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Le blanc pelage des loups solitaires

On préfèrera en parler comme d'un malade, un déréglé, un gars pas bien dans sa tête.
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Je crois qu'il faut être capable de reconnaître les torts de ceux qui nous ressemblent, sans tenter de les adoucir.
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Je crois qu'il faut être capable de reconnaître les torts de ceux qui nous ressemblent, sans tenter de les adoucir.

«Moi d'imaginer des gens se faire tirer dessus, alors qu'ils sont en train de dire "merci"... [...] Imaginer ça, ça m'a juste mis dans un état de deuil absolu.»

- Adib Alkhalidey, TLMEP, mars 2017 (à propos de la tuerie à la mosquée de Québec)

Tristement, la nouvelle ne nous étonne plus. Malheureusement, une norme funeste s'installe. Un sombre refrain se fait entendre, encore. «Une autre fusillade aux States? Combien de morts? Combien de blessés?» Toujours plein. Toujours trop. Et là-bas, on n'y fait toujours rien (ou presque).

Évidemment, cette tragédie a fait couler beaucoup d'encre et on continuera à en parler. C'est tant mieux, car je suis de ceux qui croient qu'un dialogue est nécessaire en ce genre de circonstances. Cependant, même si je me réjouis de la tenue d'un discours sur ces faits accablants, je crois que certains éléments de la réponse médiatique typique s'avèrent problématiques. Entre autres, je sourcille face à la manière dont on tente d'expliquer les potentiels motifs ayant mené un assassin de masse à passer à l'acte. Pas parce qu'il n'est pas pertinent de s'attarder aux motivations d'un tueur (ça l'est, amplement), mais plutôt parce qu'il y a de nombreux éléments qui faussent généralement l'analyse. Un en particulier: l'origine ethnique.

Devin Patrick Kelley, auteur des meurtres de Sutherland Springs, est un terroriste, ni plus ni moins. À-peu-près toutes les définitions du terme s'appliquent à son geste tragique. Selon Antidote, le terrorisme est un «usage systématique d'actes de violence par une organisation politique, en vue de créer un climat d'insécurité.» Sauf la partie «organisation politique», on est à-peu-près dans le mille. Google en parle comme de l'usage illégal de la violence ou de l'intimidation à des fins politiques. Le Larousse ajoute quant à lui d'autres motifs possibles, notamment «satisfaire une haine à l'égard d'une communauté, d'un pays, d'un système.» Donc, Kelley est-il un criminel? Oui. Un tueur? Aussi. Un ex-militaire? Apparemment. Cependant, je suis d'avis que, lorsqu'on parle d'un homme ayant mitraillé une foule de civils en plein lieu de culte, tous ces attributs doivent être relégués à l'arrière-plan, au profit du mot juste: terroriste. Or, je crois malheureusement que les médias ne le décriront pas ainsi. Pourquoi? Oui, parce qu'il est Blanc.

Peut-être l'avenir me prouvera-t-il que j'ai tort. Mais peut-être pas.

Peut-être que le Washington Posts'interrogera sur son identité, en le désignant comme un «gunman» et en travaillant fort pour lui trouver un motif, tout en exonérant la NRA au passage pour la présence d'armes semi-automatiques dans son arsenal (ce serait la faute des forces armées).

Peut-être que le New York Times en peindra un portrait d'être déchiré, celui d'un homme troublé et tourmenté qui aurait soudainement craqué sous la pression d'une vie difficile.

Peut-être que la BBC se dépêchera de parler de ses problèmes mentaux, en empilant les faits de sa carrière militaire ratée, comme pour dire «c'est dégueulasse, mais vous savez, ça allait tellement mal dans sa vie.»

Peut-être que FOX News ira interroger ses anciens camarades de classe, pour compléter le portrait d'un genre de détraqué fini, un drogué incapable de différencier le bien du mal, une personne aux prises avec des troubles importants.

On préfèrera en parler comme d'un malade, un déréglé, un gars pas bien dans sa tête.

Cependant, comme j'en parlais plus haut, je doute qu'on parle bien souvent de ce que Devin Patrick Kelley est devenu en ouvrant le feu sur 26 êtres humains innocents: un terroriste. On préfèrera en parler comme d'un malade, un déréglé, un gars pas bien dans sa tête. Comme on l'a fait avec Stephen Paddock, auteur de la tuerie de Las Vegas. Et comme on l'a aussi fait avec Alexandre Bissonnette, le responsable des six meurtres à la mosquée de Québec (Jessica Chin brille d'éloquence à ce sujet). Bref, comme on le fait pratiquement chaque fois qu'un Blanc commet ce genre d'atrocité.

Ce genre de phénomène n'est pas limité au terrorisme. Le même processus de minimisation du profil d'un criminel blanc s'opère aussi lorsqu'un officier de police américain tue un civil Noir ‒ l'article a beau parler du meurtre qu'il a commis, on l'appelle respectueusement «Sgt. Kizzy Adonis». Ou alors lorsqu'un violeur saute sur une jeune femme inconsciente ‒ au lieu de «violeur», l'article parle d'un «Stanford Freshman». Rappelons-nous aussi que le père de Brock Turner, le violeur en question, a défendu son fils en disant qu'il était fâcheux que la vie de ce dernier soit foutue en l'air pour, et je cite, «20 minutes d'action». C'est un Blanc, donc c'est moins grave. Les gros mots sortent moins facilement. L'étiquetage immédiat auquel ont droit les autres ethnies fait défaut. Les voix médiatiques semblent hésiter.

Les Blancs, probablement à cause du manque de diversité dans le personnel des médias, ont tendance à recevoir ce genre de traitement plein d'indulgence de la part des journalistes et des chroniqueurs, surtout lorsque ceux-ci sont américains. On ne cherchera pas à les pardonner de leur crime, bien sûr. Mais on cherchera à l'expliquer, à en comprendre les motivations, à élucider le mystère de la volonté de tuer ses semblables. Vous remarquerez que les mêmes thèmes reviennent souvent. La maladie mentale. La dépendance à certains narcotiques. Le passé troublé. Le bon vieux paradigme du loup solitaire. Certes, on s'attarde aussi au profil du coupable quand il est musulman, mais on plante souvent l'État islamique dans le milieu du décor et tout semble graviter autour de cet élément identitaire. Cette affiliation, on l'évoque rapidement. Des fois, on parlera même de l'exemplaire du Coran que le coupable traînait avec lui le jour de l'acte. Comme si on disait: «Ben oui. Un musulman extrémiste. Logique, non?» Rarement approfondira-t-on davantage. Ça suffit, comme explication.

Personnellement, ça ne me suffit pas. Je sais, ces questions ne sont évidemment pas évidentes à explorer. Cependant, si nous nous aventurons à le faire, je crois que nous devons nous munir d'une plus grande rigueur. Il faut accepter que quelqu'un qui fait partie de notre propre peuple, notre propre société, notre propre monde est capable du pire. Ultimement, il faut traiter chaque meurtrier comme un meurtrier, et chaque terroriste comme un terroriste. À mon avis, il ne doit pas seulement être égal face à la loi, mais également égal dans la représentation que nous nous en faisons un peu partout dans la sphère médiatique, incluant les médias sociaux.

Si nous désirons explorer les motivations des tueurs blancs en long et en large, je n'y vois aucun problème. Cependant, il faut alors faire de même lorsqu'il s'agit de meurtriers musulmans (ou de toute autre religion ou origine). Il faut approfondir l'analyse et éviter de s'arrêter à cette seule allégeance pour expliquer l'ensemble du crime. Tous les musulmans ne sont pas terroristes. Tous les terroristes ne sont pas musulmans. C'était les chrétiens catholiques et protestants qui s'entretuaient en Irlande du Nord pendant 30 ans au tournant du millénaire. Aujourd'hui même, il y a des moines bouddhistes qui assassinent des musulmans en Birmanie et au Sri Lanka. Les meurtriers ont une grande variété de visages, ce qui rend toute forme de déterminisme ethnique ou religieux mal avisée.

Oui, c'est douloureux de constater que quelqu'un qui nous ressemble a commis l'irréparable. Réaliser qu'on a une sorte de proximité culturelle avec un meurtrier est un phénomène vraiment particulier et désagréable, je le reconnais. Cependant, au-delà de cet inconfort, il faut s'armer non pas d'un fusil, mais d'un peu de pragmatisme. Je crois qu'il faut être capable de reconnaître les torts de ceux qui nous ressemblent, sans tenter de les adoucir. Ça fait mal à l'âme, comme lorsqu'on apprend que quelqu'un qu'on admirait – disons Kevin Spacey – est accusé de crimes pédocriminels par un paquet de présumées victimes. Mais il faut le faire. Je suis réellement d'avis qu'il s'agit d'une sorte de devoir humain. Un peu comme reconnaître ses propres torts ou bien remercier ceux qui t'aident dans la vie.

Comme le disait le groupe The Fray dans sa pièce à succès: sometimes the hardest thing and the right thing are the same.

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