Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Pastagate, ou de la nécessité de reconcevoir le combat pour la langue française au Québec

La langue est bien une affaire politique au Québec. Mais dans un monde de plus en plus globalisé, toute décision politique majeure se doit de prendre en considération les réalités du monde actuel.
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.
Alamy

À première vue, le panneau de signalisation "Arrêt" que l'on peut apercevoir à l'intersection de deux rues montréalaises peut en surprendre plus d'un. Et pourtant, l'absence du mot "Stop" dans la Belle Province est bien aujourd'hui le reflet de l'histoire sérieuse d'une longue politique de francisation du Québec issue de la peur d'un possible enlisement dans le gouffre anglophone du continent américain. Dans cette optique de préserver une langue minoritaire en Amérique du Nord, le parti libéral du Québec crée en 1961 l'Office Québécois pour la Langue française (OQLF) visant entre autres à assurer que le nom d'un établissement public au Québec soit en français (art. 63).

Mais dans un souci de faire en sorte que toutes les affiches et noms de commerces soient traduits, l'Office a souvent fait preuve d'un excès de zèle. L'affaire du Pastagate donnant lieu à la démission de la présidente de l'OQLF Louise Marchand en mars dernier en est l'exemple le plus récent. Condamné, car le mot italien "pasta" était trop souvent mentionné dans son menu, le restaurant montréalais italien Buonanotte est loin d'être un exemple isolé.

Qu'en est-il alors réellement de l'identité québécoise dont on nous parle si souvent ici? Existe-t-elle encore ou est-elle le fruit d'un combat déjà perdu?

Jusque dans les années 60, les francophones étaient économiquement minoritaires alors qu'ils représentaient la majorité de la population. On se souvient du discours du Général de Gaulle en visite à Montréal en 1967 durant lequel il s'addressa à la foule québécoise en prononçant les mots "Vive le Québec Libre" qui marqueront les esprits.

Suivront trois lois établies par les gouvernements québécois successifs visant a élaborer une véritable politique linguistique, en réponse à la pression d'une opinion publique francophone virulente. Parmi elles, la loi 101, aussi appelée Charte de la Langue française, créée en 1977 contre les politiques d'assimilation avancées par le gouvernement fédéral, fera le plus de bruit, car elle placera le français comme la langue "unique" du Québec.

Visant à s'assurer du respect de la Charte, la création de l'OQLF marquera un tournant sans précédent dans l'histoire linguistique du Québec.

Le billet d'Athéna Tacet se poursuit après la galerie

Aujourd'hui encore, l'OQLF stipule que tout citoyen québécois a le droit de se faire servir en français. Dans le cas échéant, il peut porter plainte directement sur le site de l'organisme. Ce dernier se charge alors de mener son enquête comme dans l'affaire "Pastagate."

La mondialisation et l'augmentation des vagues d'immigration dans la province ont toutefois redessiné le paysage socioculturel québécois dont les contours sont de plus en plus flous. Et cela cause l'inquiétude de beaucoup de francophones qui ont peur que leur langue disparaisse au profit de l'anglais.

Selon le Bulletin statistique sur l'Immigration Permanente au Québec publié cette année,3 les Français seraient deuxièmes, après les Chinois, à choisir le Québec comme lieu de résidence en 2012. Toujours dans l'optique de préserver la langue française, le Ministère de l'Immigration du Québec a aussi choisi de privilégier les travailleurs issus des anciennes colonies françaises. Mais cela ne semble pas suffire à rassurer les francophones; car en effet, beaucoup de Français décident de venir étudier en anglais à Montréal, berceau de quatre universités dont deux sont anglophones: McGill et Concordia. C'est aussi désormais le cas d'une nouvelle vague de jeunes Québécois francophones qui réalisent l'importance de l'anglais.

"On a l'impression que Montréal, la métropole du Québec, est en train de s'angliciser," a affirmé Antoine Robitaille, éditorialiste pour Le Devoir, lors d'une entrevue avec Patrick Simonin sur TV5 Monde.

Et ceci, non sans déplaire à une génération de Québécois francophones qui voient leur langue une fois de plus menacée. Car si le Québec reste l'un des endroits les plus convoités au monde du fait de son niveau de qualité de vie presque imbattable, le combat controversé entre les anglophones et les francophones reste gravé dans la mémoire collective des anciens.

Quant aux plus jeunes, qu'ils soient ou non issus du multiculturalisme canadien, ils sont nombreux à considérer ce débat obsolète.

Mais alors, pourquoi ressent-on toujours cette dichotomie pesante lorsque l'on marche dans cette ville si multiculturelle qu'est Montréal? Cette ligne linguistique distincte est marquée par le boulevard St-Laurent qui sépare les francophones à l'est des anglophones à l'ouest. Et si pour certains, un tel débat en 2013 est inconcevable, pour les Québécois francophones dits "de souche," ce dernier se trouve au coeur de leur raison d'être.

C'est un combat difficile, notamment du fait de l'influence indéniable de leurs "voisins anglo-saxons du Sud." Conscients de cette réalité, beaucoup de jeunes Québécois francophones choisissent d'étudier aux États-Unis, alors que pendant ce temps, les Français se hâtent de déposer leurs bagages dans la Belle Province.

"On aurait redécouvert notre américanité," explique Antoine Robitaille.

Mais cela ne se fait pas sans une certaine amertume vis-à-vis de ces "maudits Français" de France qu'ils considèrent toujours trop laxistes quant au respect qu'ils accordent à la langue de Molière. Sont alors condamnés tous les anglicismes présents notamment sur les réseaux sociaux et dans les domaines du journalisme, de la communication et de la publicité.

Le combat pour la francophonie au Québec occupe donc une place tellement importante dans l'esprit des Québécois qu'il donne souvent lieu à des actes irrationnels comme celui de l'affaire "Pastagate."

Le premier ministre du Canada Stephen Harper reconnaîtra en 2006 le Québec comme nation, geste symbolique vers l'acceptation du caractère unique de la province, sur les plans culturel, historique, social et linguistique. Dans la vie de tous les jours, c'est une autre histoire et la frontière qui délimite le français et l'anglais à peine à se faire voir. Les mélanges culturels francophones, anglophones et allophones, l'influence grandissante du franglais, ainsi que l'existence du joual - langue dérivée du français-québécois principalement parlée à Montréal et image de l'identité québécoise - ont redessiné le paysage culturel et linguistique du Québec, faisant de la séparation linguistique et de la recherche d'un unilinguisme total une bataille quasiment perdue.

Cela ne devrait pas empêcher les Québécois de se battre pour leur cause, certes. Or, la langue est bien une affaire politique dans la province, et dans un monde de plus en plus globalisé, toute décision politique majeure se doit de prendre en considération les réalités du monde actuel.

Peut-être serait-il alors temps d'accepter que le multilinguisme du Québec, fruit d'un multiculturalisme florissant est une richesse pour la province et non une tare.

VOIR AUSSI

La Loi 101 au Québec

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.