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Comment Adel Kermiche, «fiché S» sous bracelet électronique, a-t-il pu commettre cet attentat?

Comment Adel Kermiche, «fiché S» sous bracelet électronique, a-t-il pu commettre cet attentat?

Une fois encore les fameuses "fiches S" reviennent sur le devant de la scène en France. Comme les responsables des attaques contre Charlie Hebdo, à l'Hyper Cacher de la porte de Vincennes, dans le Thalys ou encore au Bataclan, l'un des deux jihadistes qui a perpétré l'attentat de l'église de Saint-Etienne-du-Rouvray, près de Rouen mardi, avait été "fiché S".

Cet outil, qui fait partie du plus ancien fichier de police créé en 1969 pour recenser les personnes recherchées ou surveillées par les services de renseignement, permet aux autorités de suivre plus de 10 000 personnes qui menacent potentiellement la sûreté de l’État.

Visé par un tel dispositif et de surcroit placé sous bracelet électronique, comment le terroriste identifié comme Adel Kermiche a-t-il donc pu préparer et mener cette attaque?

Fiche S ne rime pas avec surveillance active

Adel Kermiche, né le 25 mars 1997 à Mont-Saint-Aignan (en Seine-Maritime), n'avait "aucune condamnation sur son casier judiciaire" mais était "toutefois connu de la justice antiterroriste", a expliqué mardi dans la soirée François Molins. Et pour cause, en "mars 2015, un membre de sa famille a signalé la disparition du jeune homme (...) qui a été interpellé le même jour par les autorités allemandes alors qu'il utilisait l'identité de son frère pour se rendre en Syrie", a détaillé le procureur.

Un mois et demi plus tard, le 11 mai 2015, Adel Kermiche a tenté à nouveau de rallier la Syrie, cette fois par la Turquie, où il est localisé et interpellé deux jours après son départ du domicile familial. Il est alors expulsé par les autorités turques vers la Suisse, d'où il provenait, avant d'être remis le 22 mai 2015 aux autorités judiciaires françaises qui avaient émis un mandat d'arrêt. C'est à ce moment là qu'il est affublé d'une fiche S, rapporte notamment Libération.

La fiche S ne rime cependant pas avec surveillance 24h/24 ou terrorisme. Un hooligan ou un zadiste peut en effet aussi atterrir dans ce fichier qui rassemble l'identité de la personne fichée et les motifs de la création de la fiche, et prescrit l'attitude que doivent avoir les forces de l'ordre quand elles entrent en contact avec cette personne.

Les fiches S ne traduisent donc pas une obligation de surveillance active à base de filatures ou écoutes téléphoniques. La tâche serait insurmontable techniquement et humainement. D'ici à 2017, les effectifs de la DGSI et DGSE devraient cependant être renforcés. Au final, ces fiches servent surtout aux autorités à être vigilantes quand elles voient remonter les activités de ces personnes considérées suspectes, mais pas coupables.

Le bracelet, un "angle mort" dans les dossiers de terrorisme

Autre mesure qui concernait l'un des deux auteurs du meurtre du prêtre, le placement sous bracelet électronique. Après avoir tenté à deux reprises de rallier la Syrie, ce jeune Français avait été remis à la France, mis en examen pour association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste et placé en détention provisoire jusqu'au 18 mars 2016.

A cette date, un juge antiterroriste a ordonné son placement sous contrôle judiciaire avec assignation à résidence sous surveillance électronique en attendant son procès. La juge, qui veut croire à un avenir possible pour ce jeune homme perturbé, indique Le Monde qui a pu consulter les pièces du débat judiciaire, motive son ordonnance par le fait qu’il aurait "pris conscience de ses erreurs", qu’il a eu des "idées suicidaires" durant son incarcération et qu’il serait "déterminé à entamer des démarches d’insertion" et que sa famille semble disposée à lui apporter "encadrement" et "accompagnement".

Une mesure rare dans un cas pareil: aujourd'hui, sur les 10.642 personnes affublées d'un bracelet, seuls sept sont des prévenus pour des affaires de terrorisme islamiste, selon la chancellerie. Par ailleurs cette mesure peut aussi être prononcée comme aménagement de peine pour des personnes condamnées ou dans le cadre d'une libération sous contrainte. C'est le cas pour six personnes condamnées pour terrorisme islamiste, considérés comme écrouées mais qui effectuent leur peine non détenues.

Adel Kermiche avait donc comme obligation de résider au domicile familial mais avait tout de même le droit de sortir du lundi au vendredi de 08H30 à 12H30 et samedi, dimanche et jours fériés de 14H00 à 18H00. Il devait cependant pointer une fois par semaine au commissariat et avait interdiction de quitter le département.

Une situation qui pose des problèmes de l'aveu même du directeur général de la DGSI, Patrick Calvar. Ce dernier a expliqué mi-juillet devant la commission d'enquête parlementaire sur les attentats de 2015 que le contrôle judiciaire des personnes mises en examen dans les dossiers terroristes était tel un "angle mort". Pour la DGSI, "il est nécessaire de prévoir des mesures de contrôle judiciaire qui soient très fortes et appliquées à la lettre", avait-il estimé. Le parquet avait fait appel de cette décision, non suivi par la chambre de l'instruction.

Mesures réclamées probablement anticonstitutionnelles

Après l'attentat jihadiste de mardi, Nicolas Sarkozy a appelé à passer outre "les arguties juridiques" en votant plusieurs mesures "sans délai", en référence à des dispositions antiterroristes demandées par la droite mais pas retenues par le gouvernement car jugées contraires à la Constitution, au droit international ou tout simplement inefficaces.

La première, la mise en rétention administrative des radicalisés "fichés S". Le problème de cette proposition est qu'elle prive de liberté des personnes qui ne sont pas soupçonnées d'infractions pénales, la fiche S étant un simple élément de surveillance, et se heurte donc aux grands principes du droit. Interrogé sur la question, le Conseil d'Etat avait affirmé "qu'en dehors de toute procédure pénale, la détention de personnes présentant des risques de radicalisation est exclue sur le plan constitutionnel". Elle est aussi exclue par la Convention européenne des droits de l'Homme.

La seconde mesure défendue est l'instauration de la rétention de sûreté à l'issue de la peine pour les personnes condamnées pour des crimes terroristes. L'idée serait d'empêcher la libération de personnes condamnées pour des crimes terroristes à la fin de l'exécution de leur peine si elles sont encore considérées comme dangereuses. Cette exception, le Conseil constitutionnel l'a admise dans des cas très précis pour des personnes "ayant commis un crime d’une particulière gravité et qui présentent une particulière dangerosité caractérisée par une probabilité très élevée de récidive". Mais la majorité ne l'a pas retenue car "cela n'a aucun intérêt immédiat pour empêcher des passages à l'acte". Une telle mesure ne s'appliquerait en effet qu'à des personnes, condamnées pour des crimes commis après l'entrée en vigueur de la loi, et à l'issue de leur peine, donc pas avant 30 ou 40 ans.

Troisième et dernière proposition: la création d'un délit de séjour sur un théâtre d'opérations terroristes. Ce délit n'a pas été retenu car la plupart des jihadistes qui reviennent de Syrie et Irak sont déjà mis en examen pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Lorsqu'il n'existe pas suffisamment d'éléments pour les mettre immédiatement en examen, la récente réforme pénale, modifiée par l'état d'urgence, permet de les assigner à résidence pour une durée de trois mois, le temps d'enquêter sur leur situation. En outre, un tel délit reviendrait à judiciariser potentiellement le séjour de tous ceux qui se rendent en Irak ou en Syrie, y compris pour des raisons humanitaires, familiales, etc.

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