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Au Nigeria, des territoires entiers du Nord-Est s'enfoncent dans des zones de non-droit

Au Nigeria, des territoires entiers du Nord-Est s'enfoncent dans des zones de non-droit

La vie de Zannaram Bukar, une Nigériane qui s'est réfugiée dans un camp pour fuir les violences du groupe islamiste armé Boko Haram, est tissée d'histoires de bain de sang, de peur et d'abandon, comme celle de milliers de ses compatriotes.

Originaire du village d'Abbari dans l'Etat de Borno, dans le nord-est nigérian en proie à l'infernal cycle d'attaques sanglantes menées par Boko Haram, elle évoque la destruction de villages entiers par les islamistes. Elle parle aussi de ces villageois privés de leurs réserves de nourriture, de leur bétail bien souvent volé.

Elle vit désormais comme d'autres Nigérians dans un camp vétuste à Maiduguri - capitale de l'Etat de Borno- où s'entassent quelque 4.600 déplacés, où certains, comme elle, parlent d'une même voix d'une armée qui ne les protège plus.

"Il y avait des soldats dans certains villages alentour mais les soldats ne nous protégeaient que pendant la journée. Dès que la nuit arrivait, ils partaient", raconte la femme de 52 ans.

"Les soldats, dit-elle, sont postés dans les villages qui longent la route principale. Mais si on va dans les villages éloignés de la grande route, là où l'on n'entend même pas le bruit des voitures qui passent, on ne trouve aucun soldat".

Pour de nombreux observateurs, l'absence apparente de militaires prouve qu'il existe des zones de non-droit dans le nord-est du Nigeria, où l'armée ne peut plus se rendre.

Le nouvel enlèvement de plus de 60 femmes et jeunes filles dans cette région la semaine dernière démontre à nouveau la vulnérabilité des civils face à la menace islamiste.

Ali Ndume, sénateur de l'Etat de Borno, raconte que le village du district de Damboa où a eu lieu ce nouvel enlèvement - peu fréquenté pendant la saison des pluies - n'était pas surveillé par l'armée au moment de l'attaque.

A Chibok, où les islamistes ont enlevé plus de 200 lycéennes mi-avril provoquant une vive émotion dans le pays et dans le monde, Pogu Bitrus, le chef du conseil des anciens, explique que dans certaines zones c'est bien Boko Haram qui fait la loi.

"Certaines zones sont totalement contrôlée par Boko Haram, ils y ont même planté leur drapeau (...), les gens sont terrifiés", déclare-t-il à l'AFP. "Dans certaines zones, (les islamistes) se déplacent librement avec leurs armes, parce qu'il n'y a personne pour leur faire face".

Selon plusieurs experts en sécurité, l'armée nigériane --débordée et sous-équipée -- n'est pas capable de mener une contre-insurrection efficace.

"Des pans entiers de l'Etat de Borno sont hors d'atteinte pour les forces de l'ordre et, de fait, non protégés", estime Andrew Noakes, qui coordonne un réseau d'experts sur la sécurité au Nigeria.

Selon Amnesty International, l'armée nigériane a été informée de l'imminence d'une attaque de Boko Haram plusieurs heures avant l'enlèvement des lycéennes de Chibok, mais n'a pas pu rassembler les troupes nécessaires pour stopper cette attaque.

"Bien souvent, souligne M. Noakes, l'armée n'intervient pas, ou bien elle met plusieurs heures à se rendre sur les lieux de l'attaque. C'est ce qui s'est passé à Chibok. (Les soldats) sont aussi connus pour fuir lors d'attaques de Boko Haram".

Selon plusieurs témoignages, les forces de l'ordre ne se rendent plus non plus dans plusieurs localités proches de la frontière camerounaise.

Un habitant de Bama, à 70 kilomètres de Maiduguri, dit avoir compté une demi-douzaine de villages alentour qui sont passés aux mains des islamistes.

Mme Bukar, elle, fait partie des quelque 6.000 personnes qui ont fui leurs foyers en moins d'une semaine, ce mois-ci, après l'attaque de plusieurs villages du district de Gwoza, qui a fait des centaines de morts.

Depuis l'instauration de l'état d'urgence dans l'Etat de Borno et les deux Etats voisins de Yobe et Adamawa en mai 2013, les insurgés ont déserté les grands centres urbains.

Mais pendant que l'armée se concentrait sur des combats de forte intensité à Maiduguri, notamment, les attaques se sont multipliées dans les zones rurales.

Pour l'expert en sécurité Ryan Cummings, de la société sud-africaine Red 24, le groupe extrémiste, dont on sait qu'il a des bases arrières au Cameroun, "a plus de militants, de meilleures armes et des plate-formes opérationnelles d'où il peut lancer des attaques qui traversent la frontière".

"L'armée est tout simplement dépassée par Boko Haram dans les zones rurales du nord-est du Nigeria", estime-t-il.

Interrogé, le porte-parole des armées, Chris Olukolade, a rétorqué: "il n'y a aucune partie du Nigeria où l'armée ne peut pas se rendre. Cela est faux".

Mais pour les experts, la situation, déjà préoccupante, pourrait encore empirer.

"Si la tendance se poursuit", le groupe islamiste Boko Haram "pourrait réellement poser les fondations d'un califat dans le Nord-Est qui échapperait au contrôle du gouvernement nigérian", estime M. Cummings.

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