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Rwanda: les illusions perdues de l'opposition

Au lendemain des élections de 2010, les Rwandais se sont retrouvés un peu piégés par le résultat de ces urnes. Dans un entretien à la BBC, en août 2010, feu Patrick Karegeya, qui avait pris la cavale en Afrique du Sud, n'avait pas mis de gants blancs pour rappeler la responsabilité personnelle de Paul Kagame (le président rwandais) dans l'assassinat de Seth Sendashonga, un des opposants les plus sérieux, en son temps, au régime rwandais.
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Au lendemain des élections de 2010, les Rwandais se sont retrouvés un peu piégés par le résultat de ces urnes. Dans un entretien à la BBC, en août 2010, feu Patrick Karegeya, qui avait pris la cavale en Afrique du Sud, n'avait pas mis de gants blancs pour rappeler la responsabilité personnelle de Paul Kagame (le président rwandais) dans l'assassinat de Seth Sendashonga, un des opposants les plus sérieux, en son temps, au régime rwandais. Les Karegeya de ce monde ont tardé à pousser l'audace plus loin pour collaborer à construire une force politique alternative sérieuse à cette dictature sanguinaire, maquillée par le vernis du scrutin de 2010. Encore que le régime rwandais n'est pas prêt pour une mue transformatrice qui offrirait aux Rwandais une véritable démocratie...

Depuis cette époque, il a coulé beaucoup d'eau sous les ponts! En début de l'année 2014, M. Karegeya a été assassiné par strangulation dans un hôtel à Johannesburg en Afrique du Sud. Mais cet assassinat est survenu alors qu'une fracture sérieuse avait commencé à apparaître au sein de différentes figures de l'opposition rwandaise. Ce n'était pas nouveau. Ce qui est nouveau, c'est que, aujourd'hui, l'opposition rwandaise n'est qu'une maison qui brûle, d'où s'échappe la fumée de la discorde...

Dans ce spectacle psychodramatique qu'offre au quotidien la scène politique rwandaise, l'opposition rwandaise et le pouvoir en place à Kigali se disputent l'affiche et les deux protagonistes se déchirent sur la place publique pour la surenchère en vue de maintenir en état d'éveil permanent leur clientèle respective.

On sait que le gouvernement de Paul Kagamé est à bout de souffle. C'est un gouvernement est aux abois. Mais qui pourrait parier sur les capacités de l'opposition à assurer l'alternance de façon responsable à plus ou moins brève échéance? L'opposition se réduit à la violence verbale, aux quolibets, aux attaques personnelles, au bruit médiatique et à la lutte à mort que se livrent différentes figures de proue de cette opposition en éternelle reconstruction-déconstruction. Ce qui augmente la triste fragmentation des idées suite à la triste multiplication des formations politiques.

Il a fallu que le président tanzanien ouvre la brèche et plaide auprès de Kigali pour une discussion décomplexée avec les forces de l'opposition - y compris avec les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) - pour que les chiens soient lâchés par les autorités rwandaises! De l'autre côté, la course époumonée à la recherche de l'éternel sauveur, menée par différentes têtes d'affiche de l'opposition, est on ne peut plus éreintante.

Récemment, nous avons été témoins de scènes désolantes où des coalitions contre nature - certaines incluant les FDLR, d'autres jugeant les FDLR non fréquentables -, ont alimenté le débat, par babillard électronique interposé, au sein des cercles des acteurs politiques rwandais. D'aucuns ont même abandonné les chantiers qu'ils avaient investis depuis plusieurs années d'effort acharné pour s'afficher derrière les oripeaux des derniers-nés de la scène rwandaise parce que, semble-t-il, cela offrait l'avantage de cueillir plus rapidement le fruit mûr lâché par un pouvoir agonisant... Ainsi, de reniements en tête-à-queue, l'opposition rwandaise a tellement fait preuve de plasticité ces dernières années qu'elle fait face aujourd'hui à un véritable problème de crédibilité de sa parole.

Dans les circonstances que l'on sait, le mieux que l'opposition puisse espérer est une victoire par défaut, grâce à la pression occidentale et peut-être aussi grâce à la pression de la rue sur Kigali exercée comme l'ont récemment vécu les Burkinabés, et grâce à ce qui reste de civisme chez les Rwandais attachés au patriotisme de leur pays.

Cette opposition peut néanmoins opter pour d'autres choix plus réalistes. Se remettre au travail sans tarder pour mettre en place un projet fondateur, qui lève l'ambiguïté à l'égard de tous les enjeux difficiles auxquels le pays fait face. Ensuite, former la relève - la génération de ceux ou celles dans la cinquantaine ou moins - qui doit résolument s'attaquer aux chantiers de la réconciliation nationale, de la justice, de la protection des droits et libertés et de la paix dans la région des Grands Lacs africains. Bref, réinventer le Rwanda. Cette génération ne parvient pas à s'affranchir suffisamment de ses aînées. Elle doit s'attacher à reconquérir le cœur des Rwandais par la force de ses propositions, non par la simple narration des erreurs du passé et des échecs lamentables du pouvoir actuel à Kigali.

Les Rwandais ne se satisferont plus d'un chef politique qui va asseoir son autorité par l'assassinat des opposants ou qui va accéder à la magistrature suprême en recourant à une sorte de ramasse-miettes de toutes les illusions perdues. Le Rwanda a besoin d'une véritable refondation idéologique et programmatique. Sinon, vouloir diriger le Rwanda par effraction politique, dans l'unionisme hypocrite des courants du moment, ne peut que conduire à des destins funestes: refaire le marché des dupes des années 1990 qui conduirait à une situation catastrophique et qui plongerait à nouveau le Rwanda dans le chaos, ou jouer à nouveau l'infâme carte du régionalisme ou de l'ethnisme et connaître une issue fatale aux lendemains ensanglantés.

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