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Le sens des aiguilles

Si le tatouage demeure avant tout une démarche esthétique, elle n'en est pas pour autant dénuée de sens.
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Il existe à peu près autant de raisons de se faire tatouer qu'il existe de tatoués.
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Il existe à peu près autant de raisons de se faire tatouer qu'il existe de tatoués.

Il n'y a pas si longtemps, le tatouage constituait encore un tabou au Québec. Lorsque j'étais adolescent, si une personne osait décorer une partie de son corps, elle devait affronter des commentaires sans doute bienveillants, mais relevant plutôt d'une certaine condescendance.

«Quand tu vas être vieux et que ta peau va ratatiner, ça va devenir super laid.»*

«Tu vas avoir de la misère à te trouver une job avec ça.»

«Tu sais que la chirurgie pour les enlever, ça coûte vraiment cher.»

Et ça se poursuit. Il n'y a pas si longtemps, je suis tombé sur des articles traitant de certains dangers récemment associés au tatouage; quelque chose à voir avec l'encre. Je me suis donc rendu compte que le tabou n'est pas complètement mort. Il y a encore de ces gens qui semblent croire que le fait d'avoir une peau non tatouée est une vertu et qui s'efforcent donc de trouver des manières d'attribuer à cette démarche – pourtant résolument personnelle – des dimensions illégitimes et immorales, ou alors néfastes et dangereuses.

En ce qui me concerne, j'en suis à trois tatouages. Le deuxième d'entre eux a été réalisé par l'artiste d'hyperréalisme montréalais Claude Bernier-Tremblay (ou Claudius). J'ai pris une bière avec lui après qu'il se soit patiemment affairé sur mon avant-bras droit. Lors de cet échange, dans un bar du Quartier latin, je me souviens qu'il m'avait tenu un discours bien différent de celui des détracteurs de cette pratique qui est la sienne.

D'entrée de jeu, il m'a expliqué que le tatouage n'a rien d'un projet typique. Après tout, il s'agit d'une oeuvre avec laquelle on devra vivre pour le reste de ses jours, un jalon de sa propre existence qu'on pourra ensuite consulter à loisir. Souvent, c'est un projet qui a nécessité une longue réflexion de la part du tatoué. Certes, tous les tatoués n'ont pas cette patience et ce penchant pour l'introspection, il le reconnaissait autant que moi. Cependant, il m'a dit n'avoir pratiquement jamais eu affaire à des gens qui se foutaient éperdument de ce qui se retrouverait à jamais gravé sous leur épiderme. Selon Claudius, la plupart des tatoués prennent la chose très au sérieux.

Par la nature irréversible de la chose, le lien entre tatoueur et tatoué va au-delà de la relation qu'entretiennent habituellement un fournisseur et un client.

C'est là où je veux en venir. Le caractère indélébile du tatouage lui confère une certaine gravité, un aspect quasiment solennel. Par la nature irréversible de la chose, le lien entre tatoueur et tatoué va au-delà de la relation qu'entretiennent habituellement un fournisseur et un client. Le tatouage n'étant pas un projet banal, la relation que ce projet engendre ne l'est pas non plus. Claudius fait état d'une complicité, d'un dialogue constant qui s'installe avec les gens qui font appel à lui. Souvent, il arrive que les premières esquisses sur papier qu'il soumet à un futur tatoué ne plaisent pas. Il faut alors s'asseoir avec la personne, discuter de toutes sortes de détails, ajuster certains aspects, tenter de dégager une compréhension mutuelle du travail à faire. Bref, il faut prendre le temps.

Il existe à peu près autant de raisons de se faire tatouer qu'il existe de tatoués. Je serais prêt à parier que pour l'écrasante majorité des gens qui arborent des tatouages aujourd'hui, la permanence de l'entreprise n'avait rien d'irréfléchi. Au contraire, elle semble faire partie intégrante de la volonté de ceux qui choisissent de passer sous l'aiguille. Beaucoup mentionnent un désir viscéral d'inscrire quelque chose dans leur propre vie – littéralement, jusqu'à avoir cette idée étampée dans la peau. Le même effet, la même profondeur, le même sens ne pourraient être obtenus par une forme temporaire de décoration du corps. Si le tatouage demeure avant tout une démarche esthétique, elle n'en est pas pour autant dénuée de sens.

Peut-être que ceux et celles qui n'étaient jusqu'ici jamais parvenus à apercevoir du beau dans cette pratique singulière sauront y voir quelque chose d'inspirant.

C'est cette dimension particulière qui confère toute la beauté de la relation entre tatoueur et tatoué. Car oui, j'insiste: cette relation est charmante. Peut-être que ceux et celles qui n'étaient jusqu'ici jamais parvenus à apercevoir du beau dans cette pratique singulière sauront y voir quelque chose d'inspirant. Toute initiative qui génère un lien d'une telle qualité entre deux humains ne doit certainement pas être si diabolique que ça.

*Bien sûr: ce qui est laid, ce n'est pas la peau qui ratatine, c'est le dessin dessus.

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