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Je réfute les termes «auteure» ou «autrice», le vrai féminisme c'est de m'appeler «auteur»

S'il est un domaine où la parité, loin d'avoir gagné dans les usages, semble n'avoir aucun contre-argument, c'est peut-être celui de la féminisation des professions.
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George Sand ou George Elliott eurent l'intelligence d'utiliser la contrainte masculine pour souligner combien le genre importait peu.
Je réfute les termes
George Sand ou George Elliott eurent l'intelligence d'utiliser la contrainte masculine pour souligner combien le genre importait peu.

S'il est un débat où le féminisme semble faire consensus, s'il est un domaine où la parité, loin d'avoir gagné dans les usages, semble n'avoir aucun contre-argument, c'est peut-être celui de la féminisation des professions. Ou plutôt de certaines professions, prestigieuses et intellectuelles, car ce débat n'a jamais concerné les métiers de boulangère, couturière, cuisinière ou institutrice, comme le souligne avec justesse Éliane Viennot, professeur de littérature et militante féministe.

Voici donc que se multiplie depuis une dizaine d'années, d'abord dans la presse, l'emploi du néologisme «auteure» ou la réactivation de l'ancien terme «autrice», qui, oui, a bien existé malgré le barbarisme qu'il impose à notre ouïe.

Après avoir brassé nombre d'articles sur ce combat entre trois termes pour lesquels chacun se devrait de trancher en son âme et conscience, je ne lus, à mon grand dam, aucune défense de l'usage d'«auteur» pour une femme.

Au-delà d'une surprise certaine, car ce genre de sujet s'avère prompt aux débats, c'est une déception qui teinte de facilité et de politiquement correct un terme que je compte bien continuer d'écrire au masculin.

Avis à celles qui d'emblée se demanderont quelle mouche m'a piquée: ne vous fourvoyez pas en réagissant par une condamnation épidermique de tout avis divergent au vôtre, le sujet est peut-être moins lisse qu'il n'y paraît.

Autrice, auteure: quand l'histoire est belle

Rétrogrades, conservateurs, défenseurs du patriarcat: où êtes-vous donc dans ce débat? Disparus, évincés, terrassés par des Femens de la langue française qui féminisent sous vos yeux ahuris toutes les professions, avec la bénédiction des journalistes et autres intellectuels/les, postulant à tour de plumes qu'ils/elles sont auteurs/res? Les barres qui scient mes mots vous dérangent-elles? C'est là un débat différent, pourtant proche.

Ma question lancinante, à chaque article consulté sur la féminisation du métier d'auteur, n'était finalement pas seulement celle du manque de réactions opposées au consensus, mais bien la raison de ce manque d'opposition.

Est-il à ce point politiquement correct de défendre la féminisation de certaines professions? Ce débat met curieusement en abîme l'écriture, en portant sur le statut de celle, et en creux, de celui, qui écrit. Comment écrire celui qui écrit?

Après avoir cherché les pourfendeurs du féminisme, les gardiens de la tradition et les partisans du masculin, j'ai cru devoir me résoudre à ce constat: devoir prochainement apposer contre ma volonté un –e à la fin de mon métier, auteur.

Le terme d'autrice, existant jusqu'au XVIIe siècle, a été évincé par la réforme d'un certain Richelieu, aux intentions plutôt tranchées quant à la place des femmes dans les domaines intellectuels.

L'histoire est séduisante, avouons-le. Le terme d'autrice, existant jusqu'au XVIIe siècle, a été évincé par la réforme d'un certain Richelieu, aux intentions plutôt tranchées quant à la place des femmes dans les domaines intellectuels.

Aussi étrange sonne-t-il, le terme d'«autrice» n'a fait que disparaître sous la pression masculine, que dis-je... machiste, d'un puissant voulant rabaisser la condition féminine. Pire, une volonté masculine généralisée d'empêcher les femmes de percer en littérature et de s'y sentir légitime, comme en témoigne Éliane Viennot.

On ne pouvait rêver scénario plus percutant pour brandir l'étendard de la parité, de la justice et même, n'en déplaisent aux conservateurs de la langue française, de la tradition déchue.

Auteure, en revanche, est un néologisme qui apparut dans les années 90 pour palier, sans doute avec l'ambition d'une délicatesse que son acolyte médiéval n'avait pas, le manque de féminin de cette profession, à l'instar de «professeur», dont le féminin avec un –e est utilisé désormais par les administrations universitaires en Belgique, en Suisse et au Québec.

Les stigmates de la pensée correcte

Gare à ceux qui refuseront l'usage de ces termes d'auteure ou d'autrice; chacun étant libre sur ce point de sa préférence. C'est à se demander si revendiquer «auteur» deviendra bientôt le stigmate d'un rigorisme littéraire, d'un mode de pensée discriminant, glissant doucement pour celui qui l'utilise vers un penchant rétrograde que l'on pourrait généraliser à toute sa pensée.

Pour le dire explicitement: si je n'étais pas de sexe féminin, je pense que j'aurais cessé d'utiliser «auteur» au profit d'«autrice» dès les prémices de cette occurrence, par faiblesse, et pour ne pas craindre l'opprobre ou la remise en cause de mon aversion pour le sexisme.

La première dictée dite inclusive, lue par Audrey Pulvar, s'est tenue en janvier dernier, pour «cesser d'invisibiliser les femmes de la langue française», comme le rapporte Libération. Le combat est noble, l'intention, louable. Aucun reproche possible sur cet aspect.

L'Académie refuse l'usage, pouvant ainsi parfaire le tableau d'une institution arc-boutée sur ses positions valorisant les masculins malgré une opinion favorable au féminin et à la parité.

Car c'est bien l'absence de liberté qui me hérisse dans ce débat: le fait que l'opposition à une opinion qui se veut bien-pensante se convertisse insidieusement en devoir. Ainsi, se voulant novatrices, modernes, respectueuses de la cause féminine, combien d'affiches de dédicaces ou de conférences ont spontanément stipulé que j'étais «auteure» ou «écrivaine».

Outre le rejet spontané de mes oreilles et de mes yeux pour ces mots, à la lecture desquels je me surprends à vouloir corriger une faute d'orthographe, il s'agit surtout d'une non-contestation possible, d'un débat clos d'avance: qui plus est en tant que femme, il semble évident que l'on est d'accord avec ce nouvel usage.

L'hyperféminisation ou le revers du langage

Que la langue française évolue et soit vivante, que la parité soit nécessaire dans les professions: là n'est pas le débat. On me reprochera alors d'avoir intériorisé malgré moi les codes du patriarcat, comme une servitude volontaire de la cause dont Richelieu se voulait le fervent initiateur.

Le prestige et l'aura des termes d'écrivain et d'auteur n'ont pas à souffrir une hyperféminisation du langage qui croit se devoir de traduire que la femme est femme.

C'est pourtant tout le contraire. Le prestige et l'aura des termes d'écrivain et d'auteur n'ont pas à souffrir une hyperféminisation du langage qui croit se devoir de traduire que la femme est femme. Ne songez-vous pas que c'est justement en prétendant que ces corrections sont nécessaires que l'on affaiblit et les mots et leurs porteurs? Ne pensez-vous pas que tant que la revendication s'avère nécessaire, c'est que justement, la cause féminine ne se juge pas à la hauteur de son équivalent masculin? Qu'il lui faut une signature supplémentaire, puisque ces termes s'emploient au masculin depuis des siècles.

Le talent n'attend pas le genre

Outre l'imposition d'une pensée unique sur ce sujet, c'est surtout la faiblesse avouée qui est gênante, comme si la nécessité de la féminisation soulignait l'impuissance d'un corps de métier à être l'équivalent masculin. George Sand ou George Elliott eurent l'intelligence d'utiliser la contrainte masculine pour souligner combien le genre importait peu. Le talent n'attend pas le genre, pourrait-on résumer. Et bien triste est sa reconnaissance s'il lui faut accoler une féminisation imposée d'office par des chiens de garde intellectuels, qui me nommeront probablement comme censeur, puriste ou impie de la langue à la suite de cet article.

Si la libertaire en moi s'offusque de l'imposition d'une bien-pensance de la féminisation des professions intellectuelles, c'est surtout mon désir d'égalité qui revendique l'utilisation du masculin par le féminin pour lui faire la nique.

Ce n'est pas une position répandue, j'en conviens, mais c'est celle d'un auteur, qui est fière de l'être. La question qui se dessine en filigrane dans ce débat n'est-elle pas alors celle de la nécessité de la connaissance du sexe de l'auteur pour préjuger de ce qu'il écrit, et j'emploie ce pronom à dessein. En littérature, qu'importe le genre pourvu qu'on en ait l'ivresse, ne croyez-vous pas?

Ce billet de blogue a d'abord été publié sur le HuffPost France.

Avril 2018

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