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Des réfugiés syriens désemparés avec la fin de l'aide alimentaire (PHOTOS)

Des réfugiés syriens désemparés avec la fin de l'aide alimentaire (PHOTOS)
Marie-Ève Bédard

La suspension des bons alimentaires du Programme alimentaire mondial (PAM) aux réfugiés syriens frappe de plein fouet des familles en détresse, prises au dépourvu juste avant le début de l'hiver. Le camp de Ketermeya, au Liban, est particulièrement touché.

Un texte de Marie-Eve Bédard, correspondante au Moyen-Orient.

Le sourire chaleureux et accueillant de Fatme Haj Jned arrive presque à dissimuler le drame quotidien de la mère de famille. Mardi dernier, c'est par SMS qu'elle a appris un nouveau malheur. La fin des coupons alimentaires à partir de ce mois-ci.

« C'est une catastrophe. Chaque mois, c'est ce que nous attendons pour acheter les pommes de terre, le lait, les couches pour les bébés. Que peut-on sans cette aide? »

— Fatme Haj Jned, réfugiée syrienne du camp de Ketermeya, au Liban

Il manque de tout

Fatme n'est pas seule à se poser la question. Le Programme alimentaire mondial a annoncé cette semaine qu'il ne pouvait plus nourrir les réfugiés syriens. Il n'y a plus d'argent.

La mère de famille a reçu la nouvelle alors qu'elle s'apprête à affronter un deuxième hiver sous la tente. Elle est avec une cinquantaine d'autres familles réfugiées au Liban, dans un campement informel à Ketermeya, dans la région du Chouf.

« Il n'y a rien ici. Pas d'eau, pas de mazout, pas de gaz. Il faut voir quand il pleut. L'eau entre partout et le peu qu'on a, on le perd. Le froid nous tue, les enfants sont malades. »

— Fatme Haj Jned, réfugiée syrienne du camp de Ketermeya, au Liban

« C'est une torture, presque au même titre que celle de Bachar Al-Assad », ajoute Fatme Haj Jned.

Une torture? Pas tout à fait, lui rappelle sa voisine de tente, Imane, qui a perdu un fils dans les prisons du régime syrien. Il avait complété son service militaire et a décidé de quitter l'armée quand son père a été blessé. Il a été arrêté.

Imane, réfugiée au camp de Ketermeya, au Liban, a perdu son fils dans les prisons du régime syrien. Photo : Marie-Eve Bédard/Radio-Canada

« Il était mort depuis six mois déjà, torturé, quand un de ses amis a été libéré et nous l'a annoncé. »

Pendant que les femmes du camp évoquent leurs drames personnels, bien plus lourds que les maigres bagages qu'elles ont pu emporter en quittant la Syrie, des dizaines d'enfants courent pieds nus entre les tentes. Aucun d'eux ne va à l'école. Tasnime, la petite orpheline qui vit maintenant avec sa grand-mère, n'y est jamais allée. Mohammed, un jeune adolescent, n'y a pas mis les pieds depuis presque quatre ans.

Le camp de Ketermeya, au Liban. Photo : Marie-Eve Bédard/Radio-Canada

Une détresse généralisée

Le camp de Ketermeya n'a rien d'exceptionnel. Ses habitants affirment survivre grâce à la générosité de la municipalité qui n'a pas les moyens d'offrir de services. La situation des réfugiés au Liban est devenue catastrophique et explosive, selon le docteur Kamel Mohanna, le président fondateur de Amel. Cette organisation non gouvernementale libanaise laïque se consacre de plus en plus à leur venir en aide.

« Tous ces jeunes qui ne sont pas scolarisés, ils vont finir par se retrouver avec Daesh (l'appellation de l'État islamique dans les pays arabophones). Eux, ils ont des moyens et de l'argent. »

— Le Dr Kamel Mohanna, président de l'organisme Amel

Le Dr Mohanna se demande où est passée la solidarité internationale.

« Depuis le Rwanda en 1994, il n'y a pas eu d'autre exemple de pays ayant des problèmes économiques, politiques et sécuritaires qui accueille autant de réfugiés. Et le conflit est appelé à durer encore peut-être cinq ans. »

« Le nombre de réfugiés syriens pourrait donc atteindre les deux millions au début de l'année prochaine. C'est l'équivalent de la moitié de la population libanaise », souligne le Dr Mohanna.

Et déjà, l'ensemble des infrastructures libanaises croule sous le poids des besoins, dit-il. Il énumère une longue liste de problèmes : « Au niveau des services hospitaliers, c'est désastreux. Sur 1,5 million de réfugiés, 15 % pourraient tomber malades. Près de 75 % des traitements sont donnés via le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés et il ne soigne pas les accidents et les maladies chroniques. »

« Sur le plan de l'environnement, sept tonnes et demie de détritus sont produites chaque jour par les réfugiés et ils sont déposés dans 700 endroits différents sans le moindre traitement. Sur le plan sécuritaire, sur les 30 000 détenus au Liban, 19 % sont syriens. Sur le plan de l'éducation, il y a environ 400 000 enfants syriens en âge d'être scolarisés, pour 290 000 Libanais », poursuit le Dr Mohanna.

Le Dr Kamel Mohanna, président de l'organisme Amel. Photo : Marie-Eve Bédard/Radio-Canada

Tensions avec les populations locales

Des chiffres qui effraient et expliquent en partie les tensions grandissantes entre la communauté hôte et les Syriens. Certains des campements informels ont été incendiés au cours des derniers mois et le Liban, comme la Jordanie, resserre ses frontières.

La Coalition nationale syrienne, l'opposition politique en exil au président Bachar Al Assad, se dit alarmée par la situation, mais elle ne veut pas jeter le blâme sur les pays frontaliers de la Syrie qui se sont montrés généreux au-delà de leurs capacités. Pour freiner la catastrophe, dit le porte-parole Oubai Shahbandar, il faut s'attaquer à la cause véritable du problème.

« La machine de guerre du régime de Bachar Al-Assad est à la source de ce qui pourrait bien être la pire crise humanitaire de notre génération. C'est elle qui chasse les gens. Le problème des réfugiés s'aggrave parce qu'on laisse le régime poursuivre ses bombardements sans discernement avec des barils explosifs en toute impunité alors que la communauté internationale hésite encore à mettre en place des zones tampons sécuritaires. »

Manal Menfakh a tenté de quitter le camp de Ketermeya. Elle est rentrée vivre chez elle en banlieue de Damas avec son mari et leur fils de deux ans.

« J'ai essayé de retourner vivre à Damas, mais je n'ai pas pu. Ce n'est pas mieux là-bas. Tout est trop cher et il n'y a pas d'argent. Damas s'est transformée en une immense caserne militaire, on est harcelés aux points de contrôle du régime. Les autorités croient que parce qu'on est de la banlieue, on est tous des terroristes. »

— Manal Menfakh, réfugiée syrienne du camp de Ketermeya, au Liban

La famille s'est donc faufilée illégalement au Liban.

« Quand on est revenus ici, j'ai montré la tente à mon mari et je lui ai dit : bienvenue chez toi. C'est ici ta maison, ton quartier pour de bon. On ne pourra plus jamais repartir en Syrie. »

La famille de Manal Menfakh, réfugiée au camp de Ketermeya, au Liban. Photo : Marie-Eve Bédard/Radio-Canada

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