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Gotham City Research, Batman de la finance ou Joker manipulateur?

Gotham City Research, Batman de la finance ou Joker manipulateur?

Gotham City Research, la société qui a fait tomber Gowex, se présente comme le Batman de la finance. Justicière ou manipulatrice, elle a en tout cas démontré le pouvoir d'une pratique souvent décriée à Wall Street: le pari sur l'échec.

Il a suffi d'un rapport cinglant de 93 pages pour qu'elle mette à genoux une vedette du secteur "tech" espagnol, le fournisseur espagnol de services wifi Gowex: mardi, l'entreprise valait 1,4 milliard d'euros en Bourse, dimanche elle faisait faillite.

Depuis, Gotham City Research se veut le héros des marchés pour avoir levé le voile sur une entreprise accusée d'être basée sur du vent, flouant pléthore d'investisseurs.

"Les auditeurs, les régulateurs, les investisseurs et les autres détectent rarement la fraude. Les initiés et les vendeurs à découvert, eux, ne la ratent pas", proclame la société dans un communiqué.

Mais, comme souvent lorsqu'il s'agit de ceux qui misent sur la baisse des actions, un halo de méfiance et de mystère entoure ce "bienfaiteur" spéculatif et son seul représentant public connu, Daniel Yu.

Les vendeurs à découvert "n'ont souvent pas bonne réputation car ils répandent de mauvaises nouvelles", explique James Angel, professeur de finances à l'université de Georgetown.

Gotham City Research est en outre très secrète. Ses rapports accablants ne sont pas signés. Aucun numéro de téléphone, adresse ou e-mail sur son site. Les nombreuses requêtes de l'AFP sont restées sans réponse.

On ne sait pas grand chose non plus de M. Yu, si ce n'est que des études à la prestigieuse université MIT l'ont mené, selon le Wall Street Journal, à travailler pour un fonds avant de se spécialiser dans le pari à découvert.

Les experts trouvent exagérée la posture de sauveur revendiquée par un Gotham City au ton souvent grandiloquent, voire un brin mégalo, qui ne suit que le pape sur Twitter, et deux autres chefs d'églises chrétiennes.

Mais ils reconnaissent le rôle essentiel joué par ces Cassandres sur des marchés financiers qui gagnent à se montrer optimistes.

Pour M. Angel, ils sont "notre première ligne de défense contre les compagnies qui sont surévaluées, ou les spécialistes de la manipulation des marchés".

Quand ils choisissent une entreprise-cible, ces oiseaux de mauvais augure cherchent à tout prix à montrer que sa croissance n'est pas établie sur des bases solides.

Parier à découvert revient en effet à ne faire des bénéfices que si le titre d'une compagnie recule. Il suffit d'emprunter une action sur le marché à un certain prix et de la vendre dans la foulée, avant de la racheter moins chère et de la rendre au prêteur, en empochant la différence.

Justiciers, peut-être, Robins des Bois, certainement pas.

"Savent-ils vraiment prévoir l'avenir ou sont-ils juste des manipulateurs de prix qui recherchent le profit? La vérité est entre les deux", estime Xiaoyan Zhang, de l'université Purdue.

Sur Gowex, comme ils le reconnaissent eux-mêmes, ils n'étaient pas les seuls à découvrir le pot aux roses. Un analyste espagnol, connu sous le nom de @Investment_Red sur son compte Twitter, explique ainsi à l'AFP que "cela fait des années (qu'il) dénonce les pratiques" de l'entreprise.

Mais il ne dispose pas de la même force de frappe qu'un acteur de Wall Street, aussi discret soit-il, pour qui l'enjeu est aussi financier. La publication du rapport de Red Investment en janvier sur Gowex n'avait fait que peu de vagues. Celle de Gotham City a provoqué un raz-de-marée.

Comme une nouvelle génération de petites sociétés qui se spécialisent dans ce type de spéculation, Gotham City Research a élevé Twitter et internet au rang d'armes privilégiées pour relayer des informations incriminantes sur des entreprises à la réussite trop insolente.

Avant Gowex, les vengeurs masqués s'étaient trouvés d'autres victimes dont les américains Ebix, fournisseur de logiciels ou The Tile Shop, vendeur de matériaux de construction, ainsi que le cabinet de conseil britannique Quindell.

Le mode d'action est toujours le même: la publication d'un rapport assassin est immédiatement suivie d'un plongeon en Bourse de l'entreprise ciblée, sommée de prouver la véracité de ses comptes.

Après sa victoire sur Gowex, la société s'est contentée d'une note truffée de références à Batman: "Qui que l'on soit au fond de nous, nous ne sommes jugés que par nos actes".

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