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TransCanada: fuite majeure de la stratégie pour faire accepter le projet Énergie Est

TransCanada: fuite majeure de la stratégie pour faire accepter le projet Énergie Est
Radio-Canada

Des documents secrets de TransCanada, divulgués à Greenpeace par un employé ou un ex-employé, révèlent en détail la stratégie de la compagnie pour faire accepter par l'opinion publique son projet de pipeline Énergie Est. La centaine de pages consultées par Radio-Canada révèlent que TransCanada est prête à tout, ou presque, même à payer des partisans.

Un texte de Thomas Gerbet

« Armer », « combat », « attaques »... le vocabulaire de TransCanada ne trompe pas. La compagnie est en guerre pour faire accepter son projet de pipeline de 12 milliards de dollars, pour acheminer le pétrole des sables bitumineux vers l'Est. La documentation stratégique produite entre mai et août 2014 a été réalisée avec l'appui d'une des plus importantes firmes de relations publiques au monde, Edelman.

Recruter des supporteurs

TransCanada compte créer de toute pièce une mobilisation citoyenne en sa faveur. Son objectif pour l'année 2014 est de pouvoir compter sur 35 000 partisans qui se feront entendre en commentant des articles sur Internet, en écrivant des blogues ou des messages sur Twitter ou Facebook, en envoyant des lettres aux journaux, en appelant ou en écrivant à leurs élus, voire même en intervenant lors des audiences du BAPE.

TransCanada s'est donné pour objectif de dresser une liste d'experts ou de personnes influentes dans leurs communautés. « [Nous allons] recruter la plus haute quantité possible de partisans, de la plus haute qualité, au coût le plus bas possible », peut-on lire dans un document baptisé Strategic Plan : Québec, daté du 20 mai 2014.

Deux lignes plus bas, il est écrit : « Nous comptons sur un recrutement payé ciblé ». Une fourchette de tarif est spécifiée, entre 4,50 $ et 7,75 $, sans préciser s'il s'agit d'un tarif horaire, d'une rémunération par message écrit ou d'une autre référence.

« Nous allons travailler avec des tierces parties et les armer avec l'information dont elles ont besoin pour mettre de la pression sur nos opposants et les distraire de leur mission. [...] Nous pouvons [les] enrôler afin d'écrire dans les pages d'opinion des journaux ou des blogues » — Extrait de la stratégie de communication de TransCanada et Edelman

Attaquer les groupes environnementaux avant qu'ils n'attaquent

« Tactiques de pression » : c'est l'expression employée dans le document pour contrer les groupes environnementaux. « Il faut ajouter une couche de difficulté à nos opposants [...], s'ils restent sans surveillance, ils vont utiliser la moindre miette d'information à leur disposition pour nous attaquer », peut-on lire dans le document.

La firme Edelman recommande à TransCanada de déterminer le profil détaillé des groupes d'opposants, ainsi que de dresser une liste de leurs tactiques et actions passées. Il est aussi convenu de mener des recherches fouillées en colligeant toutes les informations financières ou judiciaires susceptibles de nuire aux groupes. « Nous allons commencer avec le Conseil des Canadiens. Les autres possibilités incluent Équiterre, La Fondation David Suzuki, Avaaz et Écologie Ottawa ».

Une première au Québec, selon Greenpeace

« On ne veut pas que ce genre de tactique arrive au Québec », se désole le responsable de la campagne Climat-Énergie, Patrick Bonin. Le porte-parole de Greenpeace qualifie cette stratégie de « campagne agressive », de « tactiques sournoises pour faire passer ce projet-là à tout prix ». Il fait le parallèle avec les campagnes lancées par les compagnies de tabac ou de pétrole aux États-Unis qui ont créé de fausses mobilisations, une technique baptisée « astroturf ». Il craint que des gens soient payés par TransCanada pour faire sa promotion, mais sans le divulguer. « On n'a pas à se cacher derrière des tiers pour prendre des positions, on n'a pas à créer de faux groupes ou payer des blogueurs pour donner notre opinion. »

Mettre les scientifiques de son côté

Le document qualifie les professeurs d'université d'influenceurs importants, surtout au Québec. Edelman recommande à TransCanada de tenter de les mettre de son côté en soutenant « une campagne de financement majeure » d'une université québécoise en contribuant à la recherche environnementale. « Cela pourrait aider à montrer le sérieux de TransCanada sur ces sujets et donner une meilleure image ». Des discussions sont justement en cours pour le financement d'une chaire de recherche sur le Saint-Laurent axée sur l'étude du béluga à l'Institut des sciences de la mer de Rimouski.

Utiliser des personnalités influentes

La direction de TransCanada doit tenter d'entrer en relation avec des « personnes d'influence au Québec, potentiellement favorables au projet ». Le document spécifie les endroits où ces rencontres privées peuvent être facilitées. Il est question par exemple du Grand Prix de Montréal, du Musée des beaux-arts, des restaurants renommés [Europea, Toqué...] ou de la Maison symphonique de Montréal. Une liste est même dressée, dans cet ordre :

  • Brian Mulroney (ancien premier ministre du Canada et avocat)
  • Françoise Bertrand (PDG de la Fédération des Chambres de commerce du Québec)
  • Pierre-Marc Johnson (ancien premier ministre du Québec et avocat)
  • John Parisella (homme d'affaires, analyste politique et éditorialiste)
  • Michael Sabia (président de la Caisse de dépôt)
  • Jacques Ménard (président, BMO Financial Group - Québec)
  • Louis Vachon (président, Banque nationale)
  • Denis Coderre (maire de Montréal)
  • Régis Labeaume (maire de Québec)
  • Alain Bouchard (président, Couche Tard)
  • Thierry Vandal (PDG Hydro-Québec)
  • Lucien Bouchard (ancien premier ministre du Québec et avocat)
  • Michel Kelly-Gagnon (président, Institut économique de Montréal)
  • Monique Jérôme-Forget (ancienne ministre des Finances du Québec)
  • Yves-Thomas Dorval (président, Conseil du patronat du Québec)
  • Stéphane Bilodeau (président, Ordre des ingénieurs du Québec)
  • Hélène Desmarais (PDG Centre d'entreprises et d'innovation de Montréal, membre de CA)
  • James Cherry (président, Aéroports de Montréal)
  • Marcel Groleau (président, Union des producteurs agricoles)

Edelman recommande également à TransCanada de cibler la Fédération québécoise des municipalités, l'Union des producteurs agricoles ou l'Association des chefs en sécurité incendie du Québec. « Une opinion favorable au projet de la part des pompiers pourrait gonfler la confiance du public dans la sécurité du projet », peut-on lire dans le document.

Cibler certaines communautés

Le projet Énergie Est s'étendra sur 700 kilomètres de pipeline à travers le Québec. TransCanada a ciblé les communautés où passer son message est à la fois important et difficile. Cliquez sur la carte pour découvrir pourquoi ces communautés sont critiques.

Enquêter sur les journalistes

Les médias sont, sans surprise, une pièce maîtresse de la stratégie de communication de Transcanada. L'entreprise cherche à « construire une base de données de journalistes locaux, régionaux et nationaux », pour identifier les réfractaires et ceux qui pourraient le mieux l'aider à propager son message.

La firme Edelman écrit qu'elle a commencé à identifier des journalistes intéressés par le projet Énergie Est, de même que d'autres qui ont une influence sur les communautés locales concernées ou la scène nationale. En les questionnant, la compagnie tentera de « déterminer comment ces reporters recherchent leurs informations, « afin de déterminer comment mieux les éveiller ».

Cibler les médias locaux

« Les médias locaux vont exposer le point de vue de gens de la communauté directement concernés. Souvent, leur position va être plus émotionnelle, moins objective », peut-on lire dans le document stratégique. Comme solution, il est proposé de traiter les médias locaux aux petits oignons, en leur donnant des informations et des entrevues exclusives.

La compagnie surveille très attentivement les réseaux sociaux. Elle dispose d'une équipe spécialement dédiée pour identifier tout message négatif qui pourrait survenir sur la toile et qui risquerait de prendre de l'ampleur. Ainsi, tout un processus de réaction (« red flag escalation process ») est décrit dans le document, selon qu'un sujet concernant Transcanada est partagé 10 fois plus souvent que la normale ou 100 fois plus.

Agir différemment au Québec et dans le reste du Canada

Transcanada affirme que les Albertains soutiennent majoritairement le développement et le transport des sables bitumineux, mais que l'opinion publique diverge plus dans le reste du pays. Un sondage qu'elle a commandé à la firme Léger auprès de 2008 Canadiens lui a permis de classer la population en « super verts », « verts », « neutre », « non verts » et « pas vert du tout ». « Les francophones sont surreprésentés dans les « super verts » et « verts » analyse la compagnie. Elle croit que son soutien augmente doucement un peu partout, mais il demeure moins fort en Colombie-Britannique (46 %) et au Québec (50 %) par rapport à l'Ontario, Manitoba, Saskatchewan (59 %) et à l'Alberta (70 %)

« La télévision est une source d'information très importante au Québec alors que le bouche-à-oreille est plus commun en Saskatchewan » » — Extrait du document Research Synthesis (Edelman/Transcanada)

« Les Québécois sont plus préoccupés par l'environnement que les citoyens du reste du Canada et ils n'associent pas le succès du secteur pétrolier canadien au développement économique de leur région ».

« Nous recommandons de mettre l'emphase sur le terme « ressources naturelles » plutôt que « sables bitumineux », qui est perçu plus négativement » » — Extrait du document Research Synthesis (Edelman/Transcanada)

L'entreprise a analysé l'influence du passage du porte-parole d'Équiterre, Steven Guilbeault, à Tout le monde en parle le 16 mars 2014 : « Son apparition ne s'est pas traduite par une augmentation significative de l'activité sur les médias sociaux et il n'y a pas eu de pic de signature dans la pétition ».

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