèle, un savoir-faire et un savoir-être dont l'originalité mérite d'être cultivée, plutôt que d'être brimée. Avec la charte des valeurs, la peur de l'Autre et l'alarmisme ambiant sur «la menace intégriste», «le péril islamiste» et «l'islamisation galopante», force est de constater que la plus grande peur est probablement que le Québec soit en train de souffrir d'une épine qui ne le touche pas.

Collaboration: Nadia Henni-Moulaï, Andréanne Paquet et Bochra Manaï

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