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Le soldat américain qui a sauvé la vie d'Omar Khadr ne regrette pas ses efforts

Donnie Bumanglag souhaite raconter sa version de l'histoire.
PC//Michael Owen Baker

Pendant des années, un ancien combattant américain décoré a eu des problèmes de conscience, se demandant s'il avait fait la bonne chose en sauvant la vie d'Omar Khadr, perçu par plusieurs comme un terroriste ayant profité de ses crimes.

Aujourd'hui, observant de loin le tollé soulevé par le versement de 10,5 millions $ à Omar Khadr par le gouvernement canadien, Donnie Bumanglag souhaite raconter sa version de l'histoire et donner son opinion, même si celle-ci risque de ne pas plaire à de nombreux Canadiens, et même à certains de ses frères d'armes.

L'homme de 36 ans de Lompoc, en Californie, a passé des années à tenter d'accepter son ancienne vie de technicien médical d'élite appuyant les forces spéciales américaines pendant trois missions en Afghanistan et en Irak. Il a été hanté par des «flash-back», se remémorant constamment ce moment de l'été 2002 où il a passé des heures à l'arrière d'un hélicoptère à tenter de sauver la vie d'Omar Khadr, alors âgé de 15 ans et à un cheveu de la mort.

«C'est une vie humaine. C'est la guerre. C'est une chose que la majorité des gens ne peuvent imaginer, et ils veulent rapidement donner leur opinion simplement parce que cela leur permet de se sentir bien avec eux-mêmes, a-t-il raconté. Mais l'histoire va plus loin que ses lignes principales.»

L'histoire qui suit est tirée d'entrevues accordées à La Presse canadienne par M. Bumanglag, de même que d'un récent épisode d'une émission en baladodiffusion qu'il coanime et dans lequel il parle d'Omar Khadr.

Un petit homme sur une porte

Doc Buma, comme était surnommé à l'époque le technicien médical de 21 ans, attendait avec impatience de quitter le secteur éloigné de l'Afghanistan dans lequel il était posté depuis un mois et de se diriger à la base de Bagram pour y prendre une douche et un peu de repos avant un redéploiement à Kandahar.

Mais au moment où son équipe et lui se rendaient à Bagram en hélicoptère, en juillet 2002, ils ont reçu un appel d'urgence. L'appareil MH-53 s'est rendu sur les lieux et a atterri dans un champ. Le sergent Edmund Sealey a accouru sur les lieux, Donnie Bumanglag tout juste derrière lui, et ils ont parcouru un probable champ de mines, suivi une route, puis rejoint un groupe de soldats des forces spéciales américaines.

Un combattant ennemi, blessé, gisait sur ce qui semblait être une porte en bois. Il avait reçu deux balles tirées par les forces d'élite Delta. Les soldats l'avaient retrouvé presque mort dans un camp d'entraînement détruit lors d'une attaque menée par les forces américaines. L'un des soldats américains, le sergent Chris Speer, avait été tué par une grenade, tandis qu'un autre, Layne Morris, avait perdu un œil.

M. Bumanglag se souvient avoir reçu, des soldats sur place, quelques informations biographiques sur le blessé: il avait tué le sergent Speer. C'était un Canadien qui faisait partie de l'entourage d'Oussama ben Laden. Ils lui ont aussi demandé de lui sauver la vie parce que le jeune homme pouvait devenir une importante source d'informations.

Donnie Bumanglag avait donc la responsabilité de sauver Omar Khadr, fils d'un membre haut placé d'Al-Qaïda. Il ne savait pas encore que celui-ci n'avait que 15 ans, mais sa jeunesse l'a frappé.

«Je ne sais pas si je peux parler d'un petit enfant, mais il m'a certainement semblé petit. Il pèse 80 livres ou quelque chose du genre. C'est un petit homme sur une porte, simplement», raconte-t-il.

Dès son arrivée à l'hélicoptère, il a pris des mesures pour sauver la vie du garçon, qui était couvert de sang et de sable. En le regardant, il s'est aperçu qu'il ressemblait énormément à l'un de ses cousins, ce qui a troublé le jeune technicien médical à l'époque, et pendant les années qui ont suivi.

«Tout ce que je voyais, c'était un enfant qui ressemblait à un enfant que je connaissais.»

Tout le monde fait le djihad

Alors que l'hélicoptère se dirigeait vers Bagram, «Doc Buma» tentait de stabiliser son patient, désorienté et à peine conscient, qui gémissait de douleur. À l'insistance des autres soldats, Omar Khadr est demeuré menotté, les mains derrière le dos.

Pendant qu'il essayant de traiter les deux blessures par balle du jeune patient, il s'est mis à se demander s'il devait vraiment sauver la vie de ce «terroriste», s'il allait avoir assez de matériel médical pour sa propre équipe si quelque chose arrivait. Il a même songé à le pousser hors de l'hélicoptère et à passer à autre chose.

«Il bougeait son corps d'un côté à l'autre, se souvient-il. Je voyais ça comme une agression. Vous avez cette idée voulant que tout le monde fait le djihad et qu'ils vont essayer de lutter jusqu'à la mort.»

Il a malgré tout continué à travailler et Omar Khadr a survécu, sans dire un mot, seulement en faisant du bruit.

«Son corps indiquait que c'était un jeune homme brave. Il a lutté pour sa vie autant que nous avons lutté pour le sauver. Certains ont une volonté de vivre et d'autres ne l'ont pas. Il l'avait assurément.»

Lorsqu'il a laissé son patient entre les mains du personnel médical militaire, il ne savait pas si celui-ci allait survivre ou non. Ce qu'il savait, c'était qu'il n'était pas mort sous ses soins et il avait par conséquent accompli sa mission, ce qui lui vaudra plus tard les félicitations de ses supérieurs. Il n'apprendra qu'environ un an plus tard qu'Omar Khadr avait survécu.

Dans ses pensées pendant des années

Omar Khadr, né à Toronto en septembre 1986, a passé plusieurs mois à l'hôpital, à Bagram. Il a ensuite été transféré à la prison militaire américaine de Guantanamo, en octobre 2002. Il venait d'avoir 16 ans.

Dans ses premiers jours à la prison, à Cuba, des agents canadiens du renseignement sont allés l'interroger. Ces agents savaient que l'adolescent avait subi une privation de sommeil, une forme de torture visant à l'affaiblir. Les Américains leur avaient permis de l'interviewer à condition qu'ils lui transmettent les informations que le prisonnier leur révélerait.

Omar Khadr a ultimement plaidé coupable à cinq accusations de crimes de guerre en 2010, devant une commission militaire qui a par la suite été discréditée. Il a plus tard désavoué sa confession, affirmant que c'était la seule façon pour lui d'obtenir un transfert vers le Canada, ce qu'il a eu en 2012.

La Cour suprême du Canada a jugé que le gouvernement fédéral avait violé ses droits, et Ottawa lui a récemment présenté ses excuses, en plus de lui verser 10,5 millions $ en guise de dédommagement.

«Si vous dites que vous passeriez à travers ce qu'il a vécu pour avoir 10 millions $, vous êtes complètement fou et c'est la vérité», estime M. Bumanglag.

Omar Khadr a dit qu'il ne se souvenait plus du combat et n'a pas voulu commenter le récit de l'ex-technicien médical américain.

Heureux de lui avoir sauvé la vie

«Doc Buma» est rentré en Californie et a quitté l'armée en 2003. Il est devenu policier, un métier qu'il a exercé pendant près de 10 ans. Ultimement, le stress post-traumatique l'a forcé à quitter le métier il y a environ cinq ans. Il a étudié la psychologie éducationnelle, afin d'arriver à mieux se comprendre, a-t-il confié.

Il coanime aujourd'hui une émission en baladodiffusion, «Sick Call», dans laquelle il parle de différents enjeux en compagnie d'un autre ancien combattant. Dans un récent épisode, il a parlé d'Omar Khadr.

«J'ai participé aux pires missions de combat. J'ai adopté l'idéologie. Maintenant, c'est le temps de la réflexion», croit-il.

Il répète qu'il ne veut aucunement manquer de respect à la famille du sergent Speer ou à Layne Morris et qu'il a de l'empathie pour ce qu'ils ont perdu.

«Omar a perdu un œil aussi. Je ne sais pas si ça pourrait être plus symbolique», a-t-il souligné.

En même temps, il rappelle que MM. Speer et Morris étaient des hommes adultes, qui avaient accepté d'être soldats d'élite professionnels, connaissant les risques de leur travail.

Il sympathise du même coup avec le jeune Canadien qui a été emmené dans un autre pays par son père et lancé dans une guerre idéologique sur laquelle il n'avait aucun contrôle.

Selon M. Bumanglag, il est naïf de croire qu'Omar Khadr aurait pu tout simplement quitter le camp d'entraînement où son père l'avait envoyé. Et il affirme que s'il s'était retrouvé à sa place, ce jour de juillet, bombardé de toutes parts, ses alliés morts et l'ennemi se rapprochant pour le tuer, il n'aurait sans doute pas hésité à lancer une grenade.

«Tout le monde le déteste peut-être, mais je suis heureux de lui avoir sauvé la vie, a-t-il dit. Ce n'était pas son heure à ce moment.»

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