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Julian Assange riposte face à Eric Schmidt et le «colonialisme digital» de Google

La riposte de Julian Assange face à Google
Ryan Grim

Un officier de police se tient dans le vestibule du 3 Hans Crescent, un immeuble quelconque au coin de la rue du Harrods de Londres et au sud de Hyde Park. Il garde la porte du 3b, un petit appartement qui, depuis deux ans, est le lieu de résidence du patron de Wikileaks Julian Assange.

Sur le perron de l'immeuble, un autre policier, et juste devant, plusieurs autres agents et un panier à salade multicolore. Il s'agit de s'assurer que Julian Assange ne met pas un pied à l'extérieur de l'appartement, qui accueille l'Ambassade équatorienne où il a trouvé refuge.

Un officier explique au Huffington Post que si l'homme tentait de s'aventurer à l'extérieur, lui et ses collègues étaient chargés de l'escorter jusqu'au poste de police le plus proche.

À l'intérieur, l'objet du tumulte se montre méfiant. Il se dirige rapidement vers un visiteur afin de l'empêcher d'ouvrir la porte d'entrée: il ne veut pas que l'officier le voie. Pour notre entrevue, il demande à prendre place sur la chaise la plus éloignée de la porte, celle qui lui offre la meilleure protection.

Un officier en patrouille devant la fenêtre de Julian Assange. Photos du Huffington Post.

La Suède souhaite l'extradition de Julian Assange pour deux affaires d'agressions sexuelles. Lui prétend que les relations avec les deux femmes étaient consenties, tandis que les deux plaignantes déclarent qu'il a menti quant au port d'un préservatif. Il ne fait pas l'objet d'accusations formelles et a proposé de se rendre en Suède s'il reçoit la garantie de ne pas être extradé vers les États-Unis, où il risque l'emprisonnement. L'offre a été rejetée.

Aujourd'hui, cependant, Julian Assange veut parler d'Eric Schmidt.

En juin 2011, ce dernier, alors PDG de Google et en pleine écriture de son livre The New Digital Age, a rencontré le fondateur de Wikileaks dans une petite maison située dans la campagne anglaise, où les deux hommes ont discuté pendant plusieurs heures. Mais Eric Schmidt ignorait alors que Julian Assange utiliserait la teneur de leur conversation dan s un livre récemment publié, When Google Met WikiLeaks («Le jour où Google a rencontré Wikileaks», paru mercredi dernier, un jour après le dernier livre d'Eric Schmidt). Le livre vise la relation de Google avec le gouvernement américain et ses répercussions sur la vie privée, le surveillance de masse et la liberté d'internet.

Une bataille de déclarations s'est alors engagée entre les deux hommes. «Julian est paranoïaque. Google n'a jamais collaboré avec la NSA. En réalité, nous leur avons opposé une résistance féroce», a déclaré Eric Schmidt à ABC News la semaine dernière, ajoutant: «Nous avons codé toutes nos données, tous nos échanges, afin que personne ne puisse y avoir accès, surtout pas le gouvernement.»

Le HuffPost a demandé à Julian Assange de réagir à ces déclarations.

«C'est un travail difficile que celui d'Eric Schmidt, consistant à défendre le fonctionnement nouveau de Google -- Google utilise des données privées», déclare-t-il. «Les révélations d'Edward Snowden ont montré qu'il avait bien donné les informations au gouvernement américain.»

HP: Que pensez-vous de la défense d'Eric Schmidt, selon qui Google serait quasiment en guerre contre le gouvernement américain?

JA: C'est une déclaration à deux tranchants. Eric Schmidt n'a pas dit que Google cryptait toutes les informations pour empêcher le gouvernement américain d'y avoir accès. Il a déclaré de façon délibérée que Google avait commencé à crypter des échanges d'information -- et même si c'est loin d'être vrai, la compagnie a augmenté le nombre d'échanges cryptés. Mais Google n'a jamais crypté sa réserve d'informations. Google fonctionne selon un modèle lui permettant d'avoir accès à l'énorme réservoir d'informations privées collectées à partir de milliards de personnes chaque jour. Et si Google peut y accéder, alors bien entendu le gouvernement américain a l'autorisation légale d'y accéder, et c'est ce qui s'est passé.

À la suite des révélations de Snowden, Google a été pris au dépourvu. La compagnie a voulu prétendre que ces déclarations n'étaient pas fondées, puis s'est lancée dans une campagne de communication visant à faire connaître son mécontentement face aux agissements de la NSA, qu'elle combattait avec force. Mais le modèle économique de Google consiste à collecter le plus d'informations possible et de les stocker, les lister et les transformer en profiles types.

Serait-il possible pour Google de garder son modèle économique actuel tout en empêchant la NSA d'accéder aux données?

Tant que Google fonctionnera en-dehors de la juridiction américaine, il ne pourra protéger les gens de la NSA ou du FBI, ou tout autre branche du gouvernement.

Par le passé, vous avez déclaré qu'Eric Schmidt et la direction de Google aux États-Unis étaient alliés idéologiquement sur la question du rôle de la technologie. Pourriez-vous nous en dire un peu plus?

Le politique de Google en matière de relations étrangères se résume dans l'attitude d'Eric Schmidt et de Google Ideas. Google Ideas est un «think tank» centré sur les interactions géopolitiques de Google avec le monde. Eric Schmidt est devenu le secrétaire d'état de Google, une figure à la Henry Kissinger dont la fonction consiste à rencontrer les leaders étrangers et leurs opposants et à positionner Google dans le monde. La question est la suivante: de quelle position parle-t-on?

On peut voir cette position, par exemple, en rapport avec la proposition de bombardement de la Syrie, lorsque Google a adopté un point de vue interventionniste et utilisé son réseau d'influence pour amener John Kerry à défendre les bombardements. Ce n'est pas le Département d'État qui achète un espace publicitaire. C,est Google qui utilise sa page d'accueil pour promouvoir l'intervention en Syrie.

Qu'ont-ils fait?

Ils ont mis un lien rouge foncé juste avant le vote au Congrès. Le jour du discours de John Kerry.

C'était il y a un an?

Oui. Ça n'avait jamais été utilisé auparavant.

Pensez-vous que Google est un porte-parole pour l'industrie en général? Facebook vaut-il mieux?

Facebook est une société plus jeune. Facebook a des problèmes similaires, même si Google profite d'une meilleure image ... Les gens savent plus ou moins à quoi ils ont affaire avec Facebook. Mais Google contrôle 80% des téléphones Android vendus, YouTube rachète huit compagnies de drones. Ils envoient des voitures, dirigent des ISP -- fournisseurs d'accès à internet. Il y a même des projets de villes Google.

Aujourd'hui, Google possède plus de 110 compagnies et est devenue comme une General Electric haute technologie.

En parlant du secrétaire d'État, que pensez-vous d'Hillary Clinton et de la façon dont elle gouvernerait si elle devenait présidente?

J'ai consulté des milliers de ses câbles de communications et je crois que je n'apprendrai rien à personne en disant que ses positions sont encore plus bellicistes que celles de Barack Obama. Eric Schmidt a embauché le conseiller d'Hillary, Jared Cohen, pour diriger Google Ideas.

À l'époque où Wikileaks devait discuter avec Hillary pour des raisons légales, parce que nous étions sur le point de divulguer un grand nombre de communications du Département d'État, Lisa Shields, alors la petite amie d'Eric Schmidt, a été nommée responsable des communications officieuses. Google et le Département d'État sont très proches. On ne peut donc pas s'attendre à ce qu'Hillary fasse quoi que ce soit pour entraver Google.

Dans 20 ans, si la vision de Google persiste, à quoi ressemblera internet et la vie en général?

Ce n'est pas que Google, mais Google représente une avancée vers un impérialisme technocratique ou un colonialisme digital. Google a une vision très claire d'un futur où tout le monde serait fiché, même les habitants des régions les plus reculées d'Afrique. À un niveau moins géopolitique et plus personnel, l'érosion globale du cercle privé transforme les états démocratiques en états autoritaires.

Ce texte a été traduit du Huffington Post US. Cliquez ici pour voir l'article original.

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