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Elle a perdu une jambe lors des attentats de Boston. Aujourd'hui, elle court le marathon.

Elle a perdu une jambe lors des attentats de Boston. Aujourd'hui, elle court le marathon.

Le sol commença à trembler. Le public à courir. Et une fumée épaisse, étouffante, à se répandre sur Boylston Street. Adrianne Haslet-Davis, danseuse professionnelle de 32 ans, se couvrit immédiatement les yeux et s’éloigna du lieu de l’explosion. C’est alors qu’une seconde déflagration la projeta à terre.

Elle se retrouva en position fœtale, les yeux encore ouverts. Lorsque la fumée commença à se dissiper, elle se rendit compte qu’elle saignait abondamment. Et qu’il lui manquait une bonne partie de sa cheville et de son pied gauche. Adrianne Haslet-Davis faisait partie des nombreux spectateurs touchés par les attentats du marathon de Boston – le 13 avril 2013, cette attaque terroriste a tué trois personnes et en a blessé 264 autres. Et si le déroulé exact des événements reste flou pour elle, elle affirme se souvenir encore en détail de presque tout ce qui s’est produit dans les instants suivants.

"Je me rappelle m’être dit, ‘attentat terroriste’ tout de suite — je l’ai su par le simple fait de la puissance de la secousse au sol", nous a-t-elle expliqué. "Je me suis traînée à la force des avant-bras — je ne pouvais pas me mettre à genoux — et donc je traînais mon corps en m’accrochant par terre pour passer la porte [d’un bâtiment adjacent]. Et quelqu’un a ouvert la porte, m’a attrapée par les épaules et m’a traînée à l’intérieur".

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Une photo publiée par Adrianne Haslet (@adriannehaslet) le

Transférée au Boston Medical Center tout proche, la danseuse a dû se faire amputer la jambe gauche, sous le genou.

Elle a immédiatement pris conscience qu’une longue route se présentait devant elle. Elle allait non seulement subir un stress post-traumatique, mais elle allait également devoir réapprendre à marcher, cette fois-ci à l’aide d’une prothèse pour la partie inférieure de sa jambe amputée. Mais une semaine à peine après son opération, alors qu’il était difficile d’imaginer que des pensées positives puissent émerger de sa chambre de convalescence, elle se fit une promesse: quoiqu’il advienne, elle danserait à nouveau.

Aujourd’hui, soit 36 mois après l’événement, Adrianne Haslet-Davis a non seulement repris le fox-trot, mais elle va en plus retourner sur Boylston Street ce lundi 18 avril — et cette fois-ci pour courir l’édition 2016 du marathon de Boston.

Cela fait 6 mois, soit depuis octobre 2015, qu’elle a fait le vœu d’y participer. Et si l’entraînement pour la course de lundi est certainement le défi le plus difficile de sa vie sur le plan physique, il a également représenté l’obstacle psychologique le plus ardu qu’elle ait eu à surmonter depuis la tragédie, alors qu’elle va être confrontée aux peurs qui ont surgi au kilomètre 42 en cette journée du printemps 2013.

I see you, Spring!

Une photo publiée par Adrianne Haslet (@adriannehaslet) le

Adrianne Haslet-Davis a passé la période post-attentat au Spaulding Rehabilitation Hospital de Boston. Elle a mis exactement 78 jours à faire son premier pas "non-assisté" suite à l’amputation — supportant son propre poids, avec sa prothèse, "sans tenir se tenir à la main de quelqu’un d’autre, ni à un déambulateur, et sans s’appuyer sur une béquille".

Une rumba en robe blanche

Pendant son hospitalisation, elle a fait la connaissance de Hugh Herr, directeur du Media Lab au MIT, lui-même doublement amputé, et par ailleurs spécialiste en bionique. Après avoir échangé avec Adrianne Haslet-Davis, il lui promit de lui fabriquer un membre bionique sur mesure, en le concevant spécialement pour qu’il soit adapté aux "fondamentaux" de la danse et qu’il offre la souplesse nécessaire et permette d’effectuer les mouvements inhérents à cette activité. 200 jours plus tard, Adrianne, dans une robe blanche, portant des ballerines, bien coiffée et appuyée sur son tibia bionique, monta sur scène pour danser la rumba.

Ce fut un triomphe émouvant, qui constitua le point culminant de la conférence TEDx de Hugh Herr en mars 2014, au cours de laquelle il exposa son objectif: "Eliminer le handicap humain grâce à la technologie". La performance mixait avancées scientifiques et émotions brutes. Adrianne Haslet-Davis ne put retenir ses larmes ni avant, ni pendant, ni après cette première apparition sur scène après l’attentat.

"Mon Dieu, [je suis passée par] toutes les émotions possibles", se rappelle-t-elle. L’entraînement qui lui avait permis de parvenir à ce niveau de performance avait été épuisant, à l’extrême. Sur le plan mental plus que physique, insiste-t-elle — "parce que je savais qu’en me lançant là-dedans, j’allais voir toutes mes limites, ce qui risquait d’être complètement démoralisant". "C’est terrifiant d’essayer de marcher et de s’appuyer sur quelque chose que vous ne pouvez pas sentir, et qui s’avère être le sol", poursuit-elle. "[S’efforçant de faire le calcul] et où il faut évaluer où placer son poids pour que le point d’appui soit directement en dessous, c’est très, très difficile".

Après cette victoire, avoir réussi à simplement danser sur la scène de TEDx, Adrianne Haslet-Davis participa à sa première compétition de danse post-attentats. Elle s’y présentait avec pour objectif le seul frisson de pouvoir exercer l’art qui la passionne — sans "aucune intention de gagner". Elle reçut le premier prix du concours quelques heures plus tard.

Elle attribue cette victoire à un changement à "100 %" dans sa vision de la danse et sur la manière d’envisager ce sport. "Je suis ce que j’aime appeler une perfectionniste en rémission", dit-elle. "Avant, quand je dansais, je me concentrais à fond sur ce que je devais faire différemment et sur la manière de m’améliorer. Alors que maintenant je suis simplement contente d’être là. Et j’ai l’impression — je sais — que je danse mieux de ce fait." "Je crois que c’est pour ça que j’ai gagné", poursuit-elle. "[Car] quand on éprouve un pur plaisir à faire quelque chose, ça résonne et ça se manifeste de plein de manières. J’apprécie tout ça beaucoup plus, désormais, je n’aurais jamais pensé que ce serait possible."

Une manifestation de sa détermination

Un nouveau printemps arrive ces jours-ci à Boston. La neige s’est évanouie des célèbres rues pavées de la ville, les rives de la rivière Charles verdissent et fleurissent, et les banderoles qui chaque année font le décompte du nombre de jours restant avant le marathon sont fièrement accrochées à la vue du plus grand nombre. Lundi, Adrianne Haslet-Davis fera partie des quelques 25.000 coureurs qui s’élanceront de la ligne de départ sur Main Street, pour des tours et détours traversant des coins caractéristiques de la Nouvelle Angleterre, les amenant finalement au dernier virage du kilomètre 42 qui débouche sur Boylston Street.

Pour Adrianne, la décision de prendre le départ n’est pas uniquement un symbole de son rétablissement, pas seulement un symbole de rédemption, c’est aussi une manifestation de sa détermination. A se fixer des objectifs toujours plus élevés, à se pousser à faire plus, à venir à bout de plus de choses, à profiter plus de chaque journée. Elle s’est donné six mois pour s’entraîner en vue du 120ème marathon de Boston. Ce calendrier limité, par lui-même, aurait représenté un obstacle inimaginable, insurmontable pour la plupart des gens.

"[Quand j’ai commencé à] apprendre à utiliser la prothèse de course, j’ai conclu un pacte avec moi-même: au moins, je devais essayer de courir", nous a-t-elle confié. "Je [pensais], ‘Eh ben ! Cette prothèse est vraiment difficile à utiliser’, donc j’ai décidé de me lancer un défi que je pouvais relever."

Et assez vite, le simple fait d’essayer de courir se transforma en un entraînement pour ce safari de 42 kilomètres à travers l’est du Massachusetts — alors même qu’elle n’avait jamais vraiment couru avant les attentats. "[Je me suis dit], ‘je pense que c’est cette année que je vais le faire.’" Elle entama donc les séances matinales et un planning strict, et dans l’endurance, la routine et le décompte des kilomètres parcourus, elle découvrit une série de liens entre la course de fond et la danse de salon, liens qu’elle n’aurait jamais imaginés auparavant.

"Puiser dans cette force mentale pour quand même y aller"

Plus important, Adrianne Haslet-Davis a également découvert qu’elle pouvait s’appuyer sur la force mentale développée pendant sa convalescence pour se pousser à poursuivre l’entraînement. Et qu’elle pouvait à l’inverse tirer parti de son entraînement au marathon pour traverser les épreuves que lui impose le stress post-traumatique. "Certains jours, on se dit juste, ‘je ne vais pas me lever à cette heure-là pour une séance’… [et] il faut être capable de puiser dans cette force mentale pour quand même y aller", dit-elle. "[Sinon], on ne peut pas continuer".

"[Mon stress post-traumatique] est parfois complètement démoralisant, mais il faut arriver comprendre la situation, à s’autoriser du repos, à se laisser du temps et à avoir les ressources pour dire, ‘je ne peux pas tout faire’, pour ensuite prendre le dessus, se relever et se remettre en marche", ajoute-t-elle. Elle court pour le compte de l’association Limbs for Life (Des membres pour la vie), et collecte ainsi des fonds — 10.000 dollars, à ce jour — pour donner accès à des prothèses à ceux qui en ont besoin mais n’en ont pas les moyens.

"C’est un cadeau énorme. C’est un cadeau qui permet aux gens d’accompagner leurs enfants sur le chemin de l’école. Qui leur permet de descendre les escaliers. De se réinsérer dans la vie active", explique-t-elle. "Ca leur permet de récupérer beaucoup d’instants de vie, de faire de grands rêves, de danser, de courir, de faire tout ce qu’ils ont envie de faire." En pensant au marathon, Adrianne Haslet-Davis est fière de pouvoir dire que si elle est un peu nerveuse avant cette épreuve, c’est avant tout "en lien avec la course" — une nervosité partagée par tous les participants, et pas seulement par ceux qui ont vécu en direct les horreurs de 2013.

S T O P P E D T R A F F I C #throwbackthursday

Une photo publiée par Adrianne Haslet (@adriannehaslet) le

Adrianne Haslet-Davis a dansé sur la ligne d’arrivée du marathon de Boston, dans le cadre de la campagne "Heroes of Summer" (Les héros de l’été) en avril 2015.

Nous parlons quelques instants du sentiment de peur qui surgit lorsque frappe le terrorisme et de l’attitude du Président Obama qui, le mois dernier, quelques heures à peine après les attentats de Bruxelles, a assisté à un match de baseball, déclarant pour expliquer sa décision que nous ne pouvons pas laisser les terroristes "bouleverser nos vies". Adrianne Haslet-Davis s’arrête alors un instant, pour méditer sur cette réflexion de Barack Obama. Elle est d’accord pour dire que nous ne devons permettre à personne de nous terroriser. Mais en s’appuyant sur ce qu’elle a appris au cours des trois dernières années, les difficultés qu’elle a traversées, les obstacles qu’elle a surmontés, elle ajoute une mise en garde aux mots du président.

"C’est sûr, nous ne voulons pas que ça définisse nos vies, mais c’est normal de passer par ces jours où nous avons peur", dit-elle lentement. "Je n’ai pas honte de dire que j’ai peur. Je pense que c’est important de dire aux gens que c’est normal d’avoir peur. Ça fait vraiment peur." Mais face à cette peur, Adrienne Haslet-Davis ne se recroqueville pas, loin de là. Elle tient à faire la distinction entre le fait d’être une victime et le fait d’être une survivante. Et elle se classe résolument dans la seconde catégorie.

"Je crois qu’une victime est définie par ce qui s’est passé dans sa vie, [alors qu’] un survivant se définit par la manière dont il vit sa vie", explique-t-elle. "Et je voudrais être définie par la manière dont je vis ma vie".

"Ce n’est pas pour dire que je rejette ce qui s’est produit — ça m’a transformée pour toujours, à 100 %", poursuit-elle. "Mais je sais aussi que je peux, que je dois continuer à vivre cette longue vie, et que je le ferai, et que ma vie sera ce que j’en fais. Je veux en tirer le meilleur, pas seulement pour moi mais aussi pour les autres amputés." Et que pense-t-elle ressentir lorsqu’elle franchira la ligne d’arrivée sur Boylston Street lundi ? "Je pense que je serai une belle pelotte d’émotions en tous genre", dit-elle. "Sans honte aucune".

Cet article, initialement publié sur le Huffington Post amércain, a été traduit de l'anglais par Mathieu Bouquet.

Attentat du marathon de Boston (15 avril 2013)

AVERTISSEMENT: LES PHOTOS CI-DESSOUS PEUVENT CHOQUER CERTAINES PERSONNES.

Boston Marathon Explosion

Boston Marathon Explosion (GRAPHIC PHOTOS)

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