Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Et si les femmes sortaient « triomphantes » de leur accouchement?

Harcèlement sexuel, inégalités, violences... les femmes prennent de plus en plus la parole.
staticnak1983 via Getty Images
Et si les femmes sortaient
staticnak1983 via Getty Images

Harcèlement sexuel, inégalités, violences... les femmes prennent de plus en plus la parole et dénoncent des situations vécues au quotidien. La question des violences obstétricales est notamment au cœur du débat. Ces dernières années, les voix s'élèvent contre ces gestes et actes gynécologiques déviants.

Le concept a été mis sur le devant de la scène en France fin juillet 2017 quand Marlène Schiappa, Secrétaire d'État chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes, a annoncé avoir commandé un rapport au Haut Conseil à l'égalité sur le sujet. En septembre 2017, un livre coup de poing "Le livre noir de la gynécologie" de Mélanie Déchalotte ravivait le débat.

Marie-Hélène Lahaye, juriste militante pour un accouchement respectueux des femmes et à l'origine du blog hébergé sur Le Monde "Marie accouche là", marque un nouveau tournant. Dans son ouvrage "Accouchement, les femmes méritent mieux", à paraître ce jeudi 4 janvier aux éditions Michalon, elle parle de ces violences physiques et psychologiques subies durant l'accouchement et entend encourager les femmes à redevenir maîtresses de leur corps.

Cette lecture invite à repenser totalement notre vision de l'enfantement. Et si nous ne voyions plus l'accouchement comme un moment de souffrance intense et de complications mais plutôt comme celui au cours duquel la femme reprend pleinement possession de son corps? Et si les femmes sortaient "triomphantes" de cette expérience qui leur "échappe" et les "meurtrit"?

"L'injonction à l'immobilité"

Marie-Hélène Lahaye s'estime chanceuse car elle a vécu un accouchement "respecté". "Nous n'étions que trois dans la salle nature d'une clinique (...): moi-même dans le rôle principal, mon compagnon m'apportant soutien émotionnel et massages apaisants, et ma sage-femme à la fois discrète et complice", raconte cette dernière.

Celle qui était d'abord convaincue de donner naissance à l'hôpital et dans la douleur, a vu, au fur-et-à mesure de ses rencontres avec des sages-femmes libérales, sa perception de l'enfantement évoluer et ses préjugés s'estomper. "Apparaissait progressivement l'idée lumineuse que je pourrais devenir pleinement actrice de cet événement", et non "passive", "les yeux fermés", comme l'auteure s'imaginait au début de sa grossesse.

La passivité, une notion que l'on retrouve tout au long de la lecture. Et pour cause, elle est l'un des combats de cette militante. Il faut savoir que les mécanismes biologiques de l'enfantement "poussent les femmes à être dans l'action, dans le mouvement et en pleine puissance pour mettre leur enfant au monde", tandis que la sage-femme "se place en retrait et se met à leur disposition".

Or, l'accouchement médicalisé tel qu'on le connait est, selon l'auteure, contraire à ces principes puisqu'il "prive les femmes de toute initiative", pendant que l'obstétricien "s'approprie l'ensemble des actions permettant de faire naître un enfant".

Dans une partie intitulée "accoucher par soi-même", Marie-Hélène Lahaye démontre qu'au cours de l'accouchement, la femme a besoin de laisser s'exprimer son corps et ses émotions: elle doit pouvoir changer de position, boire et manger si elle en ressent l'envie, se reposer, marcher, pousser des cris...

L'auteure s'interroge ainsi sur ce qui semble être devenu la norme: donner naissance "en position du missionnaire". En 2016 en France, 88,5% des femmes étaient couchées sur le dos durant toute la durée de leur travail, note-t-elle. Pourtant, cette position est profondément inadaptée et ne profite ni au foetus, ni à la mère, pour qui elle est inconfortable et douloureuse. Pire, "elle ralentit l'accouchement et augmente le risque de complications".

Cette "injonction à l'immobilité des parturientes" est donc totalement incohérente. Et cette passivité imposée aux femmes est omniprésente, presque inconsciemment ancrée dans notre société. Non seulement au moment de l'accouchement mais aussi dans bon nombre de situations, la femme "est" alors que l'homme "fait". Elle "tombe enceinte", "se retrouve enceinte", "est accouchée" là où l'homme "met enceinte", constate Marie-Hélène Lahaye.

Rendre leur accouchement aux femmes

"À aucun moment il n'est question de la puissance des femmes, ni de leur capacité à mobiliser tout leur corps pour mettre leur enfant au monde", regrette la juriste. Cette dernière invite alors les femmes à reprendre le contrôle et évoque à ce titre "l'empowerment", cette notion difficilement traduisible qui signifie "renforcer ou acquérir du pouvoir".

Elle insiste notamment sur l'importance d'écouter et de respecter les demandes que les parturientes pourraient exprimer concernant leur accouchement (lieux, conditions...) Ces exigences spécifiques ne visent qu'un seul but: "mettre au monde son bébé de la meilleure façon qui soit", souligne-t-elle.

Et parce que ces préférences sont uniques et diffèrent selon chaque femme, il ne peut y avoir un "schéma type" de l'accouchement préétabli pour toutes, comme c'est le cas aujourd'hui dans la plupart des maternités. L'auteure compare cela au fordisme, ce système économique qui implique une division du travail entre les intervenants selon le principe du travail à la chaîne. "Pour que ce modèle puisse fonctionner, il nécessite une standardisation des femmes, qui doivent toutes adopter la même position, et dont les étapes de l'accouchement doivent se dérouler en séquences précises, minutées et de préférence de la façon la plus rapide possible."

Pourtant, malgré la nécessité de prendre avec la plus grande considération les requêtes des femmes dans ce moment si important de leur vie, le monde médical semble faire preuve de "mépris" à l'égard de leurs choix. La raison évoquée par l'auteure? Une supposée incompétence du fait qu'elles ne sont pas des professionnelles de la santé et n'ont donc pas de "légitimité" en la matière.

Au-delà des capacités de discernement des femmes, le corps médical nierait "leur aptitude à utiliser leur corps". Bien sur, la femme a besoin de se sentir en sécurité durant l'accouchement et la présence du personnel médical va dans ce sens. Mais la femme ne doit pas pour autant être épiée, limitée dans ses actions ou oppressée.

Le chirurgien obstétricien Michel Odent cité dans l'ouvrage de Marie-Hélène Lahaye suggère alors que la meilleure attitude possible du médecin est "de se mettre dans un coin de la pièce, attendre silencieusement et... tricoter". La femme peut ainsi "plonger dans une décontraction profonde" et devenir "pleinement maîtresse de son accouchement", tout en étant assurée que le spécialiste interviendra en cas d'urgence.

L'auteure dénonce par ailleurs une violence extrême envers les femmes durant l'enfantement. "Elles sont moins respectées que les guenons. (...) Personne n'oblige une éléphante à se coucher sur le dos et à pousser sur ordre. Aucun vétérinaire n'introduit ses doigts dans le vagin d'une girafe pour contrôler la dilatation de son col", peut-on lire.

Cette "dévalorisation" et les gestes non-consentis subis ont des effets sur l'état psychologique des femmes par la suite: beaucoup d'entre elles passent ainsi par une période dépressive: le "fameux baby blues". Des mères racontent avoir le sentiment de s'être fait "voler" leur accouchement, d'autres en sortent meurtries, humiliées...

Haro sur la peur

"Etre une femme, c'est avoir mal." La douleur est ainsi associée à l'ensemble des phénomènes physiologiques qui touchent spécifiquement les femmes, et ce, dès le plus jeune âge. Des règles, aux premiers rapports sexuels, en passant par la grossesse pour finalement atteindre son paroxysme lors de l'enfantement.

Pourquoi une telle appréhension de ce moment? Pourquoi part-on toujours du principe qu'un accouchement, ça se passe mal? La juriste évoque le "mythe de l'accouchement qui dérape en quelques secondes": toutes les femmes, y compris celles en excellente santé et à la grossesse idyllique pourraient voir leur accouchement se compliquer sans la moindre raison et "virer au drame en quelques instants".

Les nombreux progrès médicaux et l'amélioration des conditions de vie et d'hygiène depuis deux siècles ont par ailleurs considérablement réduit le taux de mortalité maternelle. Aujourd'hui, il y a moins de 10 décès maternels pour 100.000 naissances.

Ce climat de peur est toutefois dominant dans nos sociétés. Ainsi, les livres destinés aux femmes enceintes, "en particulier ceux écrits par des obstétriciens qui ne conçoivent la grossesse que par le prisme de la pathologie, alimentent comme il se doit l'ambiance anxiogène entourant les ventres ronds".

La France serait le pays encourageant le plus cette perception de l'accouchement comme "un événement intrinsèquement risqué et dangereux" et considéré comme "normal qu'à posteriori". Pourtant, l'écrasante majorité des accouchements ne présente pas de risque particulier. L'auteure ne nie pas que des complications fatales peuvent se produire dans certains cas, mais regrette que "des gestes préventifs adéquats" ne soient pas davantage suggérés, "avec tact et bienveillance".

Si beaucoup de femmes abordent l'idée de la naissance de leur enfant avec une certaine appréhension, elles ne sont pas les seules. La peur "emprisonne" une autre personne impliquée dans les accouchements: l'obstétricien. Ces chirurgiens spécialisés dans les risques de la grossesse et de l'accouchement sont préparés à affronter tous types de complications, posent des diagnostics et agissent souvent dans l'urgence. Mais qu'en est-il du déroulé d'un accouchement "normal", comment doit se comporter l'expert "quand tout se passe bien?", se demande l'auteure.

Ainsi, au nom de la sécurité et la peur du risque, ces spécialistes "perturbent la mécanique fine du processus naturel". Pourtant, "moins il y a d'interventions médicales superflues, moins il y a de risques de complications entraînant d'autres interventions de plus en plus invasives."

Aussi, cette attitude de rapidité, de stress et de performance est "contraire aux besoins des futures mères qui sont en train de mettre leur enfant au monde" car elle génère "un climat anxiogène" qui ne laisse alors plus de place à la sérénité et l'écoute. Dans une partie intitulée "accoucher avec le revolver sur la tempe", des mères racontent ainsi comment les médecins "brandissent la mort" pour "imposer un comportement précis", ou font des "intimidations intempestives" sous prétexte "d'effroyables dangers".

Il faut donc, pour l'auteure, repenser la manière dont notre société organise les naissances, ce qui nécessite ni plus ni moins "une révolution".

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.