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«Royal» de Jean-Philippe Baril Guérard: étudier en droit, performer ou mourir (ENTREVUE)

«Je suis obsédé par la performance.»
Cindy Boyce

Angoissés comme jamais auparavant. Débordés par les notions qu’ils doivent apprendre par cœur et vomir aux examens. Étouffés par un climat de compétition plus malsain que quiconque pourrait l’imaginer. Souvent «aidés» de drogues plus ou moins légales afin de performer. Les étudiants en droit sont loin d’avoir le beau rôle dans le deuxième roman de Jean-Philippe Baril Guérard, qui met en scène la course aux stages dans les grands cabinets d’avocats et ses effets pervers sur la santé mentale des aspirants combattants.

On savait l’écrivain doté d’une plume extrêmement acérée, drôle et brutalement lucide, après avoir lu son premier roman, Sports et divertissements, où il levait le voile sur le milieu des acteurs et sa vacuité.

Voilà qu’il remet ça en parlant du droit comme «le triomphe de la bureaucratie sur la dignité humaine», un moyen pour «planter le monde en suivant les règles», en utilisant la loi, qui «existe pour encadrer la sauvagerie humaine, pas l’éliminer».

S’ouvrant sur un discours annonçant aux étudiants qu’ils font partie de l’élite de la société, le roman illustre la compétition sans merci – un véritable carnage – que se livrent plusieurs étudiants pour assurer leur futur et détruire celui des autres. Une preuve de plus que l’auteur adore mettre la laideur en lumière.

«Ça me sert de défouloir! Si j’ai des personnages qui sont des tas de marde, je peux sortir ce que j’ai de laid en moi et dans ce que j’observe autour de moi. Je n’aime pas les personnages valeureux et les héros. Je trouve ça prétentieux, quand je lis une histoire et que le personnage est un exemple de comment on doit se comporter. J’aime les affaires sales et les personnages pleins de travers.»

Il prend un malin plaisir à disséquer un milieu professionnel avec sa plume scalpel. «Les histoires avec des gens qui vivent des affaires dans leur appartement, j’ai vu ça 1000 fois en littérature, au cinéma et en télévision. Je préfère aller dans un domaine spécifique et essayer de le débroussailler. Ça donne beaucoup de couleurs à l’histoire. Pour moi, l’univers est aussi important que les personnages eux-mêmes.»

Après s’être fié sur son expérience en tant qu’acteur pour écrire son premier roman, il a songé à camper son personnage principal au bac en médecine, lui qui a deux sœurs dans le domaine, mais il s’est ravisé en cours de création pour le catapulter dans le monde impitoyable du droit.

«Mes sœurs m’ont dit que c’était beaucoup plus difficile d’être admis en médecine que d’y étudier. Une fois que tu es dans le programme, si tu passes au travers de ta formation, tu as de bonnes chances de trouver une bonne job en sortant. Mais en droit, l’écrémage se fait durant le bac. Tu es constamment en train de te battre: pour les meilleures notes, les meilleurs stages, puis plus tard pour un poste, le titre d’associé et pour que ton cabinet demeure performant.»

Convaincu que plusieurs étudiants ne sont pas préparés à la cruauté de ce milieu, il a choisi d’y plonger – certains diront d’y noyer – un jeune blanc bec, fils de riches, qui choisit le droit pour maintenir son statut.

Un personnage qui, comme la jeune actrice suffisante de Sports et Divertissements, regarde les gens de haut. «Je veux montrer qu’il y a des gens qui pensent et agissent comme ça. Ça me choque! Dans les deux cas, ce sont des enfants rois qui ont toujours tout eu et qui se heurtent à un mur en réalisant qu’ils ne peuvent pas tout avoir. Ils sont aux prises avec le même conflit, mais ils le vivent différemment.»

Une fois lancé dans la course aux stages, l’étudiant de Royal goûte aux affres de la performance, au stress, à l’insomnie et aux exutoires malsains (alcool, sexe, courtes nuits), avant de sombrer dans les profondeurs de la dépression.

«Depuis son enfance, il s’est construit sur un château de mauvaises fondations. Quand il voit des signes que ça pourrait péter, il a l’impression qu’il va tout perdre. Il a tellement mis tous ses œufs dans le même panier que si ça ne paie pas d’être comme ça, de se croire ultra performant et supérieur aux autres, tout sera perdu.»

Un concept que connaît en partie l’écrivain. «Je suis obsédé par la performance. Je suis le premier à vouloir tout réussir et j’ai beaucoup de misère avec l’échec. J’ai besoin d’un retour sur investissement et de sentir que je pousse dans la bonne direction. Je réfléchis souvent au fait qu’une carrière artistique est bâtie sur du vide et que le château de cartes peut s’écrouler. Après chaque projet, j’imagine que je ne travaillerai plus et je trouve ça super angoissant.»

Faisant naître chez son personnage des idées suicidaires d’une intensité déroutante et le sentiment qu’il n’a aucune réelle importance dans l’univers, l’auteur dit s’être inspiré d’un ami dépressif et de ses propres sources d’anxiété.

«Parfois, je relativise des affaires à outrance et j’ai des vertiges cosmiques, en me disant que je ne suis rien dans l’histoire de l’univers. Et c’est LA chose qui me cause le plus d’angoisses. Si je pense au fait que ce n’est pas si grave d’être triste parce que mon chien est mort, je vais aussi penser au fait que rien n’a de sens depuis le début de ma vie… Mais écrire tout ça m’aide à rationaliser. Ça me fait du bien.»

Son roman Royal est souvent caustique, parfois drôle, plein d’ironie, écrit avec une maîtrise incontestable du rythme, mais sans contredit plus dramatique que le précédent.

«C’est mauve foncé noir. Je le vends aux gens en disant que c’est beaucoup plus lourd que Sports et divertissements, où il y a toujours quelque chose de bubbly ou de sexy, même dans les moments de désespoir. Dans Royal, les principales activités du personnage, c’est étudier et brailler chez lui. C’est moins sexy.»

Mais pas moins brillant, rafraîchissant et exaltant.

Royal de Jean-Philippe Baril Guérard, Les éditions de Ta Mère.

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