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A Bagdad, silence et peur après un massacre dans des maisons closes

A Bagdad, silence et peur après un massacre dans des maisons closes

Personne n'a rien vu, personne ne sait rien. Après le massacre de 31 personnes dans une zone résidentielle de Bagdad connue pour être un lieu de prostitution, les habitants du quartier préfèrent se taire.

Dans les immeubles lépreux de Zayouna, dans l'est de Bagdad, on a appris depuis longtemps à ne pas poser de questions. Dans une ville où les armes pullulent et où la police est impuissante face aux groupes armés, c'est plus prudent.

Samedi soir, des hommes armés ont pris d'assaut deux immeubles et massacré 29 femmes, supposément prostituées, et deux hommes, dont leur proxénète. Mais rares sont les voisins qui connaissent les détails de la tuerie. Encore plus rares sont ceux qui hasardent une hypothèse.

"Les gens ont peur. Ils ne connaissent pas leurs voisins. Chacun se préoccupe de la sécurité de sa propre famille", explique Wissam Sami, habitant du quartier de 23 ans.

"Des prostituées ont été tuées près de (chez) moi il y a quelques mois, et les voisins s'en sont seulement aperçus plusieurs jours après, à cause de l'odeur", se rappelle-t-il.

"Je ne sais pas qui est responsable de ces assassinats. Les (membres) de Daash et des milices chiites sont tous vêtus de noir, et n'importe qui peut acheter un uniforme ou falsifier une carte d'identité".

Daash, acronyme arabe du groupe jihadiste ultra-radical de l'Etat islamique en Irak et au Levant, devenu l'Etat islamique, est également utilisé pour désigner de façon générale les activistes sunnites.

Après l'attaque, le quartier jonché d'ordures resté barricadé dans son mutisme.

"C'est le destin de toute prostitution", prévient un tag laissé sur la porte d'un des bâtiments touchés, situé à proximité d'une mosquée et d'une école maternelle.

Selon les habitants, des appartements du quartier sont depuis longtemps utilisés à des fins de prostitution, et des femmes sont régulièrement retrouvées mortes, la police manquant à la fois de volonté et d'efficacité pour empêcher ces attaques.

"Les policiers ne diraient rien si on abattait quelqu'un sous leurs yeux. Ils ont peur. C'est la loi du plus fort", déclare un commerçant, sous couvert d'anonymat.

Pour certains toutefois, la mort de travailleuses du sexe n'est pas un drame, dans un pays où la prostitution est extrêmement taboue et où les partis religieux ont pris de l'importance ces dernières années.

"Les gens sont fatigués des prostituées. Elles attirent des criminels et des gens immoraux", assène un autre commerçant de Zayouna, s'exprimant lui aussi sous couvert d'anonymat.

Quant aux questions sur les raisons de l'attaque ou l'identité des assaillants, elles se heurtent à la loi du silence.

Les milices chiites sont devenues plus actives à Bagdad depuis l'offensive fulgurante lancée début juin par des insurgés sunnites qui ont pris le contrôle de vastes pans de territoire dans le nord, l'est et l'ouest du pays.

Les attentats suicides d'extrémistes sunnites sont fréquents, et les violences confessionnelles sont quotidiennes dans la capitale.

Et l'hostilité envers les prostituées est probablement l'un des seuls points communs des groupes armés rivaux.

En janvier, 12 personnes avaient été tuées par des hommes armés dans une maison close de Zayouna. Et en mai 2013, 12 autres personnes avaient été tuées dans une maison du quartier utilisée par des prostituées.

"Tout le monde a peur. Je vais peut-être me faire tuer, mais je dois dire ce que j'ai sur le coeur. Je suis chiite, et je vous dis que c'est des bandes chiites (qui ont fait ça). Qui d'autre contrôle Bagdad? Ils sont plus puissants que la police et qu'aucune autre autorité", déclare Hassan Assad, chauffeur de taxi de 36 ans qui travaille dans Zayouna.

"Les prostituées sont là depuis l'époque de Saddam (Hussein). Pourquoi croyez-vous qu'elles font ça? Parce que leur mari a été emprisonné, ou tué, et qu'elles essayent de nourrir leurs enfants. Comment l'Irak en est-il arrivé là?"

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